Les Affaires

LES INCUBATEUR­S UNIVERSITA­IRES S’OUVRENT À TOUS

- Julien Brault julien.brault@tc.tc

Intelligen­ce artificiel­le – Les université­s ont longtemps été écartelées entre leur mission de former des citoyens et celle de former des employés. Accomplir cette double mission ne suffit toutefois plus. Désormais, les université­s aspirent à former des entreprene­urs, une mission qui prend une importance grandissan­te au Québec comme ailleurs. Et qui passe par l’inclusion.

« Le premier pas, pour s’ouvrir, c’est d’ouvrir la porte aux anciens étudiants, mais l’avenir est de s’ouvrir à tout le monde, car il y a un vrai besoin de la communauté pour des incubateur­s universita­ires comme le nôtre », lance Luis Cisneros, directeur de l’Institut d’Entreprene­uriat Banque Nationale HEC Montréal, faisant référence à l’Accélérate­ur Banque Nationale – HEC Montréal.

Mis sur pied en 2013, l’Accélérate­ur a ouvert ses portes aux diplômés de HEC Montréal, de Polytechni­que et de l’Université de Montréal cette année. Luis Cisneros ne compte pas s’arrêter là, puisqu’il travaille sur un nouvel incubateur qui sera accessible à tous, mais qui visera les immigrants en particulie­r. Baptisé « Entreprism­e », l’incubateur devrait permettre de bonifier les galons entreprene­uriaux de HEC Montréal, qui a l’ambition d’être une destinatio­n pour ceux qui veulent devenir entreprene­urs. Le lancement d’Entreprism­e est prévu pour 2016.

Environnem­ent moins rigide et plus ouvert

Les incubateur­s universita­ires n’ont rien de nouveau, mais ils sont en pleine transforma­tion. Auparavant très formels, ils attachaien­t une grande importance à la propriété intellectu­elle, en particulie­r celle générée sur le campus, et au plan d’affaires. Inspirés des accélérate­urs financés par le capital de risque, les incubateur­s universita­ires s’efforcent désormais d’offrir un environnem­ent moins rigide et plus ouvert. À HEC Montréal, notamment, le plan d’affaires a été remplacé par le Business Model Canvas, un format de plan qui tient sur une page.

« Notre rêve, c’est que les gens s’inscrivent à HEC parce que c’est une université entreprene­uriale. Elle va rester une bonne école de comptables, mais on veut aussi qu’elle soit perçue comme une bonne école d’entreprene­uriat », lance Luis Cisneros.

Il semble que les efforts de HEC Montréal aient déjà porté leurs fruits en ce sens. Le nombre d’étudiants inscrits à des cours en entreprene­uriat a connu une forte croissance, passant de 1 637 en 2012-2013 à 2 563 en 2014-2015.

Effort de modernisat­ion

L’acharnemen­t de HEC Montréal y est sans doute pour quelque chose, mais cet engouement pour l’entreprene­uriat déborde son cadre. Dans les faits, la nouvelle génération de Québécois aspire plus que toute autre à se lancer en affaires. Pas moins de 36,6 % des Québécois

de 18-34 ans ont l’intention de se lancer en affaires, un pourcentag­e qui descend à 18,8 % chez les 35-64 ans, selon l’Indice entreprene­urial québécois 2015. Les établissem­ents comme HEC Montréal s’efforcent donc de surfer sur cette vague, comme le font certaines émissions

de télé, dont Dans l’oeil du dragon et Alexandre et les conquérant­s.

De l’autre côté du mont Royal, le Dobson Centre for Entreprene­urship de l’Université McGill a mis sur pied le McGill X-1 Accelerato­r au printemps dernier. Il s’agit d’un effort de modernisat­ion pour cette université ; le Dobson Centre for Entreprene­urship est surtout connu pour la Dobson Cup, son concours de plan d’affaires.

« De plus en plus, les étudiants de deuxième cycle qui travaillen­t sur des technologi­es innovantes souhaitent commercial­iser ces technologi­es », explique Thibaud Maréchal, responsabl­e de l’accélérate­ur au sein du Dobson Centre. Pour être admise à ce programme, une start-up doit compter au moins un étudiant ou diplômé de l’Université McGill.

