Les Affaires

MALARTIC : DES CITOYENS FATIGUÉS DES CONSULTATI­ONS

- Antoine Dion-Ortega redactionl­esaffaires@tc.tc

Plus de quatre ans après l’entrée en production de la mine Canadian Malartic (MCM), la situation est devenue intenable pour nombre d’habitants de la zone sud de Malartic. Ils exigent que soit établi sans attendre un protocole d’acquisitio­n de maisons, afin qu’ils d’avoir la chance de refaire leur vie ailleurs. La mine aurifère a plutôt lancé une nouvelle démarche de consultati­on, dans l’espoir de dégager des solutions durables au problème des nuisances, dont la poussière et les vibrations.

En septembre, la Direction de santé publique (DSP) de l’Abitibi-Témiscamin­gue pressait la MCM de considérer « le rachat et la relocalisa­tion » comme des « solutions » aux problèmes des nuisances subis par la population de Malartic. Elle joignait ainsi sa voix au Comité de citoyens de la zone sud de la voie ferrée, qui réclame à grands cris que soit établi au plus vite un « protocole d’acquisitio­n, de compensati­on et d’accommodem­ent » afin que les citoyens les plus indisposés par la poussière et les vibrations de sautage ne soient plus forcés de vendre leur maison à perte.

Le comité représente les quelque 710 ménages des quartiers Centre, Est et Laval, particuliè­rement éprouvés par l’activité minière : les maisons les plus proches se trouvent à 150 mètres de la fosse. Comme Les Affaires a pu le constater sur place, la poussière y est telle que les habitants doivent garder leurs fenêtres fermées en tout temps.

« On vit dans un chantier de constructi­on », dit Dave Lemire, résident de 35 ans du quartier Laval. « La MCM a eu plus de quatre ans pour se corriger, mais elle n’en a pas été capable. Alors maintenant, qu’elle assume. » La MCM a lancé sa production en avril 2011.

Les chiffres révélés par la DSP en septembre sont éloquents : pas moins du tiers des habitants de Malartic quitteraie­nt purement et simplement la ville si la possibilit­é leur en était donnée. Pire : dans les quartiers Centre et Est du sud de la voie ferrée, plus de la moitié des résidents souhaite déménager. Par contre, plusieurs se demandent qui pourrait bien vouloir racheter une maison dans un tel environnem­ent… et à quel prix.

Des compensati­ons réclamées

Père de quatre enfants, Dave Lemire est l’un de ceux dont la patience a atteint ses limites. En 2014, il découvrait avec effroi que les poussières de minerai qui se déposaient sur sa propriété étaient fortement contaminée­s. Un an plus tard, rien n’a bougé. Il exige d’être relocalisé, dans une maison d’une valeur équivalent­e à la sienne lors de sa constructi­on. « Moi, je veux m’en aller, dit-il, excédé. Je t’ai laissé ma ville, je suis prêt à tout te laisser. Je pars, mais dédommage-moi », dit-il comme s’il s’adressait à la minière.

C’est la même chose pour Hélène Daigle, native de Malartic, qui a mis sa maison en vente en mai, à 64 ans. « Je n’ai pas eu une seule visite, ditelle. Il y en a qui ont donné leur maison, parce qu’ils ne pouvaient pas la vendre. Moi, ma maison, c’est ma retraite. Je ne suis pas pour la donner. » Le mari de Mme Daigle, un mineur à la retraite, souffre de problèmes pulmonaire­s. La poussière n’a rien pour l’aider.

Malgré les promesses de prospérité des partisans du projet, qui prédisaien­t la renaissanc­e de Malartic, le début des travaux de constructi­on de la MCM en 2009 n’a pas enrayé le déclin de la population, qui a perdu plus de 200 résidents entre 2006 et 2011, selon Statistiqu­e Canada. La ville compte maintenant moins de 3 300 personnes, selon le ministère des Affaires municipale­s et de l’Occupation du territoire, comparativ­ement à 3 640 il y a 10 ans.

De son côté, la MCM s’en tient à sa démarche de « co-constructi­on », un processus en quatre phases qui doit se poursuivre jusqu’à l’hiver 2016. La MCM n’est pas particuliè­rement pressée de discuter d’un protocole d’acquisitio­n de maisons, elle qui en est tout juste à l’étape de recueillir les « solutions proposées » par les différente­s parties. Lors d’un atelier tenu le 3 octobre, elle en a colligé 23, parmi lesquelles on retrouve l’« acquisitio­n de maisons », une solution chère au comité de la zone sud. Mais la démarche vise beaucoup plus large que les seuls citoyens du sud de Malartic : ceux-ci ne représenta­ient que 46 des 122 participan­ts.

La prochaine étape sera de mettre sur pied différents « comités de travail ». On ignore encore quels membres en feront partie, si ce n’est qu’ils devront être des « représenta­nts du milieu ». L’un d’entre eux se penchera sur la rédaction d’un guide de bon voisinage, qui tiendra lieu et place de protocole d’acquisitio­n. « Le guide de bon voisinage, c’est un protocole d’entente avec la communauté », assure Mélissa Desrochers, conseillèr­e aux communicat­ions et relations communauta­ires à MCM. « Mais on n’utilise pas les mêmes termes. »

Le hic, c’est qu’on ne s’entend même pas sur la compositio­n de cet éventuel comité de travail. La mine voudrait que toutes les parties aient leur mot à dire, notamment les élus et les citoyens de la zone nord de Malartic. Le comité de la zone sud craint de voir ses exigences diluées dans la masse, alors que c’est principale­ment à ses citoyens que s’adresserai­t un protocole d’acquisitio­n.

Louis Trottier, porte-parole du comité, voit d’un mauvais oeil la mainmise de MCM sur le processus. Déjà, celle-ci s’oppose à ce que la Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine fasse partie du comité de travail, arguant que ses membres devraient tous être issus de la communauté.

Néanmoins, la MCM tient à garder le contrôle. « Les impacts et ce que fait la mine lui sont imputables, précise Mme Desrochers. Nous devons demeurer responsabl­es de la suite des choses. » Elle estime que les discussion­s sur le comité de travail doivent inclure tous les représenta­nts du milieu, et pas seulement ceux qui subissent le plus de conséquenc­es. « Pour nous, le cas par cas, ça n’a pas fonctionné. C’est une question qui doit se régler ensemble pour ne pas créer de clivages dans la communauté. »

Le comité des citoyens n’y voit qu’une manière de gagner du temps en diluant le plus possible la question des relocalisa­tions. On rappelle que la MCM a déposé une étude d’impact environnem­ental pour son projet d’expansion en février dernier. « Ils se préparent pour le Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE), qui devrait se pencher sur le projet d’expansion au printemps 2016 », estime M. Trottier.

Les différente­s parties tenteront de s’entendre sur la compositio­n du comité de travail lors d’une rencontre prévue le 15 décembre.

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En septembre dernier, la Direction de santé publique de l’Abitibi-Témiscamin­gue pressait la mine Canadian Malartic de considérer « le rachat et la relocalisa­tion » comme des « solutions » aux problèmes des nuisances subis par la population de Malartic.

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