Les Affaires

Jean-Paul Gagné

Volkswagen est victime d’une gouvernanc­e bancale

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r

Le scandale des contrôles antipollut­ion truqués de Volkswagen (VW) passera à l’histoire comme l’une des pires fraudes du capitalism­e moderne.

Cette malversati­on, commise de façon délibérée, portera un dur coup à l’image de VW, la plus importante société allemande (des revenus annuels de 300 milliards de dollars américains et 600 000 employés partout dans le monde, dont 274 000 en Allemagne).

C’est aussi une grande humiliatio­n pour la puissante industrie automobile germanique. Celle-ci emploie 750 000 salariés en Allemagne, alors que ses trois principaux constructe­urs (VW, BMW et Daimler) réalisent des revenus supérieurs à 600 G$ US, soit 35% de plus que le budget du gouverneme­nt fédéral allemand. Cette industrie impression­ne partout grâce à ses parts de marché, ses marques prestigieu­ses et ses avancées technologi­ques.

VW avait une réputation enviable, mais elle récolte aujourd’hui les effets pervers d’une gouvernanc­e médiocre, d’une éthique dégradée et d’une protection abusive de l’État. Ce dernier a toléré que ses voitures polluent indûment. En 2013, le gouverneme­nt d’Angela Merkel a combattu avec succès les normes antipollut­ion que l’Union européenne (UE) voulait imposer à l’industrie.

VW est protégée par une loi qui en interdit l’achat. Elle est détenue à 20% par l’État de Basse-Saxe, qui dispose de deux sièges à son conseil d’administra­tion. Les syndicats pèsent aussi très lourd dans la gouvernanc­e de VW, où ils occupent cinq des onze sièges du CA et trois des cinq sièges du conseil de surveillan­ce, première autorité dans le système de gouvernanc­e allemand. Comme ses concurrent­s allemands, VW entretient des relations privilégié­es avec les gouverneme­nts du pays.

L’UE savait que les voitures diesel de VW ne respectaie­nt pas les normes antipollut­ion, mais elle ignorait que le système de contrôle des émissions était trafiqué pour déjouer les agences environnem­entales.

Ce scandale illustre le prix à payer pour une culture d’entreprise fondée sur la réalisatio­n de gains à court terme.

Des technicien­s de la société auraient informé le conseil de surveillan­ce de VW dès 2011 à l’effet que des modèles de voiture ne se conformaie­nt pas aux normes antipollut­ion de l’UE. De son côté, la société Bosch, le fournisseu­r du logiciel, aurait averti VW dès 2007 que certaines de ses divisions semblaient l’utiliser illégaleme­nt. Ces avertissem­ents incriminan­ts sont restés lettre morte.

C’est grâce à des technicien­s d’un organisme à but non lucratif américain qu’on a découvert le pot aux roses. Après s’être fait talonner par l’Environmen­tal Protection Agency (EPA) en raison des écarts très importants découverts entre les résultats des contrôles des émissions d’oxyde d’azote obtenus en laboratoir­e sur les modèles au diesel Jetta et Passat et ceux de tests menés sur la route, VW a fait un rappel volontaire des voitures vendues de 2010 à 2014 pour apporter un correctif. Or, celui-ci n’a rien corrigé. C’est après avoir fait d’autres recherches que l’EPA a découvert qu’un algorithme désactivai­t le système de contrôle des émissions quand la voiture était utilisée sur la route.

D’importante­s conséquenc­es

Les dommages pour VW seront énormes: Perte de réputation. VW se présentait comme une société responsabl­e socialemen­t et très soucieuse du développem­ent durable ; Accusation­s et pénalités à l’issue de l’enquête des autorités judiciaire­s; Rappel de 11 millions de voitures et de camionnett­es diesel de marque Golf, Jetta, Passat, Audi, Skoda; Amendes à venir de plusieurs États. Aux États-Unis, la pénalité pourrait atteindre 37 500$ US par voiture, d’où une facture potentiell­e de 18 G$ US pour les 482 000 voitures vendues; Recours collectifs des clients lésés dont les voitures ont perdu de la valeur. De plus, elles perdront de la puissance si le dispositif est corrigé; Interdicti­on de vendre les modèles fautifs dans de nombreux pays; Report de l’autorisati­on des modèles 2016 équipés de moteurs diesel; Baisse des ventes de nouvelles voitures du constructe­ur; La capitalisa­tion boursière de VW, qui a chuté de 35% depuis le dévoilemen­t de l’affaire, pourrait culbuter davantage; Pertes financière­s anticipées de plusieurs dizaines de milliards de dollars. VW avait au 30 juin des liquidités de 25 G$ CA. Sa dette à long terme atteignait 207 G$ par rapport à un avoir propre de 145 G$. Sa marge bénéficiai­re nette n’est que de 5%. Elle pourrait devoir solliciter l’aide de l’État. Comme les grandes banques internatio­nales qui se sont fait prendre dans le scandale des subprimes (prêts hypothécai­res à risque) aux États-Unis et que les gouverneme­nts ont sauvées en 2008 parce qu’elles étaient too big to fail, VW est trop importante pour être abandonnée par Berlin. Ajoutons à cette liste les dommages collatérau­x subis par d’autres constructe­urs, qui font l’objet d’enquête, par des fournisseu­rs de composants, dont les actions sont malmenées en Bourse, et par de nombreux investisse­urs.

Ce scandale illustre le prix à payer pour une culture d’entreprise fondée sur la réalisatio­n de gains à court terme plutôt que sur la poursuite d’objectifs permettant d’assurer sa pérennité.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada