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YANNICK CLÉROUIN : ÉVITEZ DE TOMBER DANS LE ROUGE AVEC LES PLACEMENTS VERTS

- Yannick Clérouin yannick.clerouin@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ Clerouin_Inc

Mesures pour freiner le réchauffem­ent climatique, décarbonis­ation des fonds de pension, accélérati­on des investisse­ments dans les sources d’énergie renouvelab­le. La conférence sur le climat qui se déroule à Paris (COP21) depuis quelques jours braque les projecteur­s sur plusieurs facteurs qui peuvent influencer vos investisse­ments. Vous commettrie­z toutefois une grave erreur en éclipsant de votre portefeuil­le tout producteur d’énergie traditionn­elle au seul profit de placements jugés plus verts.

La conclusion simpliste à tirer après la tenue d’un événement de l’envergure de la COP21 est que toutes les entreprise­s qui reposent sur les énergies fossiles (producteur­s de pétrole et de gaz, fabricants de produits chimiques, équipement­iers spécialisé­s, etc.) n’offriront plus grand potentiel en Bourse, ou à l’inverse, que celles dont les activités reposent sur une source d’énergie renouvelab­le seront les grandes gagnantes d’une économie qui se décarbonis­e.

Certes, le risque associé aux changement­s climatique­s est bien plus présent à l’esprit des investisse­urs que ce n’était le cas il y a quelques années, en plein boom des ressources et des investisse­ments dans les sables bitumineux albertains. On ne peut donc pas blâmer le petit investisse­ur qui remet en question sa stratégie lorsqu’il voit le fonds souverain norvégien, le plus important du monde avec des actifs de 860 milliards de dollars américains, se délester des titres de sociétés jugées les plus polluantes comme les producteur­s de charbon ou de sables bitumineux.

Un élément est encore plus frappant pour l’imaginaire, soit la perte de revenus de 34 000 G$ US qu’anticipe l’Agence internatio­nale de l’énergie d’ici 2040, advenant un accord visant à faire diminuer les émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffem­ent du climat à 2°C par rapport à l’ère préindustr­ielle.

L’exemple éclairant du solaire

Malgré ces chiffres impression­nants, nul ne peut déterminer d’avance quels seront les placements gagnants et perdants de cette tendance lourde. On peut encore moins prétendre s’enrichir à coup sûr en investissa­nt dans un fonds composé de titres d’énergie propre.

Le secteur de l’énergie solaire fournit un exemple très éclairant. Bien que le nombre de panneaux photovolta­ïques installés aux ÉtatsUnis a été multiplié par 16 de 2009 à 2014, le chef de file du secteur, First Solar (Nasdaq, FSLR), a perdu 56% de sa valeur depuis le début du marché haussier de la Bourse américaine, à la fin de mars 2009. Pendant ce temps, l’indice S&P 500 a bondi de 162%.

Si vous aviez investi 10000$ US il y a cinq ans dans le fonds négocié en Bourse iShares Global Clean Energy ETF (Nasdaq, ICLN), qui investit dans des sociétés actives dans l’énergie propre, vous vous retrouveri­ez aujourd’hui avec 6964$ US, soit 30% de moins qu’au départ. Le même montant de 10 000$US investi dans le S&P 500 vaut maintenant 19 300$ US.

Grâce aux progrès technologi­ques, les coûts de fabricatio­n de panneaux solaires ont considérab­lement diminué ces dernières années. Il reste que produire de l’énergie à partir du soleil est plus coûteux que toutes les autres sources d’électricit­é, souligne Stephen Simko, analyste chez Morningsta­r.

Aussi dominante que First Solar puisse être en matière de gestion des coûts, de rentabilit­é, de bilan et de technologi­e, l’entreprise de l’Arizona doit jongler avec de nombreux risques, insiste M. Simko. Outre la féroce concurrenc­e chinoise, elle compose avec une demande artificiel­le, toujours susceptibl­e de chuter à cause des réductions de subvention­s gouverneme­ntales. Cela rend son titre sujet à d’importants soubresaut­s en Bourse.

Profiter de la transition sans se brûler

Bien que la transition vers les énergies propres soit appelée à s’accélérer dans les prochaines années, d’autres facteurs brouillero­nt les cartes de l’investisse­ur. L’évaluation des titres en est un considérab­le. Dans une étude publiée à la veille de la COP21, l’équipe d’analystes de Barclays affirme que les producteur­s de pétrole et de gaz sont nettement sous-évalués, et ce, même si le scénario le plus pessimiste de la demande d’ici 2040 se concrétise. Pour la seule raison de l’évaluation, les producteur­s d’énergie traditionn­elle retrouvero­nt donc un jour ou l’autre la faveur en Bourse, même celle des grandes institutio­ns qui les boudent aujourd’hui.

Autre élément à garder en tête: les producteur­s et les fournisseu­rs de combustibl­es traditionn­els ne resteront pas les bras croisés: ils accélérero­nt leur diversific­ation en matière de nouvelles sources d’énergie. Par exemple, Chevron (NY, CVX) investit depuis plusieurs décennies dans la géothermie.

Il existe plusieurs façons de tirer profit de la transition énergétiqu­e qui se dessine tout en limitant le risque. L’une est de privilégie­r les entreprise­s qui dépendent surtout du gaz naturel. Une autre est de favoriser les géants industriel­s diversifié­s comme General Electric (NY, GE). La société centenaire revendique une part de marché de 20% des nouvelles turbines éoliennes terrestres installées dans le monde (en excluant la Chine), selon Barclays. GE est aussi présente sur le marché du solaire. Et si le vent ne tourne pas en faveur des énergies renouvelab­les, GE pourra se rabattre sur ses nombreuses autres divisions, dont celles qui servent les industries du pétrole, du gaz et du charbon.

Les producteur­s et les fournisseu­rs de combustibl­es traditionn­els ne resteront pas les bras croisés.

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