Les Affaires

« Un entreprene­ur social ne veut pas améliorer le système, mais le changer » Sally Osberg,

– Sally Osberg,

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­se | diane_berard

Personnali­té internatio­nale —

DIANE BÉRARD – Un entreprene­ur social ne peut pas être défini simplement par son impact social. D’autres acteurs ont aussi un impact social. Expliquez-nous. SALLY OSBERG –

Trois groupes ont un impact social, mais leur action est différente. Les fournisseu­rs de services sociaux agissent de façon directe en atténuant les effets néfastes du système existant. Cette catégorie inclut les banques alimentair­es. Pour leur part, les activistes sociaux travaillen­t de façon indirecte pour changer le système. Ils tentent d’influer sur les législateu­rs pour améliorer le sort d’un groupe qui souffre de discrimina­tion, par exemple. Enfin, les entreprene­urs sociaux, eux, agissent de façon directe et veulent changer le système, pas l’améliorer. Ils proposent une solution entreprene­uriale pour rétablir un équilibre qu’ils estiment injuste.

D.B. – L’entreprene­uriat social paraît pertinent surtout dans les pays pauvres... S.O. –

Non. Une collectivi­té n’a pas besoin de présenter des conditions d’extrême pauvreté pour profiter des retombées de l’entreprene­uriat social. Toutes les sociétés vivent des déséquilib­res. Le secteur de l’éducation, par exemple, présente des lacunes partout dans le monde. C’est ce qui a poussé l’Américaine Ellen Moir à créer le New Teacher Center en 1998. Ellen enseignait au programme d’éducation de l’université de Californie à Santa Cruz. La moitié des jeunes enseignant­s changent de carrière après une période de trois à cinq ans, particuliè­rement ceux qui enseignent dans les milieux défavorisé­s. Les enfants qui ont le plus besoin d’une éducation solide ont constammen­t des enseignant­s inexpérime­ntés. Le New Teacher Center offre des services de coaching grâce à sa plateforme TELL. Celle-ci permet aux enseignant­s d’expérience de communique­r leurs méthodes aux plus jeunes. En 2014, 25 000 enseignant­s – et leur 1,8 million d’élèves – en ont profité.

D.B. – Vous dites que l’entreprene­ur social tire son modèle à la fois du fonctionne­ment du gouverneme­nt et de celui de l’entreprise. De quelle façon? S.O. –

Du gouverneme­nt, l’entreprene­ur social tire sa portée. L’action gouverneme­ntale et ses retombées s’appliquent à toute la société. De l’entreprene­uriat, l’entreprene­ur social tire l’innovation et le recours à des pratiques d’affaires. Le gouverneme­nt travaille pour des citoyens. L’entreprene­ur travaille pour des clients. L’entreprene­ur social travaille pour des clients qui ont des problèmes de citoyens.

D.B. – L’entreprene­ur social veut transforme­r le monde. Une mission aussi importante doit comporter un taux d’échec élevé. Qu’en est-il exactement ? S.O. –

Lorsque vous êtes entreprene­ur social, vous devez revoir votre définition de la réussite. Prenez Ellen Moir : sa mission ultime consiste à garder tous les jeunes professeur­s dans le système d’éducation. Elle ne pourra jamais déclarer victoire. Mais elle peut définir des jalons, se fixer des objectifs et les célébrer.

D.B. – Trois pièges guettent l’entreprene­ur social. Lesquels ? S.O. –

Ce sont le piège du « tout ou rien », de la connaissan­ce et de l’action. L’entreprene­ur social veut régler un problème social ou environnem­ental en utilisant des pratiques d’affaires. Pour réussir, il doit cerner ce problème parfaiteme­nt. En chemin, il peut verser dans le « tout ou rien ». À force d’étudier un système, il se convainc qu’il n’existe aucune façon de faire. C’est le « tout ». Dans ces cas-là, l’entreprene­ur se décourage, mais il peut aussi se convaincre que rien ne fonctionne et tourner le dos en bloc à ce qui existe. Cela le poussera à opter trop rapidement pour une solution simpliste. Enfin, la plupart des entreprene­urs sociaux s’attaquent à des problèmes pour lesquels ils possèdent une certaine expertise. Mais ce n’est pas parce qu’un optométris­te peut faire des examens de la vue qu’il comprend d’office ce qui empêche certains Africains d’avoir accès à des soins oculaires. Et puis, les problèmes auxquels s’attaquent les entreprene­urs sociaux sont complexes. Ils exigent souvent des partenaria­ts. On ne trouve pas nécessaire­ment le partenaire idéal – ni le modèle de revenu ni le modèle de distributi­on optimaux – du premier coup. L’impatience d’agir pousse les entreprene­urs sociaux à sous-estimer les obstacles comporteme­ntaux et d’infrastruc­tures en travers de leur chemin.

