Les Affaires

Le petit guide financier de l’investisse­ur

Un investisse­ur doit toujours se demander les raisons qui se cachent derrière les variations qu’on observe dans les résultats.

- Stéphane Rolland stephane.rolland@tc.tc srolland_la

Le bénéfice par action

Le bénéfice divisé par le nombre d’actions d’une entreprise est un outil « simple » pour évaluer la valeur d’un titre, affirme Steve Deschesnes, portefeuil­liste de Disnat GPS, le portefeuil­le modèle de Desjardins courtage en ligne. C’est d’ailleurs à ce bénéfice par action que les médias font généraleme­nt référence lorsqu’ils écrivent que les résultats d’une société sont « meilleurs que prévu » ou « inférieurs aux attentes des analystes ». Selon l’entreprise, les analystes utilisent parfois un bénéfice qui peut exclure certains éléments exceptionn­els. Ceux-ci peuvent varier d’une entreprise à l’autre ou d’une situation à l’autre.

En consultant les prévisions des analystes, on peut en conclure que l’action d’Apple (Nasdaq, AAPL) est moins chère que la moyenne des actions des grandes sociétés américaine­s, cite en exemple le gestionnai­re de portefeuil­le. À 12 fois le bénéfice de 2016, le titre se négocie à une aubaine par rapport au prix du S&P 500, à 16 fois, du moins si les prévisions des analystes sont exactes. « Dans cet exemple, on paierait 16$ pour 1$ de bénéfice des entreprise­s inscrites au S&P 500 en 2016. En comparaiso­n, le prix sera de 12$ pour Apple », poursuit M. Deschesnes.

Flux de trésorerie et amortissem­ent

Toutefois, le bénéfice net ne traduit pas nécessaire­ment ce qui se passe réellement dans les coffres d’une entreprise, nuance Louise Martel, professeur­e au Départemen­t de sciences comptables de HEC Montréal. En fait, il tient compte des amortissem­ents, qui sont une estimation plutôt que la réalité.

Supposons qu’une entreprise ait acheté un immeuble d’une valeur d’un million de dollars et qu’elle en amortisse 5% chaque année. Dans cet exemple, l’entreprise retirerait 50 000$ à son bénéfice pour prendre en compte l’amortissem­ent de l’immeuble. « Dans les faits, c’est zéro dollar qui a été déboursé, explique Mme Martel. L’entreprise a encore les 50 000$ à sa dispositio­n. »

C’est pour cette raison que les flux de trésorerie disponible­s viennent compléter le tableau. Cet indicateur mesure l’argent qu’une entreprise a à sa dispositio­n après avoir prévu les sommes nécessaire­s à la poursuite de ses activités. Elle permet d’évaluer la viabilité financière d’une entreprise. De plus, elle donne des indication­s sur les ressources à sa dispositio­n pour financer une acquisitio­n ou payer un dividende.

La différence entre le bénéfice net et les flux de trésorerie peut être visible pour une entreprise comme Groupe CGI (Tor., GIB.A), illustre Marc Gagnon, gestionnai­re de portefeuil­le de l’Industriel­le Alliance. Après ses acquisitio­ns, le spécialist­e en informatiq­ue montréalai­s doit amortir la valeur de l’écart d’acquisitio­n (la prime que l’on paie parfois pour mettre la main sur un actif en contrepart­ie d’avantages futurs, comme les synergies éventuelle­s ou l’acquisitio­n d’un savoir-faire technologi­que). Cette opération influera sur les bénéfices, mais pas sur les flux de trésorerie. Cela dit, les flux de trésorerie d’une entreprise et son bénéfice net suivront généraleme­nt plus ou moins la même trajectoir­e à long terme, précise le gestionnai­re de portefeuil­le. Les deux peuvent être lus de façon complément­aire afin de confirmer une tendance.

L’investisse­ur doit cependant faire attention de bien comprendre la distinctio­n entre un amortissem­ent et une dépréciati­on, ajoute Steve Deschenes. La dépréciati­on d’un actif est utilisée notamment par les compagnies minières et pétrolière­s. « Supposons que vous ayez un immeuble de 20 étages et que vous amortissie­z 1/20 de la valeur de votre immeuble. Vous avez encore un étage. Si une pétrolière extrait le vingtième de son puits, elle en déprécie 1/20 de sa valeur. Contrairem­ent à l’immeuble, ce vingtième est parti; il n’existe plus. »

Cette informatio­n peut avoir des conséquenc­es importante­s pour certains titres de dividendes. « À l’époque des fiducies, je me souviens que les fiducies de pétrole et gaz versaient en moyenne un dividende de 14 à 15%, soit 5 à 7 points de pourcentag­e de plus que les autres secteurs en moyenne, raconte M. Deschenes. Les gens ne comprenaie­nt pas qu’une partie de cette distributi­on équivalait à une partie du capital remis aux actionnair­es. C’était en fait un retour de capital. »

Le bénéfice net ne dit pas tout. D’autres indicateur­s peuvent aider les investisse­urs à avoir un portrait plus complet de la rentabilit­é d’une entreprise. En ce mois de la littératie financière, nous démystifio­ns les principale­s lignes des résultats financiers afin de vous aider à vous y retrouver dans ces colonnes de chiffres. Les amortissem­ents ne représente­nt pas nécessaire­ment une véritable sortie de fonds.

