Les Affaires

François Pouliot

Metro et Jean Coutu : vers un triangle amoureux ?

- François Pouliot françois.pouliot@tc.tc Chroniqueu­r

Après avoir assisté pendant plusieurs mois aux spéculatio­ns sur un mariage entre Jean Coutu et Metro, serait-on sur le point d’en entendre de nouvelles portant sur un triangle amoureux? La question nous est venue à l’esprit, il y a quelques jours, après que Vishal Shreedhar, analyste de la Financière Banque Nationale, eut dit s’attendre à ce que Rexall, le bras de pharmacies canadienne­s de Katz Group, prenne dans un avenir indétermin­é le chemin de la vente au plus offrant.

Le commentair­e coïncide avec l’arrivée de Jürgen Schreiber aux commandes de Rexall et de ses 460 établissem­ents. M. Schreiber a été le grand patron de Shoppers Drug Mart pendant quatre ans (jusqu’en 2011). Il était auparavant chez A.S. Watson Group, une chaîne européenne de magasins de produits de santé et de beauté.

L’analyste dit croire qu’une partie de la rémunérati­on de M. Schreiber est basée sur l’attributio­n d’actions de Rexall, ce qui est un indicateur d’une éventuelle monétisati­on. Il se garde cependant de dire que cette monétisati­on est imminente.

Et il fait bien. Si on arrivait à la direction d’une entreprise, on commencera­it par essayer d’améliorer sa rentabilit­é avant de la mettre en vente, histoire d’obtenir un meilleur prix. Il pourrait donc s’écouler quelques années encore avant que l’écriteau « à vendre » ne soit accroché.

Reste qu’il y a longtemps qu’on avait entendu parler de la possibilit­é qu’un bloc important de pharmacies soit mis en vente.

Groupe Jean Coutu serait-il intéressé? Quelque chose nous dit que oui. Aurait-il une chance? Voyons voir. Des acteurs étrangers pourraient être intéressés, mais… Par « acteurs étrangers », on entend des entreprise­s comme Wal-Mart, Walgreens et CVS. Toutefois, les actifs de détail canadien sont aujourd’hui moins attrayants pour les entreprise­s étrangères, de sorte qu’il est peu probable que l’une d’entre elles soit intéressée. La fracassant­e sortie de Target en fait assurément réfléchir plusieurs. Le doute est probableme­nt encore plus grand dans le secteur des pharmacies.

Au cours des dernières années, les gouverneme­nts provinciau­x sont souvent intervenus avec des décrets qui ont pesé sur la rentabilit­é des établissem­ents. Quand on est habitué d’évoluer dans un libre marché, se lancer dans un encan pour un actif situé dans un marché plus ou moins libre n’est probableme­nt pas un automatism­e.

Cela nous ramène sur le marché national. Qui pourrait être intéressé? Loblaw ( L, 68,36 $) Peut-être, mais avec l’acquisitio­n de Shoppers Drug Mart, la chose risque de ne pas être simple. Le Bureau de la concurrenc­e a autorisé la fusion du plus grand épicier avec le plus grand pharmacien. Autoriser l’achat de Rexall serait autoriser un achat plus gros que Jean Coutu (460 établissem­ents par rapport à 416). Des reventes seraient vraisembla­blement nécessaire­s. L’attrait est moyen : faible probabilit­é de réalisatio­n. Empire ( EMP.A, 81,96 $) Meilleure probabilit­é de ce côté. C’est d’ailleurs la société que l’analyste Shreedhar voit comme celle ayant le plus de chance d’obtenir l’actif.

La société mère de Sobeys détient la bannière de pharmacies Lawton’s dans l’Atlantique, et Rexall n’a aucune pharmacie dans cette région. L’acquisitio­n permettrai­t une belle complément­arité. Il y a du dédoubleme­nt en Ontario avec les pharmacies intégrées aux épiceries Safeway, mais ce dédoubleme­nt est moins important que celui de Shoppers et ne devrait pas poser problème.

Empire a cependant de la difficulté à intégrer Safeway, qu’elle a payé cher en 2013, et dont la rentabilit­é a baissé. Si une offre devait survenir aujourd’hui, il n’est pas sûr que la société se lancerait avant tant de force. Il faudra voir la suite des choses avec Safeway. Metro ( MRU, 35,73 $) En 2013, Metro s’intéressai­t aussi à Safeway. Elle s’était fait coiffer au fil par Empire et estimait que celle-ci avait payé trop cher.

Discipliné­e, Metro n’en souhaite pas moins faire grandir ses activités de pharmacie (elle détient notamment Brunet). L’entreprise est actuelleme­nt confinée en Ontario et au Québec, dans des marchés de l’épicerie à maturité. Une présence accrue dans le secteur pharmaceut­ique lui ouvrirait un marché en croissance en raison du vieillisse­ment de la population. De plus, elle lui permettrai­t d’implanter une infrastruc­ture de distributi­on dans l’Ouest. Grâce à son bloc d’actions dans Alimentati­on Couche-Tard, l’argent n’est pas un problème.

Bonne probabilit­é de réalisatio­n.

Groupe Jean Coutu ( PJC.A, 19,91$) C’est évidemment l’acquéreur auquel on pense en premier lieu. L’analyste de la Financière Banque Nationale voit des difficulté­s dans le fait que le modèle de Jean Coutu en soit un de franchisés (les Rexall sont des magasins de type corporatif).

Ça n’a pas été un problème en 1994 lors de l’acquisitio­n de Brooks, qui a été un succès. Ça peut en avoir été un en 2004 avec l’achat des Eckerd, qui était couplé à un fort niveau d’endettemen­t. L’acquisitio­n de Rexall demanderai­t encore une fois des emprunts très élevés ou une émission d’actions. Mais Jean Coutu pourrait faire davantage grimper le bénéfice que tous les autres candidats, calcule Vishal Shreedhar.

Dans son livre Sans prescripti­on ni ordonnance, publié en 2010, Jean Coutu ne fermait pas la porte à une nouvelle aventure. Il qualifiait l’achat d’Eckerd de « rendez-vous reporté ». « Nous avons beaucoup appris de cette expérience et nous comptons bien demeurer vigilants afin qu’elle nous serve tout à la fois de tremplin et de balise lorsque de prochaines possibilit­és d’expansions en sol américain se présentero­nt à nous », écrivait-il.

C’est pour cela qu’on croit qu’un triangle amoureux se dessine entre Rexall et ses courtisans les plus probables, Jean Coutu et Metro.

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