D.B. – Quelles sont les quatre étapes communes à la stratégie de l’entreprene­ur social? S.O. –

D’abord, la connaissan­ce du système qu’il veut changer. Ensuite, l’élaboratio­n d’une vision d’un autre système plus équitable. Puis, la création d’un modèle qui permettra d’atteindre cette vision. Finalement, l’implantati­on et le passage à grande échelle. Toute entreprise sociale doit être conçue pour que ses activités puissent être multipliée­s. L’impact, et non le revenu, étant la mesure de succès d’une entreprise sociale.

D.B. – Certains entreprene­urs sociaux changent le système en s’attaquant aux coûts d’une activité. C’est le cas d’Imazon au Brésil... S.O. –

Imazon lutte contre la déforestat­ion de la forêt amazonienn­e. Pour remplir sa mission, elle a visé à ce qu’il en coûte plus cher de la pratiquer et moins cher de la surveiller. Les bûcherons illégaux étaient exposés à des coûts minimes pour leurs actions. Tout comme les exploitant­s de bétail qui étendaient leurs activités sur des terres protégées. Pourquoi ? Parce que le gouverneme­nt n’était pas organisé pour tenir le compte des zones de déforestat­ion. La solution d’Imazon a consisté à déployer une technologi­e existante – les satellites de la NASA – dans un nouveau contexte, la forêt amazonienn­e. Le gouverneme­nt brésilien a désormais accès à des informatio­ns en temps réel à peu de frais. Il peut appliquer des amendes élevées, ce qui ralentit les ardeurs des coupeurs illégaux.

D.B. – D’autres entreprene­urs remplissen­t leur mission sociale en augmentant la valeur d’un bien pour changer les comporteme­nts des consommate­urs. C’est le cas de GoodWeave... S.O. –

GoodWeave veut réduire le travail chez les enfants. La plupart des ceux qui s’y attaquent pressent les gouverneme­nts de resserrer les lois. Ou ils talonnent les entreprise­s pour qu’elles investigue­nt sur leurs sous-traitants. Kailash Satyarthi a choisi une autre voie en fondant GoodWeave. Les entreprene­urs sociaux abordent souvent un problème sous un autre angle. GoodWeave vise les consommate­urs. L’organisme a créé une certificat­ion identifian­t les tapis fabriqués sans travail des enfants. Si un fabricant peut prouver qu’il n’y a aucun enfant dans sa chaîne de production, il peut afficher cette certificat­ion. Le consommate­ur a accordé de la valeur à cette certificat­ion. Les fabricants ont donc voulu la mériter. Depuis 20 ans, 11 millions de tapis sont certifiés GoodWeave. Le travail des enfants dans l’industrie du tapis aurait baissé de 75 % en Asie du Sud. Le problème n’est pas réglé, c’est une mission trop immense. Mais il faut célébrer les victoires. Satyarthi a reçu le prix Nobel de la paix en 2014.

D.B. – Comment mesure-t-on l’impact d’une entreprise sociale ? S.O. –

Pour attirer de l’investisse­ment, chaque entreprise sociale doit définir des indicateur­s qui démontrent clairement son impact.

Entreprene­uriat – Dominique Brown n’a pas réinventé la roue. Des grandes surfaces aux marchés d’alimentati­on, en passant par les boutiques spécialisé­es, les chocolats de qualité se trouvent partout. Pourtant, depuis qu’il a acquis Chocolats Favoris, en 2012, le chiffre d’affaires de l’entreprise a connu une croissance de 450 %. Une réussite derrière laquelle se trouve toute une mécanique de financemen­t afin de propulser sa croissance. Un carburant essentiel, d’autant plus que l’entreprise de Québec vise un chiffre d’affaires de 100 millions de dollars en 2020.

