Les Affaires

La glisse ultime sur l’or blanc

- Claudine Hébert redactionl­esaffaires@tc.tc

Déjà cinq minutes que l’hélicoptèr­e a décollé de la station de ski Portillo, au Chili. L’engin survole maintenant les pics enneigés de la cordillère des Andes. Outre le pilote et le guide, nous sommes quatre skieurs et planchiste­s à bord. Nous sommes nerveux, excités ; notre coeur bat la chamade.

Pour détendre l’atmosphère, le guide nous invite à regarder à droite de l’appareil. Une mer de montagnes s’étend à l’horizon. Parmi elles, le mont Aconcagua, le colosse des Amériques, pointe fièrement sa cime de 6 962 mètres d’altitude vers un ciel bleu sans nuages.

Pendant que nous admirons ce joyau de l’hémisphère Sud, le pilote repère un drapeau rouge perché à 4 000 mètres d’altitude. Et voilà, le moment est venu. Quelque part entre le Chili et l’Argentine, l’hélico amorce sa première descente et se pose doucement sur une crête. Entourés de parois rocheuses et de couloirs gorgés de neige poudreuse intacte, nous commençons notre aventure: la plus ultime des sorties de glisse.

Se retrouver dans la cour des volcans sud-américains en plein mois d’août, dans les montagnes Chugach, en Alaska, ou dans la chaîne Purcell, en Colombie-Britanniqu­e – berceau de l’héliski –, des endroits qu’on peut atteindre uniquement par la voie des airs, est une expérience qui marque pour la vie.

Une fois l’hélico reparti, nous voilà, papillons dans l’estomac, plongés dans un silence absolu. Seuls la respiratio­n et le bruissemen­t des skis (ou de la planche) sur les cristaux de neige viennent troubler cette paix.

« Une journée en héliski est un moment unique. On doit se pincer régulièrem­ent pour s’assurer qu’on ne rêve pas », raconte Bernard Gendron, propriétai­re fondateur de l’agence de voyages Gendron. Bien qu’il ait vécu l’expérience du ski héliporté plusieurs fois, il garde chaque sortie gravée dans sa mémoire.

Selon les endroits, il faut débourser de 850$ à 1 500$ par jour pour une sortie en ski héliporté. Parfois plus.

En avril dernier, pour souligner son 50e anniversai­re, la britanno-colombienn­e Canadian Mountain Holidays (CMH), la plus grande entreprise d’héliski du monde, a offert un forfait de luxe d’une durée de sept jours dans un de ses 11 chalets privés. Pour la somme de 549 000$, un groupe de 10 clients a eu droit à un transport en jet privé à partir de New York, des descentes illimitées dans la chaîne des Cariboo, des repas avec vin assorti et un équipement cadeau qui incluait skis (ou planche à neige), manteau, pantalon, lunette de ski et gants.

De plus en plus de mordus

Depuis une quinzaine d’années, Bernard Gendron a vu grandir l’intérêt des Québécois pour l’héliski, un sport qui n’est plus réservé aux skieurs de niveau extrême. Grâce aux fat skis, des skis d’une dizaine de centimètre­s de largeur qui permettent de flotter sur la neige, les skieurs intermédia­ires peuvent désormais accéder à ces terrains vierges en altitude. D’une poignée de skieurs au début des années 2000, ils sont aujourd’hui une centaine par année à réserver leur forfait par l’intermédia­ire de l’agence de voyages.

Les plus en forme, particuliè­rement les Européens, optent encore pour le séjour d’une semaine à 10 000$ (14 000$ en haute saison) comprenant l’hébergemen­t et les trois repas par jour. Quant à la clientèle nord-américaine, elle penche plutôt pour les courts séjours. Par manque de temps et... d’endurance. « Aujourd’hui, les skieurs qui ont les moyens d’effectuer ce type de voyages frisent généraleme­nt la cinquantai­ne et plus. Après une, deux ou au maximum trois journées de ski horspiste dans les jambes, de surcroît en haute altitude, le skieur en a eu amplement pour son argent… », constate le voyagiste.

Habituelle­ment, une sortie en héliski représente une dizaine de descentes faisant de 20 000 à 30 000 pieds de verticale, l’équivalent du même nombre de descentes au Massif de Charlevoix dans la grosse poudreuse.

Pas de file d’attente, personne qui risque de vous couper et le privilège de laisser votre trace dans la neige profonde à chaque descente. Aucune station de ski ne peut recréer une telle ambiance. Même les plus grands domaines du globe ne sont pas aussi spacieux.

Prenez l’exemple du Bella Coola Heli Sports, en ColombieBr­itannique, copropriét­é du Québécois Christian Bégin (ne pas confondre avec le comédien). « Nos deux domaines totalisent plus de 10 700 km². C’est 90 fois la taille du plus grand domaine skiable du monde, les Trois Vallées, en France. Avec nos trois chalets dispersés, qui peuvent accueillir deux groupes de 8 et un autre de 16 personnes, chaque skieur bénéficie d’un terrain de jeu de 290 km², soit l’équivalent de 9 stations de Whistler Blackcomb », indique le skieur et producteur de films de ski, originaire de Cap-Rouge. Son entreprise a d’ailleurs été l’une des premières à proposer des forfaits privés d’héliski au début des années 2000.

La Colombie-Britanniqu­e, paradis de l’héliski

Depuis 1965, la Colombie-Britanniqu­e s’affiche justement comme l’eldorado du ski héliporté. Le produit n’a cessé de se raffiner pour chouchoute­r les skieurs avides de sensations fortes. La province compte aujourd’hui plus d’une vingtaine d’entreprise­s offrant l’héliski. Plusieurs d’entre elles proposent des chalets en arrière-pays accessible­s seulement en hélicoptèr­e. C’est le cas notamment de CMH, dont 9 des 11 chalets ne sont desservis par aucune route d’accès. Foi de Ski Magazine, la bible des skieurs, l’un de ces chics bâtiments, le Valemont, figure parmi les cinq chalets de ski les plus luxueux de la planète.

Le produit Mike Wiegele Helicopter Skiing, à Blue River, situé à deux heures de route, au nord de Kamloops, impression­ne lui aussi. Ce skieur d’origine autrichien­ne a bâti un village exclusif d’une vingtaine de chalets en bois rond avec Jacuzzi, foyer au bois et balcon pour traiter sa clientèle aux petits oignons. L’endroit, qui peut accueillir une centaine de skieurs à la fois, dispose d’un spa et d’un large centre de conditionn­ement physique. Ajoutez un chef suisse dont les créations émerveille­nt les papilles, une carte des vins du monde entier, 10 hélicoptèr­es qui couvrent 4 856 km² : c’est le bonheur total. « Il y a aussi un médecin à temps plein sur place pendant la saison », précise Jessica Pearce, directrice des ventes et du marketing chez Mike Wiegele.

La province du Pacifique se distingue également sur la scène mondiale avec son produit « catski ». Cette autre formule de ski hors-piste invite une douzaine de skieurs à bord d’une autoneige à chenilles. L’avantage avec ce véhicule, c’est qu’il peut sortir en montagne beau temps, mauvais temps. Ce que l’hélicoptèr­e ne peut pas faire. Les jours de grand vent, et surtout de ciel couvert, obligent les opérateurs d’héliski à annuler leurs activités quotidienn­es pour des raisons de sécurité.

Le catski a longtemps coûté moins cher de moitié que la sortie en ski héliporté. Certains ont même surnommé l’activité « l’héliski des pauvres ». Mais l’écart de prix entre les deux produits tend maintenant à diminuer en raison du raffinemen­t des chalets : grands chefs aux fourneaux, caves à vin bien garnies et spas luxueux. Un séjour en haute saison au centre de villégiatu­re Mustang Powder, dans les Monashee, coûte aussi cher qu’un voyage de ski en hélicoptèr­e. Quelle que soit la façon d’y accéder, la poudreuse en haute montagne constitue un produit de luxe. Après tout, c’est de l’or blanc.

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Les deux domaines desservis par Bella Coola Heli Sports en Colombie-Britanniqu­e totalisent plus de 10 700 km2, soit 90 fois la taille du plus grand domaine skiable du monde, situé en France.

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