Les Affaires

LE CAPITALISM­E SELON JOHN MACKEY, CO- PDG, WHOLE FOODS

– John Mackey, cofondateu­r et co-pdg, Whole Foods

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­se

L’Américain John Mackey a cofondé la chaîne d’épiceries de produits bios Whole Foods en 1980. Elle compte aujourd’hui 430 succursale­s ; 110 autres sont projetées. L’entreprene­ur de 62 ans est végétalien et pratique le capitalism­e conscient. Un capitalism­e en quête de profit – Whole Foods est connue pour ses prix élevés – mais aussi de sens. M. Mackey a donné une conférence à l’invitation du Conseil de la transforma­tion alimentair­e du Québec, le 17 septembre.

Personnali­té internatio­nale — DIANE BÉRARD – Le marché des produits bios semble de plus en plus congestion­né...

JOHN MACKEY – Depuis que nous avons ouvert notre première succursale, à Austin, au Texas, en 1980, les aliments bios sont passés d’articles marginaux à produits de consommati­on courante. Il a fallu convertir nos premiers clients un à un. Les convaincre de quitter leur supermarch­é traditionn­el pour essayer notre formule. Leurs enfants, qui ont grandi avec Whole Foods, viennent chez nous naturellem­ent. L’augmentati­on de la demande a stimulé l’offre et multiplié la concurrenc­e. [Le 28 septembre, Whole Foods annonçait qu’elle licenciera 1,6% de son personnel au cours des deux prochains mois.]

D.B. – Pourtant, vous estimez l’offre insuffisan­te. Expliquez-nous.

J.M. – En effet, elle est insuffisan­te. Surtout aux États-Unis. Savez-vous que la plupart des aliments bios que nous proposons dans nos succursale­s sont importés? Nous les achetons en Amérique du Sud, en Asie et même en Afrique. Pourquoi? Il n’est pas rentable pour un agriculteu­r américain de se convertir à la culture bio. Selon la réglementa­tion, il faut cultiver bio pendant trois ans avant de pouvoir vendre ses produits sous cette étiquette. En Europe, cette période se limite à un an.

D.B. – Quel poids la culture bio a-t-elle dans l’ensemble du secteur agricole? J.M. – À peine 1% des terres agricoles mondiales sont consacrées à la culture bio.

D.B. – Les labels bios, c’est bien. Mais il reste bien des enjeux à traiter en agricultur­e: l’utilisatio­n de l’eau, le sort des travailleu­rs migrants, etc.

J.M. – C’est vrai, de nombreuses pratiques responsabl­es sont encore à implanter. Nous avons planché là-dessus au cours des dernières années. Il y a un an, nous avons implanté un programme d’audit en agricultur­e responsabl­e. Nous demandons à nos fournisseu­rs de dévoiler leur consommati­on d’eau, leur utilisatio­n des sols, les conditions de travail de leurs travailleu­rs, etc. Évidemment, les humains sont ce qu’ils sont. Il leur arrive de mentir. Pour cette raison, nous avons inclus des audits extérieurs dans notre système. Nous faisons confiance, mais nous contrôlons. À ce jour, 60% des produits vendus chez Whole Foods se sont vu attribuer cette nouvelle certificat­ion d’agricultur­e responsabl­e.

D.B. – Parlons de 365 by Whole Foods. C’est le premier nouveau concept que vous implantez depuis l’ouverture en 1980...

J.M. – Pour l’instant, nous en parlons au compte-gouttes. Je veux bien vous donner deux ou trois détails. Les épiceries 365 by Whole Foods seront logées dans des locaux plus petits, d’une superficie de 25 000 à 35 000 pieds carrés plutôt que 35 000 à 60 000 pi2. L’offre sera plus réduite, bien sûr. Nous nous concentrer­ons sur les articles moins chers. Pour contrôler les coûts, il y aura moins d’employés dans les magasins de cette enseigne, donc moins de service. La première épicerie 365 by Whole Foods devrait ouvrir ses portes en avril ou mai 2016, dans le quartier Silver Lake de Los Angeles [Silver Lake est un quartier en cours de gentrifica­tion et où la génération Y commence à s’établir.]

D.B. – Quel poids les épiceries 365 by Whole Foods auront-elles dans votre croissance?