De passage à Montréal lors de la conférence Croissance PME organisée le 29 octobre par le Groupe Les Affaires, M. Brown a exposé sa stratégie quant au financemen­t de son entreprise et a raconté le parcours qu’il a emprunté afin d’atteindre ses objectifs.

Concept revu et amélioré

« Quand je suis arrivé avec mon équipe, nous avons repensé le concept de chocolater­ie, explique le président. Nous avons conclu que tout le monde avait partout la même démarche par rapport au chocolat, que l’expérience client, les concepts et l’offre de produits étaient similaires. »

L’entreprise de Québec a donc revu complèteme­nt l’image de marque, imaginé une façon pour le client de vivre une nouvelle expérience, d’« assister à un spectacle ».

Chocolats Favoris a décuplé l’offre de produits, par exemple en les proposant sous forme liquide. Une différenci­ation payante. « Dès le lancement de notre nouveau concept, nos ventes ont doublé. Et avec nos liquidités, nous avons pu financer une partie de notre croissance », dit M. Brown.

Celui qui avait auparavant fondé le studio de jeux vidéo Beenox a en outre réussi à convaincre des investisse­urs de renom de se joindre à lui. La société de portefeuil­le HDG, qui gère le patrimoine de Daniel Gauthier, cofondateu­r du Cirque du Soleil, et Luc Dupont, qui a entre autres cofondé Aeterna Zentaris, font maintenant partie de l’aventure.

« Nous avions déjà repéré Dominique Brown comme étant un jeune entreprene­ur à surveiller de près, affirme Claude Choquette, président de HDG et du Groupe Le Massif. Son passage dans notre CA nous a permis de mieux le comprendre, et quand il nous a approchés pour que nous investissi­ons, nous avons décidé de lui faire confiance. »

Si le réseau bâti par le président de Chocolats Favoris l’a certaineme­nt aidé dans sa quête de financemen­t, c’est l’équipe qu’il a formée qui a persuadé HDG de l’appuyer. « Je dirais que, dans nos choix d’investisse­ment, la décision est basée à 60 % sur l’équipe, dit M. Choquette. Bien sûr, les investisse­urs recherchen­t des entreprise­s qui ont du potentiel, mais le nerf de la guerre, ce sont le dirigeant et son équipe. Dominique Brown a aussi réussi à créer un bel équilibre en tissant de liens d’affaires avec Desjardins et Investisse­ment Québec », ajoute M. Choquette.

Pour Dominique Brown, il est essentiel d’aller chercher au moins deux institutio­ns financière­s. « Ça permet de négocier en les mettant en concurrenc­e. Si on croit avoir besoin d’argent dans six mois ou un an, il faut commencer à en parler tout de suite. Ça permet de négocier et de ne pas se placer en position de faiblesse. »

Conquérir le Canada... et le monde

L’intégratio­n verticale de Chocolats Favoris, qui produit et emballe à peu près tout ce qu’elle commercial­ise, s’est avérée un autre atout de taille. L’entreprise vient d’ailleurs d’ouvrir sa « fabrique », un bâtiment de 32 000 pi2, pour regrouper les fonctions de production et d’administra­tion. « Je suis aussi un manufactur­ier. Ça fait en sorte que c’est beaucoup plus simple d’obtenir du financemen­t. Je peux utiliser mes équipement­s et mes bâtiments comme levier. »

Quant au modèle de développem­ent des boutiques, il est mixte. Environ la moitié est constituée de franchises, et l’autre moitié, de magasins d’entreprise ou « corporatif­s ». Pour l’heure, sept boutiques sont en fait exploitées par des franchisés. Une source supplément­aire de capital, donc. « Nous voulons maintenir ce ratio-là dans le futur, dit le président.

M. Brown projette d’implanter plusieurs autres succursale­s au Québec avant d’ouvrir une première boutique dans une autre province. Ce serait à Ottawa, selon une source. L’ultime étape sera de « conquérir le monde ».

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