RETARD ÉCONOMIQUE
Sur le Web
À l’invitation de Les Affaires, l’Institut des générations a accepté de faire un retour dans le temps et de jeter un regard neuf sur le texte des Lucides, ce document de 10 pages qui avait déclenché – on s’en souviendra – de fortes réactions.
Leur mission : comparer, chiffres à l’appui, l’économie du Québec d’aujourd’hui à celle dépeinte par les Lucides il y a 10 ans. Et se demander, ce faisant, si le raz-de-marée provoqué par sa publication aura finalement donné des résultats. Les craintes qu’exprimaient les signataires à l’époque se sont-elles avérées ou avonsnous au contraire su éviter que les sombres pronostics des Lucides ne se réalisent ? Les membres de l’IDG croient que, malgré les quelques avancées observées ici et là, les constats exprimés à l’époque sont toujours brûlants d’actualité. Pour eux, le retard économique, le poids de la dette publique, le déclin démographique et la concurrence asiatique qu’avaient documentés les Lucides restent des problèmes majeurs.
« Les quelques solutions suggérées à l’époque pour aider la province à s’en sortir mériteraient probablement d’être revues en mettant plus l’accent sur l’environnement et les services éducatifs à la petite enfance. Mais dans l’ensemble, dit M. Gagné, l’exposé des problèmes qui nous attendent si aucune réforme n’est apportée demeure malheureusement très juste. »
C’est le cas du retard économique du Québec, que la province n’a pas réussi à rattraper depuis 10 ans, se désole l’Institut.
Comme prévu par les Lucides, la croissance annuelle moyenne du PIB a diminué de moitié au Québec depuis la publication de leur manifeste. La croissance économique a été de 1,41 % par an de 2005 à 2013 (période comprenant la récession de 2008-2009), comparativement à 2,82 % de 1995 à 2004.
Cette croissance, plus basse que celle du Canada (1,84 % de 2005 à 2013), ne s’explique pas tant par le déclin de la population québécoise anticipé par les Lucides que par la forte croissance du secteur des ressources naturelles dans l’Ouest canadien, nuance-t-on. Pendant cette période (2004-2014), illustre l’IDG, les exportations de l’Alberta ont grimpé de 91 %, tandis qu’elles n’ont augmenté que de 15 % dans le reste du pays.
Quant aux heures travaillées, un sujet délicat qui avait soulevé les passions à l’époque, les Québécois continuent de traîner la patte, bien que moins qu’il y a 10 ans. Alors que les 25 à 54 ans travaillaient en moyenne 1,3 heure par semaine de moins qu’en Ontario en 2005, il semble que cet écart a maintenant diminué de moitié, à 0,7 heure par semaine.
Ce rattrapage s’expliquerait surtout, précise l’IDG, par l’augmentation de la présence des femmes sur le marché du travail et des heures travaillées par celles-ci. À l’époque, les Lucides s’alarmaient devant la concurrence des pays asiatiques, particulièrement les géants chinois et indien. « Dans 10, 20 ans, que fabriquerons-nous, nous, Québécois, mieux que les Chinois et les Indiens ? » demandaient les Lucides. Aujourd’hui, estime l’Institut des générations, la « menace » venant de la Chine provient surtout des risques de chute de demande de ce même pays. « Le Québec doit probablement investir davantage en innovation, juge Laura O’Laughlin. En somme, nous ne nous battons plus contre les autres. C’est nous face à nous-mêmes et à ce que nous voulons devenir. » En matière démographique, les prévisions des Lucides ne se sont pas totalement avérées. Le vieillissement de la population a été amoindri par un léger baby-boom, probablement encouragé, selon l’IDG, par l’adoption de politiques familiales.
« On ne peut pas être certain. Les liens de cause à effet ne sont pas évidents à prouver. Mais je crois que l’adoption d’une série de mesures favorisant les familles ces dernières années ne peut qu’avoir contribué à adoucir la tendance décrite par les Lucides », dit Isabelle Fontaine, membre de l’IDG et vice-présidente de Ryan Affaires publiques.
Ainsi, dans les faits, la population totale du Québec est passée de 7,6 à 8,2 millions habitants entre 2005 et 2014. L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) s’attend à ce qu’elle atteigne 9,8M en 2050. Les Lucides prévoyaient plutôt 7,8 M d’habitants en 2050. L’IDG attribue la différence aux prévisions erronées de l’ISQ.
L’évolution de la population active n’a pas non plus connu le plongeon prévu. Le taux d’activité des 55 ans et plus a beaucoup augmenté (surtout chez les 60-64 ans), ce qui a presque permis de maintenir un taux d’activité stable. Ici aussi, des modifications fiscales ont pu favoriser le maintien ou le retour de plusieurs travailleurs.
« Les Lucides se sont-ils trompés ou ont-ils au contraire réussi, en sonnant l’alarme, à convaincre les pouvoirs publics de poser des gestes qui ont changé le cours des choses ? Finalement, ce n’est pas très important, estime Maripier Isabelle, membre de l’IDG et candidate au doctorat en économie de l’Université de Toronto. Que ce soit grâce à de nouvelles règles ou non, et que ces règles soient issues du travail d’influence des Lucides ou non, ce qui compte est que la situation évolue dans la bonne direction. »
Finalement, même s’il s’est révélé moins important qu’escompté, le déclin de la population totale et active reste un enjeu tout aussi préoccupant, selon les membres de l’Institut. Enfin, comme pressenti par les Lucides, le revenu moyen des Québécois s’est détérioré par rapport à la moyenne canadienne et nordaméricaine. Sur le plan du revenu disponible, le Québec se classait au 5e rang des 10 provinces en 2005, mais est tombé au 9e rang en 2013, tout
juste devant l’Île-du-Prince-Édouard, note l’Institut. Le revenu moyen, de 9% inférieur à la moyenne canadienne en 2005, est passé à 12,9% sous la moyenne en 2013.
Malgré tout, insiste l’IDG, de plus en plus d’études démontrent que le revenu moyen, ou même médian, n’est pas une très bonne mesure de la qualité de vie. La distribution de revenu et la qualité des services gouvernementaux sont tout aussi importantes. En 2011, le Québec affichait une répartition des revenus plus égalitaire que l’Ontario et que l’ensemble du Canada, un avantage pour le Québec, qui s’accentue avec les années.
En outre, si le taux de chômage du Québec reste supérieur à celui du Canada, la différence s’est amenuisée depuis 2005. Cela a été particulièrement vrai durant la récession, où le marché du Québec a été plus résilient, soutient l’Institut.
« Alors oui, le Québec est toujours plus pauvre en comparaison des autres. Cela n’a pas beaucoup changé, affirme Laura O’Laughlin. Mais il faut dire que le Québec est aussi plus égalitaire. À mon avis, c’est là une chose – une richesse même – dont nous devrions tous être fiers. »