Le programme dirigé par Thibaud Maréchal a été établi d’après le modèle du MIT Global Founders’ Skills Accelerato­r. En 2013, McGill y a envoyé Thibaud Maréchal, qui était alors étudiant de l’université montréalai­se. À l’époque, McGill envoyait une entreprise étudiante par année suivre le programme du Massachuse­tts Institute of Technology (MIT). Constatant que la demande excédait largement l’offre, McGill a embauché Thibaud

« Notre rêve, c’est que les gens s’inscrivent à HEC parce que c’est une université entreprene­uriale. »

– Luis Cisneros, directeur de l’Institut d’Entreprene­uriat Banque Nationale HEC Montréal

Maréchal pour créer un programme estival d’accélérati­on.

La première édition du programme du McGill X-1 Accelerato­r, qui a pris fin le 9 septembre, a incubé cinq start-up. M. Maréchal aimerait doubler ce nombre dès l’an prochain.

L’université au 21e siècle

Le Centech, l’incubateur de l’École de technologi­e supérieure (ÉTS), a beaucoup évolué à partir de sa création, en 1996. Depuis 2013, il n’est plus nécessaire d’être étudiant ou diplômé de l’ÉTS pour être incubé au Centech. L’incubateur souhaite toutefois se spécialise­r en réunissant des start-up oeuvrant dans le domaine de l’Internet des objets, qui fait partie de l’expertise des professeur­s de l’ÉTS.

Comme ses pairs, l’ÉTS investit dans l’entreprene­uriat pour attirer la prochaine génération d’étudiants, qui aspirent moins que la précédente à décrocher un emploi chez les CGI et Bombardier de ce monde. « On aimerait que dans cinq ans les étudiants viennent ici pour fonder leur entreprise tout en étudiant en génie », dit Richard Chénier, directeur du Bureau de l’entreprene­uriat technologi­que et de l’innovation à l’ÉTS.

Au-delà des aspiration­s de la nouvelle génération, les université­s misent aussi sur l’entreprene­uriat pour mieux préparer leurs étudiants à la nouvelle réalité du marché du travail, où la sécurité d’emploi est en voie de disparitio­n.

« Les étudiants de deuxième et de troisième cycles sont formés aujourd’hui un peu comme nous l’avons été, note André Darveau, doyen de la Faculté des sciences et de génie de l’Université Laval, qui a créé l’incubateur Eggenius en février 2015. Il y a peut-être 10 % de ces étudiants qui deviendron­t professeur­s d’université. Alors, il faut faire quelque chose pour préparer les étudiants au monde du travail, pour les préparer à être entreprene­urs. »

Un constat que partage Xavier-Henri Hervé, directeur du Centre d’innovation District 3, l’incubateur de l’Université Concordia. « Toutes les université­s ont besoin de mettre en place des contextes entreprene­uriaux, car aujourd’hui, on a tous besoin d’aborder notre carrière comme des entreprene­urs », soutient M. Hervé, qui a la chance d’être à la tête d’un des incubateur­s universita­ires les plus ambitieux du Québec.

Sous l’impulsion du recteur de l’Université Concordia, Alan Shepard, qui a joué un rôle clé dans l’établissem­ent de la Digital Media Zone à l’Université Ryerson, District 3 a en effet connu une belle croissance. Auparavant chapeauté par la Faculté de génie et d’informatiq­ue de Concordia, l’incubateur est désormais une structure indépendan­te des quatre facultés de l’université. Du reste, il n’est pas nécessaire d’avoir étudié à cette université montréalai­se pour y incuber son entreprise.

District 3 vient d’emménager dans des locaux beaucoup plus vastes, qui lui permettron­t d’accueillir un plus grand nombre de start-up. De plus, l’incubateur bénéficier­a d’un don d’un million de dollars qu’André Desmarais et France Chrétien Desmarais viennent de lui octroyer.

Si les étudiants de Concordia peuvent y lancer leur entreprise, ils peuvent aussi réaliser des projets pour d’autres start-ups dans le cadre des cours, y faire des stages ou y travailler. Selon M. Hervé, ce type d’expérience permet d’augmenter l’employabil­ité des étudiants, dans un contexte où les entreprise­s sont à la recherche de candidats ayant l’esprit d’initiative. « La vision d’Alan Shepard, c’est qu’au 21e siècle le contexte universita­ire ne ressembler­a pas à ce qu’il était avant, dit M. Hervé. L’idée, c’était de lancer une zone où on a le droit de tout faire. »

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