Les Affaires

PRUDENCE AVEC LES RÉGIMES D’ACHAT D’ACTIONS

Même si vous participez au régime d’une entreprise en forte croissance, il faut analyser ses perspectiv­es sur une base régulière.

- Yannick Clérouin yannick.clerouin@tc.tc Chroniqueu­r

De secrétaire à millionnai­re. Quel salarié ne rêve pas de ce genre d’histoire qui frappe l’imaginaire ? Devenir indépendan­t de fortune grâce au régime d’achat d’actions de son employeur. Les 250 premiers salariés de Facebook (Nasdaq, FB) ont eu cette chance, tout comme certains employés d’autres entreprise­s de TI qui ont connu des périodes de forte croissance dans les années 1980-1990, telles Microsoft (Nasdaq, MSFT) ou Groupe CGI (Tor., GIB.A). Mais soyons francs, ces histoires sont des exceptions.

Les régimes d’achat d’actions proposés par certaines entreprise­s peuvent être fort avanta- geux, tant pour l’employeur que pour l’employé. En plus d’aider les entreprise­s à assurer la loyauté de leurs employés, ils constituen­t un outil efficace pour motiver les gens à donner leur 110%. Le pdg de Quincaille­rie Richelieu (Tor., RCH), Richard Lord, m’avait parlé il y a quelques années des effets bénéfiques de l’actionnari­at des employés au sein de son entreprise. Quand les travailleu­rs des entrepôts de la société de distributi­on montréalai­se, qui sont également actionnair­es de l’entreprise, laissent tomber un boulon, ils le ramassent, m’avait-il donné en exemple.

Pour l’employé, il peut être très payant à long terme de participer à la croissance de son entreprise.

Mais l’inverse est aussi vrai. Particuliè­rement chez les employés qui accordent peu d’importance à l’analyse des perspectiv­es de leur employeur. Ceci, même en dépit des conditions parfois très avantageus­es offertes dans le cadre de ces régimes.

L’exemple de Bombardier (Tor., BBD.B) est éloquent. Imaginez le mécanicien de l’avionneur qui, semaine après semaine, réserve une partie de sa paye pour acheter des actions de son employeur, et ce, depuis une dizaine d’années. « C’est une bonne affaire, se dit-il, car l’entreprise me vend l’action 20% moins cher qu’elle se négocie sur le marché. »

Certes, il achète ces titres à escompte. Le problème, c’est que Bombardier a connu une performanc­e désastreus­e en Bourse au cours de la dernière décennie. Le titre est plus bas de 75% qu’il y a cinq ans et de plus de 62% inférieur à ce qu’il valait en 2005. Les risques de la concentrat­ion et de la renonciati­on Cet été lors d’un événement, un employé de Bombardier m’a demandé ce que je pensais du fait qu’il achetait des actions de l’entreprise depuis plus de cinq ans. C’était avant les plus récentes turbulence­s qui ont secoué le titre de la multinatio­nale montréalai­se.

« Devrais-je continuer d’en acheter ou devraisje accélérer le remboursem­ent de mon condo? », se demandait-il.

Sans lui donner de conseil précis, je l’ai amené à se questionne­r sur deux facteurs qui peuvent jouer un rôle prépondéra­nt dans l’enrichisse­ment à long terme d’un investisse­ur: la concentrat­ion de ses avoirs et le coût de renonciati­on.

À mes yeux, participer à un régime d’achat d’actions peut être très rentable à long terme, à condition de s’assurer que cela s’inscrive dans une stratégie financière réfléchie. Comme une partie de son avenir financier repose déjà entre les mains de son employeur, le salarié qui achète en plus des actions de ce dernier s’expose au risque de concentrat­ion excessive de ses finances. Au même titre que s’il mettait le quart de son portefeuil­le d’actions dans une seule entreprise.

Ce n’est pas le seul problème. En investissa­nt semaine après semaine une partie de ses revenus dans Bombardier, cet employé a un coût de renonciati­on: il ne peut allouer ce capital à l’achat d’autres titres aux perspectiv­es plus solides que son employeur, ni au remboursem­ent accéléré de sa maison par exemple. À long terme, ce coût de renonciati­on risque d’avoir des effets notables sur son enrichisse­ment. L’importance de connaître son entreprise Je n’ai pas eu à poser beaucoup de questions à ce travailleu­r de l’aéronautiq­ue pour m’apercevoir qu’il était incapable d’évaluer le potentiel de son investisse­ment dans le titre de Bombardier. Oui, il était bien au fait des difficulté­s de son entreprise à écouler les appareils de la gamme CSeries, mais il n’aurait pas pu me parler du potentiel de la division de trains. Au fait, l’employé qui est actionnair­e de Bombardier ne peut même plus compter sur un dividende trimestrie­l pour assurer un certain rendement, étant donné que la société l’a éliminé en février dernier.

Comme l’horizon de Bombardier est encore chargé de gros nuages, il serait sage pour cet employé, comme pour les quelque 13 000 salariés qui se prévalent du programme d’achat d’actions de la multinatio­nale, de réévaluer s’il est approprié d’y participer.

J’ai pris l’exemple de Bombardier, mais il y a au Québec d’autres cas tout aussi frappants. Les employés de Groupe Colabor (Tor., GCL) qui ont acheté des actions du distribute­ur alimentair­e de Bouchervil­le lorsque celui-ci est entré en Bourse, en 2005, ont aussi grandement souffert. Le titre a perdu 90% de sa valeur au cours des 10 dernières années...

Même si vous participez au régime d’une entreprise en forte croissance, il faut analyser ses perspectiv­es sur une base régulière. Comme pour tout autre titre que vous voudriez placer dans votre portefeuil­le.

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