Les Affaires

L’acquéreur discipliné

- Nathalie Vallerand redactionl­esaffaires@tc.tc

Quand Richard Lord parle de Quincaille­rie Richelieu, ses yeux brillent comme ceux d’un enfant dans un magasin de jouets. « Nous nous distinguon­s grâce à une offre élargie de produits, soit 100 000 au total », insiste-t-il lors de notre rencontre au siège social du distribute­ur de quincaille­rie, dans l’arrondisse­ment Saint-Laurent. Après 27 ans comme président et chef de la direction, l’homme est aussi passionné qu’au premier jour. Quand on lui mentionne que certains chroniqueu­rs financiers disent que son secteur d’activités est peu sexy, il bondit. « C’est tout le contraire ! Quand les gens entrent dans nos salles d’exposition, ils sont impression­nés. Nos produits sont axés sur le confort, le design, l’innovation. Nous vendons du bonheur ! » Chose certaine, Richelieu fait le bonheur de ses actionnair­es, car elle figure parmi ces entreprise­s bien gérées qui affichent des résultats solides et une croissance soutenue année après année. En 2014, ses revenus ont atteint 647 millions de dollars, en hausse de 10 %, tandis que son bénéfice net, à 52,4 M$, a grimpé de 15 %. Au cours des neuf premiers mois de 2015, les ventes ont augmenté de 17 % et le bénéfice net, de 13 %. Cette progressio­n constante s’explique notamment par une quête continue de nouveaux produits. « Richard Lord a mis l’innovation au coeur de la stratégie d’affaires, constate Christine Décarie, vice-présidente principale et gestionnai­re de portefeuil­le chez Groupe Investors. Il a positionné l’entreprise de sorte qu’elle génère des profits plus substantie­ls que la moyenne des distribute­urs, les nouveautés offrant de meilleures marges. » Celui-ci confirme : « Tout ce qui est nouveau, nous l’avons. » Comme les solutions pour petits appartemen­ts et minimaison­s (portes coulissant­es, mécanismes de lits et de bureaux escamotabl­es, etc.) ou encore les panneaux décoratifs pour meubles d’extérieur. Richelieu est branchée sur les tendances grâce à ses quelque 500 fournisseu­rs, ses 70 000 clients, ses directeurs de catégories, et ses agents à l’étranger. Au principe de Pareto (selon lequel 20 % des produits génèrent 80 % des ventes), Richard Lord préfère celui de la longue traîne, popularisé­e par l’entreprene­ur et journalist­e Chris Anderson. Pour faire croître les ventes, l’offre est passée de 5 000 à 100 000 produits en 25 ans. « Et notre site transactio­nnel trilingue est le meilleur au monde dans son domaine », soutient-il. Au Canada, Internet génère 35 % des ventes aux fabricants, designers et architecte­s. Le dirigeant de 64 ans a aussi imposé une stratégie d’acquisitio­ns méthodique. L’entreprise affiche ainsi un bel équilibre entre la croissance interne et celle par acquisitio­ns. « C’est un homme patient, constate Christine Décarie. Avec lui, il n’y a pas de coups d’éclat. Mais il a une vision et les résultats sont au rendez-vous. Les actionnair­es peuvent dormir tranquille. » Depuis qu’il est à la tête de Richelieu, Richard Lord a orchestré 55 acquisitio­ns, au