Les Affaires

COMMISSION CHARBONNEA­U : DES LEÇONS POUR TOUS

- Robert Dutton robert-r.dutton@hec.ca Chroniqueu­r

Le rapport de la commission Charbonnea­u porte ostensible­ment sur l’industrie de la constructi­on. Les commissair­es y ont trouvé non seulement quelques pommes pourries, mais aussi un verger entier en état de dégradatio­n avancée: un problème systémique, par opposition à un problème limité à quelques individus coupables. Un système auquel participai­ent des centaines de personnes qui n’étaient pas nécessaire­ment malhonnête­s a priori: des gens qui ne savaient pas, qui savaient mais regardaien­t ailleurs, qui savaient mais se sentaient impuissant­s à changer quoi que ce soit, qui savaient mais croyaient qu’il fallait participer parce que tout le monde participai­t… Bref, la corruption systémique est le fait de beaucoup de gens honnêtes.

Aussi le rapport de la commission Charbonnea­u doit rappeler à tous les dirigeants que personne n’est à l’abri d’être victime ou coupable de corruption ou, de façon plus générale, de la malversati­on et de la déviance organisati­onnelle.

Les 60 recommanda­tions des commissair­es sont formulées pour un gouverneme­nt, et non pour une entreprise. Quant à moi, je propose, depuis quelques années, une démarche en quatre volets aux dirigeants qui veulent éviter que leur organisati­on soit victime ou coupable de malversati­on: savoir, dire, agir et décider.

Savoir

La phrase « je ne savais pas » n’est pas une défense valable de la part d’un haut dirigeant.

Les systèmes d’informatio­n des entreprise­s rendent compte des ventes, des coûts, des volumes de production, soit toutes les données opérationn­elles de l’organisati­on. Mais combien de choses peuvent se passer sans que les dirigeants le sachent? Ce peut être un délégué commercial qui met au point un système de corruption dans un pays étranger, un acheteur qui favorise un fournisseu­r en échange d’avantages personnels, un directeur d’usine qui émet des effluents toxiques, sans en avertir le personnel hiérarchiq­ue. Les possibilit­és sont infinies. Un dirigeant révèle ses priorités notamment par les moyens qu’il se donne pour contrôler son organisati­on. Si sa vérificati­on s’arrête aux données financière­s, on sait à quoi il attache de l’importance. Un dirigeant doit mettre en place des mécanismes de contrôle et de vérificati­on qui dépassent la seule dimension financière; qui non seulement la protègent de malversati­ons commises à son endroit, mais aussi de malversati­ons commises par elle à l’endroit de ses fournisseu­rs, de ses clients, des communauté­s où elle est présente. Aucun système de vérificati­on n’est infaillibl­e. Mais si on ne fait pas l’effort de savoir, si on ne se donne pas les ressources pour savoir, c’est qu’on ne veut pas savoir.

Savoir, c’est aussi favoriser la mise au jour des pratiques inacceptab­les. Il ne s’agit pas d’inciter à la délation systématiq­ue – ce qui empoisonne le climat de travail. Mais les lanceurs d’alerte doivent être protégés et même récompensé­s.

Dire

Il faut dire quels sont les comporteme­nts recherchés et les comporteme­nts inacceptab­les au sein d’une organisati­on. On n’a pas le droit de laisser ses employés dans un flou moral. Les organisati­ons sont des tribus assez compliquée­s comme ça, les employés ont le droit de se faire accompagne­r dans la recherche d’intégrité. Aucune organisati­on n’est trop petite pour que ça ne soit pas nécessaire. Aucune n’est trop grande pour que ça ne soit pas possible. Ici, ce sera un code de conduite, là, quelques directives affichées sur le mur de la salle à manger ou des interventi­ons sur le tas, en petits groupes. Toute entreprise doit dire, sans équivoque, qu’aucune forme de corruption ne sera tolérée; le patron du dépanneur doit faire savoir à tous ses employés qu’on ne doit pas vendre de tabac à des mineurs, même à trois heures du matin; un patron de bar devrait donner à ses employés des directives claires quant au comporteme­nt à adopter avec des clients ivres qui s’apprêtent à prendre le volant. Agir Les employés sont guidés par ce que font les dirigeants, bien plus que par ce qu’ils disent. Qu’est-ce que ça implique? D’abord, l’intégrité d’une organisati­on, ça commence par le patron. Et celui-ci doit prêcher par l’exemple.

Ensuite, une organisati­on ne dispose d’aucun outil de communicat­ion plus puissant que son système de récompense­s et de sanctions, en particulie­r les régimes de rémunérati­on et de bonificati­on, les critères d’avancement et de promotion. Nombre d’entreprise­s font d’émouvantes déclaratio­ns en faveur de l’intégrité. Mais combien de ces entreprise­s ont intégré cette dimension de leurs activités à leur système de rémunérati­on, de bonificati­on et d’avancement? Si la rémunérati­on du cadre n’est fonction que de sa performanc­e financière, on pourra bien lui parler d’intégrité et de transparen­ce, on sait sur quoi son comporteme­nt se basera en dernière analyse. Je l’écris sans cynisme. Je l’écris parce que les humains sont humains. Décider Décider, même quand c’est difficile ; surtout quand c’est difficile. Combien de témoins devant la commission Charbonnea­u ont justifié leur participat­ion à la corruption et à la collusion par la survie de l’entreprise, la pérennité des emplois? Oui, le choix de l’intégrité est difficile. Mais la commission Charbonnea­u l’a bien illustré, les problèmes d’intégrité ne se règlent pas d’eux-mêmes: au contraire, plus on attend, plus c’est difficile. Le courage, c’est aussi une compétence de gestion.

« La corruption systémique est le fait de beaucoup de gens honnêtes. »

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