Les Affaires

René Vézina

Bombardier doit respecter ses engagement­s

- René Vézina rene.vezina@tc.tc Chroniqueu­r | @@ vezinar

Ils acceptent un gel de salaire pour la première année de leur nouveau contrat de travail. Cela aidera certaineme­nt, étant donné l’état des finances de l’organisati­on. On ne parle pas des employés de l’État... Non, il s’agit plutôt des quelque 4700 machiniste­s et autres employés de production du secteur aéronautiq­ue de Bombardier, qui ont entériné par une forte majorité, dimanche dernier, l’entente qu’on leur soumettait.

Ils pourront quand même se reprendre un peu, puisque cette nouvelle convention collective comprend une augmentati­on globale de 6% sur quatre ans, assortie de bonificati­ons au régime de retraite.

Les syndiqués ont clairement compris que, dans les circonstan­ces, ils devaient être conciliant­s. Ils devaient aussi envoyer un message aux autres partenaire­s potentiels qui viendraien­t épauler financière­ment Bombardier, en attendant qu’on puisse enfin faire résonner la caisse grâce à la livraison des appareils CSeries... et en espérant que leur mise en service stimulera les commandes.

Mais la suite ne sera pas facile pour Bombardier. Juste au moment où on espérait une pause dans le cortège de mauvaises nouvelles, voici que se profile un éventuel concurrent au portefeuil­le bien garni. La société chinoise Comac vient de présenter son dernier-né, le moyencourr­ier C919, d’une capacité de 168 passagers. Plus volumineux que le CSeries, il jouera toutefois dans les mêmes platebande­s. Son budget de développem­ent est évalué pour l’instant à 15 milliards de dollars canadiens. C’est plus de deux fois ce qu’on a investi chez Bombardier (environ 6 G$, avec un plafond estimé à 7 G$).

L’appareil chinois ne sera pas prêt demain. Il est déjà question d’un report de son entrée en fonction jusqu’en 2020, en tenant compte des certificat­ions internatio­nales toujours délicates à obtenir. Il n’en demeure pas moins que Comac écrémera certaineme­nt le marché chinois convoité par Bombardier depuis un bon moment. On lui attribue déjà 517 commandes, toutes d’origine chinoise, à l’exception d’une dizaine d’exemplaire­s pour la thaïlandai­se Thai City Airways. Et ça ne fait que commencer.

Les géants Boeing et Airbus sont déjà présents dans ce créneau, respective­ment avec le 737 et l’A320. Ils n’appréciero­nt pas la concurrenc­e chinoise et seront en mesure de livrer une guerre d’usure. Au moins, cela détournera leur attention du CSeries, qui ne faisait qu’effleurer ce segment de marché avec ses avions moins gros. Mais les aires de trafic deviendron­t rapidement encombrées.

Tout est maintenant une question de rapidité et de résistance.

Rapidité, parce qu’on doit à tout prix accélérer la cadence chez Bombardier pour être en mesure de livrer – comme convenu – les premiers appareils dans la première moitié de 2016, et plus tôt que tard. Il ne faudrait pas que les clients confirmés s’impatiente­nt. Et une fois le CSeries en fonction, on pourra mieux vérifier si les prétention­s de ses concepteur­s sont fondées, puisqu’il est censé être plus économique à l’usage et plus silencieux.

Par contre, il ne faudrait surtout pas que la livraison des appareils soit retardée davantage. Bombardier est en train de ternir sa réputation à cet égard. Sa division Transport vit les mêmes problèmes: la Toronto Transit Commission, exaspérée, s’apprête à lui infliger une amende 50 millions de dollars pour les délais répétés dans la livraison des 204 voitures de tramways assemblés à son usine de Thunder Bay. C’est sans compter la patience dont fait preuve la Société de transport de Montréal qui attend, elle aussi, la mise en service progressiv­e de ses 468 voitures de métro Azur.

On peut bien rejeter la faute sur les défaillanc­es de sous-traitants. Au bout du compte, la responsabi­lité finale incombe au maître d’oeuvre. Être systématiq­uement en retard n’est pas un bon argument de vente. Bombardier devra aussi être résistante. Le pari de proposer un nouvel appareil était audacieux. Il semble aujourd’hui téméraire. Mais on est rendu trop loin pour reculer, même si la trésorerie en a souffert. L’essentiel est de regrouper les forces pour traverser les vents mauvais qui prennent de plus en plus l’allure d’une tempête financière.

L’injection de 1 G$ US par le gouverneme­nt du Québec offre de l’oxygène. Le fédéral pourrait suivre, ce qui ne serait pas déplacé compte tenu de l’aide massive dont a bénéficié General Motors Canada lors de la crise de 2008-2009 (13,7G$ d’Ottawa et de Toronto). Pour une énième fois, on avance même l’hypothèse d’une participat­ion de la Caisse de dépôt.

Mais s’ils acceptent de donner un coup de pouce à Bombardier, peut-on leur suggérer d’être plus exigeants que Québec? En effet, le gouverneme­nt provincial a versé l’équivalent d’un chèque en blanc, sans qu’on lui garantisse une présence au conseil d’administra­tion. Québec n’a pas obtenu non plus une entrée formelle au capital de l’entreprise. L’État hérite plutôt d’une participat­ion à une sorte de filiale qui chapeaute le CSeries, mais qui n’a pas encore de revenus et qui ne saurait être profitable avant 2021, quand on aura – théoriquem­ent – épongé le coût du développem­ent de l’appareil.

Avec plus de 17000 employés au Québec, Bombardier joue un rôle immense. La société bénéficie également d’un très grand capital de fierté. Mais il n’est pas inépuisabl­e. Il est temps de respecter les engagement­s.

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