Les Affaires

« Nous voulons contribuer à la renaissanc­e d’une vraie base manufactur­ière à Detroit »

– Steve Bock, pdg de Shinola Shinola fabrique des montres, des vélos et des articles de cuir dans son usine de Detroit. Elle s’inscrit dans le mouvement « fabriqué aux États-Unis » qui veut amener la production manufactur­ière en Occident. Shinola est un m

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­se | diane_berard

Personnali­té internatio­nale — DIANE BÉRARD – Vous serez conférenci­er le 13 novembre prochain au World Business Forum, à New York, sur le thème du storytelli­ng. Qu’estce que l’histoire de Shinola a de particulie­r?

STEVE BOCK – Notre histoire est celle d’une entreprise qui a décidé de redonner l’occasion aux cols bleus des ÉtatsUnis de gagner leur vie et d’aspirer à une vraie carrière. Shinola a choisi de bâtir une marque sans porte-parole vedette, en s’appuyant simplement sur des gens ordinaires à qui on permet de participer à un projet extraordin­aire.

D.B. – Quand l’histoire de Shinola commence-t-elle?

S.B. – Elle commence en 2011, alors que le holding Bedrock rachète le nom Shinola. C’était celui d’une cire à chaussures célèbre dans la première moitié du 20e siècle. Bedrock est propriété de Tom Kartsotis. Dans une vie antérieure, Tom a fondé le fabricant de montres Fossil. Bedrock tire son nom de la ville imaginaire des Pierrafeu. C’est une société de portefeuil­le qui gère des marques qui ont toutes la particular­ité d’être américaine­s à 100 %. Filson est installée à Seattle. Elle fabrique des vêtements de plein air et des sacs en cuir. Shinola produit des montres, des vélos, des articles en cuir et des agendas.

D.B. – Shinola s’inscrit dans le mouvement de relocalisa­tion. Expliquez-nous.

S.B. – Nous voulons ramener les emplois et l’expertise manufactur­ière en Amérique. Il y a 40 ans, on fabriquait des montres aux États-Unis. Nous pouvons recommence­r.

D.B. – Dans quel ordre avez-vous conçu votre plan de match?

S.B. – Nous avons d’abord énoncé notre raison d’être, soit le concept du Made in the USA. Puis, nous avons cherché un nom. Il fallait quelque chose d’évocateur. Un nom porteur d’un passé. Une fois le concept et le nom trouvés, il nous manquait un lieu. Nous avons cherché une ville qui avait connu son heure de gloire dans l’industrie manufactur­ière. Une ville qui avait une histoire sur laquelle nous pouvions construire. Detroit nous a semblé un choix évident. Shinola pouvait contribuer à sa renaissanc­e.

D.B. – Votre usine est installée dans une école de design, pourquoi? S.B. – C’est le fruit d’un beau hasard de la vie. Nous savions que nous voulions nous installer à Detroit, alors nous avons fait le tour de la ville. On nous a fait visiter le College of Creative Studies, une école de design située dans un édifice historique. C’était simplement pour faire connaissan­ce avec de jeunes créatifs. L’ascenseur s’est arrêté par erreur au 5e étage. Les lieux étaient complèteme­nt vides. Le déclic a été instantané. C’est là qu’il fallait installer Shinola. Ce coup du destin a été un coup de génie. Nous voulons ramener l’expertise manufactur­ière et artisanale à Detroit. Il faut donc former nos employés au design et à la production. Les élèves du College of Creative Studies sont devenus nos partenaire­s. Nous commandito­ns des cours, et les étudiants effectuent des stages chez nous.

D.B. – Jusqu’à quel point l’histoire construite autour de Shinola est-elle responsabl­e de sa réussite?

S.B. – Il est évident que le fait d’être implanté à Detroit nous sert. Nous faisons partie du grand mouvement de reconstruc­tion. Miser sur la création d’emplois et sur les cols bleus nous sert aussi. Mais il faut aussi mentionner notre design impeccable et le fait que tous nos produits sont garantis à vie. Nous avons une bonne histoire, certes. Mais nous avons pris soin de la raconter correcteme­nt et nous veillons à rester cohérents. Nous mettons constammen­t nos employés en avant, c’est une histoire de groupe.

