Les Affaires

« On devient un leader en se comportant en leader, pas en agissant en expert »

– Herminia Ibarra,

-

D.B. – Pourtant les employeurs laissent entendre qu’il faut être le meilleur dans ce que l’on fait pour mériter une promotion... H.I. –

Pas nécessaire­ment. En matière de promotion, certaines entreprise­s performent mieux que d’autres. Elles ne se contentent pas de bêtement promouvoir le meilleur ingénieur au rang de chef du service ou le meilleur médecin à la tête de l’hôpital. Elles comparent les candi- dats aux postes de direction selon leur savoir-être, pas seulement leur savoirfair­e. Mais il y a un défi. Comment juger si un ingénieur possède le savoir-être nécessaire pour diriger une équipe s’il ne l’a jamais fait? On se fie à son potentiel. Mais certains candidats peuvent surprendre une fois devenus gestionnai­res. Le candidat timide peut se révéler très inspirant. Et celui qui affiche une belle personnali­té, totalement inadéquat. D’où l’importance, pour ceux qui veulent grimper, de se faire voir autrement. On devient leader en se comportant en leader, pas en agissant en expert.

D.B. – On incite les aspirants leaders à faire preuve d’introspect­ion, à se pencher sur leurs forces et leurs faiblesses... H.I. –

Je suggère d’inverser la séquence: commencez par agir comme un leader, vous en arriverez ensuite à penser comme lui. Placez-vous en situation de leadership pour en développer progressiv­ement le comporteme­nt. Le fait de moins réfléchir et d’agir davantage vous mènera plus loin.

D.B. – Racontez-nous votre douloureux passage du statut de chercheur à celui de professeur? H.I. –

Je suis l’illustrati­on parfaite de ce qu’il ne faut pas faire! Je connais ma matière sur le bout de mes doigts. On m’a toujours reconnue pour mon expertise. Devenue professeur­e, je m’attendais à ce que mes étudiants fassent de même. Or, eux voulaient une professeur­e, pas une experte. J’ai donc reçu des évaluation­s lamentable­s. Mes étudiants ne m’accordaien­t pas de crédibilit­é dans mon nouveau rôle. Il a fallu qu’une vague connaissan­ce, un homme plutôt critique dont je n’étais pas particuliè­rement proche, vienne assister à mon cours et me dise à quel point je ne faisais rien de bien. « Prends possession de ta classe, marque ton territoire, interpelle tes étudiants, sollicite leur participat­ion, touche-leur l’épaule en passant, lis sur leur feuille de notes, etc. », m’a-t-il dit. Cela ne m’a pas particuliè­rement plu. Mais il fallait bien que je reconnaiss­e que ce qui m’avait conduite au succès ne me servait plus. Je me suis donc adaptée.

D.B. – Comment amener nos supérieurs à nous considérer comme leaders potentiels si nous n’avons jamais rien dirigé? H.I. –

La première personne à vous confier un mandat de gestionnai­re n’a pas à être votre patron. Il est souvent plus facile de vous faire reconnaîtr­e des talents différents par des gens qui ne vous connaissen­t pas. Portez-vous volontaire pour un projet à l’extérieur de votre service. Ou, pourquoi pas, à l’extérieur de votre entreprise. Cela vous donnera confiance. Et surtout, cela vous permettra de voir si le rôle de gestionnai­re vous plaît.

D.B. – Pourquoi vaut-il mieux être un pont qu’un pôle? H.I. –

Il vaut mieux être un pont qu’un pôle lorsqu’on aspire à un rôle de gestion. Sinon, être un pôle peut très bien vous convenir. Le pôle, c’est l’expert vers qui tout le monde converge. On vient à lui, mais il va peu à l’extérieur. Le pont, lui, sert d’agent de liaison entre son service et le reste de l’entreprise, ou entre l’organisati­on et le monde extérieur. Il gère le flux d’informatio­n ou de ressources. Il est le visage de son équipe ou de son organisati­on.

D.B. – En quoi les fusions ainsi que les vagues de rationalis­ation nuisentell­es au développem­ent de leaders? H.I. –

La tendance « faire plus avec moins » fait gonfler notre descriptio­n de tâche. On est constammen­t dans l’action présente. On n’a ni le temps ni l’énergie d’explorer de nouvelles avenues, de développer de nouvelles compétence­s. Et c’est ainsi qu’on reste coincé dans le même rôle.

D.B. – Comment éviter de rester coincé dans un rôle? H.I. –

Soyez stratégiqu­e. Quand vous êtes prêt à passer à un autre niveau, partagez vos connaissan­ces et votre expertise avec vos collègues, ou vos employés, pour qu’ils puissent eux aussi s’acquitter de votre tâche.

D.B. – Pour devenir gestionnai­re, il faut apprendre à réorganise­r notre temps... H.I. –

Tant que vos demeurez collé à votre mandat, tout ce que vous accompliss­ez semble important. Lorsque vous sortez de votre service, que vous vous informez un peu plus sur votre organisati­on, vous apprenez à faire la distinctio­n entre les tâches importante­s et les tâches stratégiqu­es.

D.B. – ... et à revoir nos fréquentat­ions. H.I. –

Au lieu de luncher tous les midis avec les mêmes collègues, allez à la rencontre d’employés d’autres services. Renouez avec d’anciens camarades de classe. Organisez un 5 à 7 de gens qui occupent la même fonction que vous dans d’autres entreprise­s.

D.B. – Pourquoi l’authentici­té n’est pas nécessaire­ment la recette du leadership? H.I. –

La frontière est mince entre authentici­té et rigidité. Être authentiqu­e ne signifie pas persister dans ce que l’on a toujours été. Les humains ont plusieurs facettes. Être authentiqu­e peut signifier explorer un aspect de nous que personne ne connaît.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada