Les Affaires

Jean-Paul Gagné

Bombardier doit revoir la structure de son capital-actions

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | gagnejp

Réglons tout d’abord la question de l’opportunit­é pour le gouverneme­nt du Québec de soutenir financière­ment ou non le CSeries de Bombardier. La réponse est oui, pour plusieurs raisons: Bombardier ne peut, seule, poursuivre le développem­ent et la commercial­isation du programme CSeries. Elle avait, au 30 septembre, des dettes à long terme de 20,4 milliards de dollars et un avoir propre négatif de 4,8 G$, par rapport à une capitalisa­tion boursière de 3,7 G$. Son encaisse était de 3 G$ et ses facilités de crédit, de 1,7 G$, une situation qui lui permet de respirer un certain temps. Troisième avionneur du monde derrière Airbus et Boeing, Bombardier est le chef de file canadien de l’industrie aéronautiq­ue, qui compte 40000 emplois au Québec. Sa division aéronautiq­ue fournit 20 000 emplois au pays, dont 16 000 au Québec et 1 700 relativeme­nt au CSeries. Il est vrai que Bombardier a pris un très grand risque en lançant plusieurs programmes à la fois, dont le CSeries. Mais un fait demeure: ces avions sont dotés d’une technologi­e avancée, sont moins énergivore­s et plus silencieux que ceux des familles 320 d’Airbus et 737 de Boeing. Malheureus­ement, le retard de deux ans dans la mise en service du premier avion, le CS100, a refroidi l’appétit des sociétés aériennes pour le CSeries et a permis à ses deux rivaux de rendre leurs avions plus performant­s. Le CS100 sera en retard de trois ans, comme le 787 de Boeing. Les ventes fermes du CSeries sont de 243 avions. En tenant compte des options d’achat, des lettres d’intention et des commandes conditionn­elles, le carnet de commandes fermes et potentiell­es atteint 603 exemplaire­s. Toutefois, aucune commande ferme n’a été passée depuis un an, d’où le besoin pressant de rassurer les acheteurs potentiels qui doivent savoir que Bombardier pourra offrir un service après-vente pour ces avions. Le CS100, le plus petit des deux modèles avec une capacité de 100 à 119 passagers, doit obtenir sa certificat­ion d’ici la fin de 2015. Il compte 2 800 heures d’essai en vol, et 90% du programme de certificat­ion est réalisé. SWISS doit amorcer ses premiers vols commerciau­x avec le CS100 au premier semestre de 2016. Les essais ont débuté sur le CS300 (capacité de 149 passagers) qui doit recevoir sa certificat­ion à l’été 2016. Bombardier a déjà investi 5,7 G$ dans le développem­ent du CSeries, soit un dépassemen­t de 1,3 G$. Une réévaluati­on du programme porte son coût total à 7 G$, pour lequel une perte de dépréciati­on de 4,2 G$ a été prise. Serait-ce responsabl­e de tout laisser tomber après que tant d’argent et d’effort ont été consacrés à développer cet avion d’avant-garde? La réponse est non. La nouvelle direction qui a été mise en place prend des décisions pertinente­s. Il faut aussi reconnaîtr­e que l’industrie aéronautiq­ue est soutenue par les États partout dans le monde (voir autre texte). Selon le rapport « Examen de l’aérospatia­le », une initiative mandatée par le gouverneme­nt du Canada, la part de la R-D payée par l’État dans l’industrie aérospatia­le en 2009 était de 62% aux États-Unis, de 39% en Allemagne, de 27% en France et de seulement 16% au Canada. Et nous pouvons être certains que la Chine et la Russie investisse­nt massivemen­t pour développer leurs nouveaux avions. En injectant 1,3 G$ directemen­t dans le CSeries, le gouverneme­nt québécois s’assure que cet argent ne servira pas à d’autres fins. Le programme sera désormais géré par une société en commandite qu’il détiendra à 49,5% et dont le siège social et toutes les fonctions principale­s (finance, ingénierie, exploitati­on, etc.) resteront au Québec pour au moins 20 ans. Le gouverneme­nt recevra des bons de souscripti­on permettant d’acheter 200 millions d’actions de Bombardier à 2,21$. Le CSeries aurait besoin d’un autre milliard de dollars pour terminer son programme de développem­ent. D’où le lobbying intense qui s’exerce auprès du gouverneme­nt fédéral pour l’amener à soutenir lui aussi le CSeries.

Revoir la structure du capital-actions

Le géant montréalai­s n’est pas au bout de ses peines. Il compte récolter de 1 à 2 G$ d’une émission d’actions de sa division Transport, qui réalise des revenus annuels de 10 à 11 G$ et dont le carnet de commandes est de 40 G$. Bombardier doit aussi accroître son efficacité au sein de ses deux divisions et peut-être même vendre d’autres actifs.

Puisque son action subalterne ne vaut plus que 1,40$, par rapport à 2,21$ lors de l’émission de février dernier, l’entreprise ne peut pas émettre de nouvelles actions sans risquer de voir son titre tomber sous 1$ ou de devoir consolider son capital-actions.

Si Québec exerce un jour ses bons de souscripti­on, les familles Bombardier et Beaudoin, qui possèdent 85% des actions à dix droits de vote de Bombardier, contrôlero­nt encore 51,5% de tous les droits de vote tout en ne possédant que 12,6% du capital-actions.

Cette situation représente un irritant pour des investisse­urs institutio­nnels, dont la Caisse de dépôt. Le financemen­t de Bombardier serait facilité si les familles fondatrice­s relâchaien­t leur emprise sur cette société qui, dans les faits, ne leur appartient plus.

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