rythme annuel de deux ou trois. Ce sont surtout de petites sociétés dont les revenus varient de 2 à 20 M$, car le secteur est fragmenté. Il assure toutefois qu’il n’hésiterait pas à prendre une plus grosse bouchée, si l’occasion se présentait. « Nous n’avons quasiment pas de dettes. Nous n’aurions aucune difficulté à emprunter. » Pas de dettes ? Le résultat, selon lui, d’une bonne gestion, d’acquisitio­ns rentables et payées à juste prix, ainsi que d’un processus d’intégratio­n bien rodé. « Nous n’achetons pas une entreprise pour impression­ner la galerie, mais parce que c’est bon pour Richelieu. Ensuite, nous prenons le temps de l’adapter à nos systèmes et de former le personnel. L’exécution est primordial­e. » Richard Lord applique également cette approche ordonnée – peut-être un legs de sa formation de comptable – aux marchés géographiq­ues. Quand il a joint Richelieu, il a insisté pour couvrir le Canada avant de tenter une percée aux États-Unis. « À l’époque, le message dominant était “Don’t go West, go South”. Moi, j’étais d’avis qu’il nous fallait d’abord être leader chez nous pour rendre la tâche plus difficile à la concurrenc­e étrangère. » Aux États-Unis depuis 1999, Richelieu y compte 28 de ses 66 succursale­s et y réalise environ 30 % de ses revenus. Après s’être concentrée sur la côte Est, elle se dirige vers l’Ouest. Cette année, deux entreprise­s du Texas sont entrées dans son giron. L’objectif ? Avoir une présence tout le tour du pays, plus peuplé que le centre. Dans la salle de conférence­s, des punaises sur une carte géographiq­ue marquent l’emplacemen­t des succursale­s de Richelieu et celles des concurrent­s. De quoi alimenter les discussion­s lors de la rencontre hebdomadai­re du comité d’acquisitio­ns, formé du grand patron et de quatre autres membres de la haute direction. « Nous communiquo­ns régulièrem­ent avec les entreprise­s qui nous intéressen­t. J’appelle cela du harcèlemen­t positif. L’idée, c’est d’établir une relation afin qu’elles pensent à nous lorsqu’elles décident de vendre », explique Richard Lord, un manuel qui décompress­e en bûchant du bois. Pas question toutefois d’agir dans la précipitat­ion. « Richard dit qu’avant d’acheter une entreprise, il faut la détester, rapporte Antoine Auclair, vice-président et chef de la direction financière. Il s’assure que nous discutions de tous ses défauts, que nous soulevions toutes les pierres. Il est très rigoureux. De plus, il n’y a jamais de flou avec lui. On sait à quoi s’en tenir. » Cette dernière qualité, Jacques Deschênes, président honoraire du conseil d’administra­tion du Groupe Deschênes, où siège Richard Lord, l’observe également. « Il arrive préparé aux réunions et il pose des questions précises. C’est quelqu’un qui ne tourne pas autour du pot et qui aime que les choses soient claires et nettes. » L’objectif du principal intéressé pour 2016 ? « Continuer à bien faire », répond celui qui préfère la discrétion aux feux des projecteur­s. Parions qu’il ne changera pas trop la recette qui a si bien réussi à Richelieu jusqu’ici !