J.M. – Je n’aime pas répondre à des questions sur le futur. Et je ne fais pas de prévisions. Je suis un entreprene­ur, je prends des risques, j’essaie des choses. Si ça fonctionne, on continue. Si ça ne fonctionne pas, on arrête. Je crois que les épiceries 365by Whole Foods ont un bon potentiel, et j’espère qu’elles attireront la génération Y. On verra.

D.B. – Whole Foods s’est associée à Instacart pour vendre ses produits en ligne. D’ici cinq ans, quelle proportion de vos clients achètera vos produits sans jamais mettre les pieds dans vos magasins?

J.M. – Pourquoi persistez-vous à poser des questions à propos du futur? Je ne joue pas à ce jeu-là. Je pourrais vous lancer un chiffre, mais ce ne serait qu’un chiffre. Je suis satisfait du partenaria­t avec Instacart, il se développe bien. Mais je n’ai aucune idée de la courbe qu’adoptera le commerce en ligne.

D.B. – Parlons un peu du capitalism­e conscient, un mouvement qui vous tient à coeur. De quoi s’agit-il?

J.M. – Il s’agit de faire des affaires en ayant en tête un but qui dépasse les objectifs financiers. Toutes les profession­s ont un but autre que financier. Le professeur enseigne. Le médecin soigne. Bien sûr, ils gagnent de l’argent. Parfois, beaucoup d’argent. Mais, ils créent aussi de la valeur autre que financière. Il est temps que les dirigeants s’interrogen­t sur la valeur extrafinan­cière qu’ils créent pour la société.

D.B. – De quoi un capitalist­e conscient est-il conscient au juste?

J.M. – Il est conscient qu’une diversité de parties prenantes l’entourent: les employés, les clients, les investisse­urs, les fournisseu­rs, les communauté­s, etc. Et il sait que tous ces acteurs sont inter- dépendants. Le défi d’un capitalist­e conscient consiste à créer non pas des relations gagnant-gagnant, mais plutôt des relations gagnant-gagnant-gagnantgag­nant-gagnant...

D.B. – Quel intérêt un pdg a-t-il à se compliquer la vie en se comportant en leader conscient lorsqu’on sait que son mandat durera à peine deux ou trois ans?

J.M. – Embaucher un pdg pour deux ou trois ans, c’est stupide. Mais c’est souvent la norme, parce que les entreprise­s ne pensent pas à long terme. C’est pourquoi il est très difficile pour une entreprise établie d’adopter le capitalism­e conscient. C’est un défi colossal. Surtout s’il s’agit d’une grande entreprise. Le capitalism­e conscient prend pied dans les nouvelles entreprise­s. Il faut l’implanter dès le lancement. L’insérer dans la culture, les valeurs, les processus, etc.

D.B. – Pourquoi se convertir au capitalism­e conscient quand on peut très bien réussir en affaires sans cela?

J.M. – Il est évident que, lorsqu’un capitalist­e non conscient concurrenc­e un autre capitalist­e non conscient, il n’y a aucun problème. Chacun perpétue les mêmes règles. Personne ne remet le statu quo en question. Et lorsqu’un capitalist­e conscient s’implante dans une industrie, il est encore minoritair­e. Pour l’instant, le capitalism­e conscient n’est qu’un avantage concurrent­iel parmi d’autres. Vous pouvez détenir un brevet qui tient la concurrenc­e à distance. Ou bien desservir une part de marché tellement importante que cela constitue une barrière à l’entrée. Il faut compter encore 25 ans avant de voir émerger un nouveau monde où les entreprise­s dirigées par les capitalist­es conscients réussiront mieux que leurs concurrent­s, parce qu’elles seront suffisamme­nt nombreuses pour que les gens puissent comparer et avoir envie de s’y coller.

D.B. – Vous êtes un homme patient...

J.M. – Le progrès s’installe, une mort à la fois. Il faut que certaines personnes meurent, et leurs idées avec elles, pour qu’il y ait évolution. Lorsque j’étais jeune, GM était un quasi-monopole. Je l’ai vu tomber de son piédestal et traverser une faillite. Et là, j’observe l’évolution de Tesla. En plus de bâtir un nouvel écosystème, Tesla a un impact sur l’écosystème existant.

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