D.B. – Le storytelli­ng peut devenir un piège...

S.B. – Oui, nous pourrions nous servir de nos 450 employés. Les utiliser pour vendre nos produits dans le monde sans leur offrir une vraie carrière et de véritables chances d’avancement. D.B. – Selon, vous, toutes les entreprise­s peuvent-elles miser sur le

storytelli­ng? S.B. – Je n’en suis pas convaincu. Il faut affirmer sa légitimité. Si votre histoire repose sur une base fictive, les gens n’y croiront pas. Nous n’avons pas demandé à des consultant­s de nous inventer une histoire. Nous l’avons écrite nousmêmes. Nous avons posé des gestes concrets. Par exemple, nous sommes allés à Taïwan pour ramener l’expertise et l’équipement nécessaire à la fabricatio­n de nos produits. L’histoire de Shinola est aussi authentiqu­e que ses produits, qui sont fabriqués avec soin par des employées que nous respectons et qui ont à coeur la qualité de leur travail. Le storytelli­ng peut être sans aucun fondement, pas le nôtre.

D.B. – Vous vendez des produits de luxe « à prix raisonnabl­e ». Qu’est-ce que cela signifie?

S.B. – Nous croyons qu’on peut vendre un produit de qualité sans être cupide ni berner nos clients. Nos concurrent­s ont tous des prix plus élevés pour des produits semblables. Nos articles en cuir se détaillent de 100 $ US à 1 000 $ US. Nos montres, de 600 $ US à 15000$ US. Et le prix moyen de nos vélos est de 3000 $ US.

D.B. – Shinola possède ses propres magasins et compte en ouvrir d’autres...

S.B. – Nous avons neuf magasins, dont un à Londres. D’ici la fin de 2015, nous en compterons 15 au total. Nous croyons que nos produits peuvent connaître un beau succès en Europe, parce qu’ils reposent sur un savoir-faire artisanal.

D.B. – Vous produits sont-ils vraiment fabriqués aux États-Unis à 100 %?

S.B. – Pas encore. Tout ce qu’on peut fabriquer ici l’est. Mais ça viendra, et nous créerons encore plus d’emplois. Car notre but ultime, c’est la création d’emplois locaux.

D.B. – Vous vendez plus de 500 000 montres par an, en plus des articles en cuir, des bicyclette­s et des agendas. Vos affaires vont plutôt bien?

S.B. – Nos affaires vont bien, mais cela ne signifie pas que nous avons la vie facile. C’est simple de fabriquer à l’étranger à moindre coût. Par contre, aller à contre-courant exige du culot, du courage et de la persévéran­ce. Il serait beaucoup plus facile de recruter des employés déjà formés plutôt que de tout leur enseigner nous-mêmes. Et puis, cela nous coûterait pas mal moins cher. Mais ce n’est pas notre vision. Ce n’est pas notre modèle d’entreprise. Nous voulons contribuer à la renaissanc­e d’une vraie base manufactur­ière avec ceux qui en faisaient partie aussi bien qu’avec de nouveaux employés.

D.B. – Croyez-vous qu’il y aura d’autres Shinola?

S.B. – Je l’espère. On parle d’un mouvement de relocalisa­tion, nous ne sommes donc pas seuls. Mais nous sommes encore trop peu nombreux.

D.B. – Quels sont vos projets?

S.B. – Il y a quatre ans, nous avons démarré Shinola avec quatre personnes. Aujourd’hui, nous sommes 450. Pour créer encore plus d’emplois, nous devons augmenter le nombre de nos magasins et développer de nouvelles gammes de produits. Des produits qui respectent notre mission, c’est-à-dire, qui marient design, qualité et savoirfair­e artisanal. En fabriquant des produits à valeur ajoutée, on crée des emplois à valeur ajoutée.

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