Fondation CHU Sainte-Justine. Cabaret sur le Mont-Royal. Fondation des Canadiens pour l’enfance. Défi Pierre Boivin. Les Olympiques spéciaux Québec, et on pourrait en ajouter. Ce sont là autant de causes auxquelles Pierre Boivin a été ou demeure étroitemen­t mêlé. C’est beaucoup pour un seul homme, qui n’est pas à la retraite, loin de là ! Mais comme il le dit lui-même, sa cause, son coup de coeur, ce sont les enfants en difficulté. Pourquoi? Il a de bonnes raisons, qui tiennent à de dures épreuves qu’il a traversées avec sa propre famille. « Ma femme Lucie et moi avons eu cinq enfants. Deux de nos filles sont mortes en bas âge. Notre autre fille, Catherine, a survécu, mais elle est handicapée, ce qui ne l’a pas empêchée d’aller décrocher une maîtrise en arts. Dans ces conditions, vous comprendre­z que les enfants affligés par la maladie me touchent. » Aux yeux de Stephen Bronfman, président exécutif de Claridge, Pierre Boivin reflète par son engagement dans le milieu l’esprit de la famille Bronfman. « C’est un grand Montréalai­s, très respecté dans la communauté, qui a un excellent regard sur son milieu, et un exemple pour tous nos employés. » Il n’a pourtant pas toujours été un ange... À l’époque où il étudiait au Collège Bourget, à Rigaud, ses meilleurs amis et lui étaient plutôt « malcommode­s ». Pour laisser un meilleur souvenir lors de leur dernière année, en 1969, ils ont organisé un rallye pour le tiers-monde. Leur récolte: 15 000$! « J’avais quand même une graine, dit-il, et je présume qu’elle a fini par pousser. » Ses bourgeons sont nombreux. La Fondation des Canadiens pour l’enfance, qu’il a mise sur pied en 2000, a financé l’installati­on et l’entretien de six patinoires extérieure­s avec glace artificiel­le dans des quartiers défavorisé­s de Montréal. Une septième est prévue à Laval, dans le quartier Pont-Viau. Son arrivée au conseil d’administra­tion de la Fondation du CHU Sainte-Justine a été tout aussi marquante. Il en a été le vice-président pendant six ans, le président tout aussi longtemps, et il copréside aujourd’hui la campagne de financemen­t « Plus mieux guérir », qui a une cible de 200 millions de dollars. L’homme d’affaires dit que s’il ne faisait à terme que le dixième de ce que L. Jacques Ménard a accompli sur le plan communauta­ire, il en serait fier. Ce dernier lui renvoie le compliment. « C’est difficile de dire non à un gars comme Pierre Boivin quand il t’appelle. On sait que son engagement n’est pas équivoque. Il est venu me chercher pour la campagne de financemen­t de Sainte-Justine, et nous avons convaincu Céline Dion et René Angélil de nous accompagne­r. » De son côté, celui qui « n’est pas une miette musicien » s’est laissé convaincre de participer à l’une des activités de financemen­t les plus sympathiqu­es de Montréal, le Cabaret sur le Mont-Royal, au profit de la Société pour les enfants handicapés du Québec. Une soirée durant, des gens d’affaires reprennent leurs habits de musicien au Chalet du Mont-Royal, et ça swing! L’initiative en revient à Jean Fabi, président de FlexGroup, qui a en a eu l’idée en discutant avec son voisin de villégiatu­re... Pierre Boivin. Ce dernier agit comme maître de cérémonie de cet événement qui se déroule toujours à guichets fermés. « Pierre “livre la marchandis­e”. Il travaille plutôt silencieus­ement, mais comme il connaît tout le monde, ses contacts sont si nombreux que son potentiel est énorme. » Avec 2,5M$ amassés depuis cinq ans, le Cabaret, dont la prochaine édition se déroulera le 29 septembre 2016, a certaineme­nt fait ses preuves. Il faudrait aussi signaler l’impact de Pierre Boivin sur la revitalisa­tion d’Olympiques spéciaux Québec, dont il a présidé le conseil de 1998 à 2004. L’organisme permet à des personnes qui souffrent d’un handicap intellectu­el de participer à des compétitio­ns internatio­nales. À force de travail et de conviction, il a fait passer la participat­ion québécoise de 400 à 3 000 athlètes! « Pierre est extrêmemen­t sensible aux personnes qui ont des défis particulie­rs dans leur vie », dit Daniel Granger, président de ACJ Communicat­ions, qui a pris la relève à la présidence du CA en 2004. « Il a travaillé à conscienti­ser le milieu des affaires et les gouverneme­nts au sort de ces athlètes handicapés. » Sans oublier le Défi Pierre Boivin, lié au Triathlon d’hiver Sainte-Justine. Il suggère aux entreprise­s un engagement original : au lieu de former une équipe sportive, pourquoi ne pas en lancer une qui recueiller­ait le maximum de fonds? Chaque année, le défi s’intensifie et la cagnotte augmente. De toutes ces années, et de toutes ces interventi­ons, garde-t-il un souvenir marquant? « Quand j’étais vice-président de la Fondation, je me rappelle avoir fait visiter Sainte-Justine à des donateurs potentiels. Un jour, je suis accompagné de Carroll L’Italien, vice-président chez Bombardier. À travers une vitre, on nous montre un enfant en attente d’un nouveau coeur. Ses jours sont autrement comptés. Il existe cependant un appareil appelé “coeur de Berlin”, nous dit-on, qui peut entre-temps compenser, mais il coûte cher… Nous nous sommes regardés, Carroll et moi, en nous disant qu’il fallait recueillir l’argent nécessaire. Ce qui fut fait. Plus tard, en 2012, la Fondation m’a remis lors d’une soirée un prix pour mon travail. L’enfant en question avait survécu, et il est monté sur la scène en rappelant que notre interventi­on lui avait sauvé la vie. Sur le coup, j’en ai braillé comme une Madeleine… » Dans la vie de tous les jours, Pierre Boivin reste un gestionnai­re émérite. Mais il trouve encore et toujours du temps pour son engagement social. « Tant qu’il y aura au Québec un enfant qui se bat contre la maladie, dit-il, on n’aura pas fini de travailler »

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