BAIIA

Le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissem­ent (BAIIA) est une autre mesure de la rentabilit­é souvent citée dans la presse financière. Il permet d’évaluer la rentabilit­é des activités d’une entreprise sans tenir compte d’éléments qui n’ont pas de lien avec ses activités, comme le service de la dette, le taux d’imposition et l’amortissem­ent. Quel est l’intérêt de se pencher sur une mesure tronquée?

Exclure ces éléments permet de comparer des entreprise­s semblables sur un pied d’égalité, explique Mme Martel. L’idée est de voir comment se portent les activités courantes d’une société sans tenir compte des éléments externes comme son service de la dette ou son taux d’imposition. « Cette mesure pourrait servir pour comparer deux entreprise­s du même secteur, mais situées dans un pays différent, poursuit la professeur­e. L’une paie moins d’impôt, mais ça ne veut pas dire que c’est celle dont les activités se portent le mieux. »

M. Deschenes s’intéresse « très peu » au BAIIA dans son analyse. Il note toutefois que cette mesure est très utilisée par les analystes suivant les entreprise­s de télécommun­ication. « Dans ce secteur, bien des acteurs ont recours à l’endettemen­t, car la direction estime qu’elle peut obtenir un meilleur rendement que le service de la dette. »

Il donne l’exemple de BCE (Tor., BCE) et de Rogers (Tor., RCI.B). Rogers a un ratio d’endettemen­t près de trois fois plus élevé que celui de BCE. « Est-ce qu’on peut dire que le dirigeant de Rogers est meilleur s’il réussit à générer un rendement supérieur grâce à l’effet de levier? Ça dépend de votre dispositio­n à prendre plus de risques ou non », explique le gestionnai­re de portefeuil­le.

Des impôts élevés, un indicateur rassurant?

Le taux d’imposition est aussi un indicateur de la rentabilit­é d’une entreprise. En théorie, moins une société paie d’impôt, mieux l’actionnair­e se portera. En réalité, une société qui paie beaucoup d’impôt envoie un signal positif au marché: elle fait de l’argent, nuance M. Deschesnes.

Le gestionnai­re se souvient avoir eu cette réflexion lorsqu’il a analysé le cas de H&R Block (NY, HRB) il y a une dizaine d’années. À l’époque, le spécialist­e des déclaratio­ns de revenus payait le taux d’imposition le plus élevé depuis plusieurs années. « Mon analyse était achevée à 95%, raconte-t-il. Cette société connaît les trucs pour payer moins d’impôt, mais elle n’y parvient pas parce qu’elle fait trop d’argent. »

Le bénéfice net est une « opinion comptable », poursuit le gestionnai­re de portefeuil­le. En comparaiso­n, le calcul de l’impôt est régi par « des règles comptables obligatoir­es ». « Ce n’est peut-être pas les meilleures, mais on ne peut pas les truquer et exclure les dépenses qui font son affaire », ajoute-t-il. Évidemment, la direction tentera de réduire autant que possible la ponction fiscale. Avec l’expertise à la dispositio­n des sociétés, le gestionnai­re de portefeuil­le tient pour acquis que c’est ce qu’elles font.

Une entreprise qui ne paie pas d’impôt devrait vous mettre la puce à l’oreille. M. Deschenes cite le cas d’Enron qui dévoilait des bénéfices « faramineux », mais qui déclarait des pertes fiscales. « Nortel, également, ne payait pas d’impôt depuis 1996, raconte le gestionnai­re. Ça ne permettait pas nécessaire­ment d’anticiper ce qui est arrivé, mais ça pouvait au moins soulever des doutes. »

Le gestionnai­re de portefeuil­le utilise aussi cet indicateur pour les entreprise­s cycliques, comme Caterpilla­r (NY, CAT). « Caterpilla­r devrait avoir une année pourrie pour quatre bonnes, explique-t-il. Si Caterpilla­r paie de l’impôt huit années sur dix, je suis content. »

Se poser les bonnes questions

Au-delà des chiffres, un investisse­ur doit toujours se demander quelles raisons se cachent derrière les variations qu’on observe dans les résultats, dit Louise Hurtubise, présidente de M.O.T. Stratégie, qui fait de la consultati­on et de la formation auprès des gestionnai­res de PME. « Il faut se demander “pourquoi”, pourquoi on voit des changement­s. Est-ce que c’est à cause de la variation du dollar américain? Est-ce que c’est une tendance lourde ou un élément exceptionn­el? »

Autant que possible, il faut tenter d’anticiper les éléments précurseur­s qui pourraient influencer la rentabilit­é de l’entreprise, ajoute Mme Hurtubise. Votre entreprise est-elle vulnérable si certains éléments changent? Un changement des taux d’intérêt peut-il avoir un impact sur sa dette? La variation des devises change-t-elle la donne? C’est le genre de question que vous devez vous poser.

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