Les Affaires

COP21 : les subvention­s aux énergies fossiles, l’éléphant dans la salle

L’Institut internatio­nal du développem­ent durable souligne le paradoxe entourant ces subvention­s.

- Antoine Dion-Ortega redactionl­esaffaires@tc.tc

L’enjeu n’aura pas été discuté comme tel à la Conférence de Paris, mais il aura néanmoins été en filigrane : si les gouverneme­nts sont vraiment sincères dans leur lutte contre les dérèglemen­ts climatique­s, ils devront commencer par éliminer leurs subvention­s aux énergies fossiles. C’est une question de cohérence, dit l’Institut internatio­nal du développem­ent durable (IISD).

« D’un côté, les gouverneme­nts tentent d’imposer un coût à l’émission de carbone, mais de l’autre, plusieurs d’entre eux continuent à encourager ou à faciliter l’exploratio­n ou l’exploitati­on d’énergies fossiles en subvention­nant le secteur », dit Frédéric Gagnon-Lebrun, associé et chef de programme à l’IISD. Jouissant d’un rayonnemen­t internatio­nal, cet institut établi à Winnipeg organisera le 7 décembre une conférence sur la question au Bourget, site officiel de la COP21.

Une quarantain­e de pays ont déjà mis en place des instrument­s de tarificati­on du carbone dans l’espoir d’infléchir leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Paradoxale­ment, plusieurs d’entre eux continuent toutefois de subvention­ner l’exploratio­n, la production ou la consommati­on d’énergies fossiles – orientant ainsi leurs émissions à la hausse.

À cet égard, le Canada et le Québec ne font pas exception. Les subvention­s fédérales et provincial­es à la production ont frisé les 3 milliards de dollars en 2013 et en 2014. À elle seule, la déduction fédérale pour les dépenses de développem­ent a coûté 1,3 G$. Quant aux subvention­s à la consommati­on, elles étaient de 1,5 G$ selon l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE), pour un grand total de 4,5 G$ par an.

Troquer les sables bitumineux contre le gaz naturel

Le Canada s’est engagé à éliminer graduellem­ent ces subvention­s. En réalité, si certaines mesures sont effectivem­ent en voie de disparaîtr­e, d’autres ont pris la place depuis, dit Yanick Touchette, chercheur à l’IISD. « La déduction pour amortissem­ent accéléré à l’égard des projets de sables bitumineux a été graduellem­ent éliminée, mais le gouverneme­nt en a mis une autre en place en 2015 relativeme­nt aux projets de gaz naturel liquéfié, dit-il. C’est 45 millions de dollars en cinq ans qui ne seront pas récoltés en impôts. »

Au Québec, le gouverneme­nt subvention­ne la consommati­on de carburants par des remboursem­ents ou des crédits de taxe, au profit notamment des régions limitrophe­s ou des transports collectifs – une mesure passée de 20 à 27 M$ entre 2008 et 2014, d’après l’inventaire des subvention­s de l’OCDE.

Ces subvention­s ne tiennent pas compte des financemen­ts publics provenant des institutio­ns gouverneme­ntales. Ainsi, Exportatio­n et développem­ent Canada finance la production de combustibl­es fossiles à hauteur de 2,5 G$ par an, selon l’IISD. Au Québec, le gouverneme­nt a investi, par l’intermédia­ire de Ressources Québec, 56,7 M$ dans l’équipée d’Hydrocarbu­res Anticosti, sans compter ses prises de participat­ion au capital-actions de la société Pétrolia.

Évidemment, le Canada et le Québec ne sont pas les seuls à délier la bourse pour l’industrie des combustibl­es fossiles. En 2014, les subvention­s octroyées par les gouverneme­nts de la planète s’élevaient à environ 490 milliards de dollars américains, d’après l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE). Ces subvention­s prennent des formes variées : on en dénombre environ 800 types dans le monde.

Des subvention­s réaffectée­s

Mais sans les diverses compressio­ns menées par certains gouverneme­nts depuis 2009, elles auraient été de 610 G$ US, estime l’AIE. « Les réformes aux subvention­s ont permis d’épargner 120 G$ US et de les réaffecter à d’autres projets, liés notamment à l’efficacité énergétiqu­e et à l’énergie renouvelab­le, dit M. Gagnon-Lebrun. La réaffectat­ion est nécessaire pour la transforma­tion du secteur énergétiqu­e. »

Ces réformes aux subvention­s n’ont d’ailleurs rien à voir avec la lutte contre les changement­s climatique­s. « C’est un sujet distinct, dit M. Gagnon-Lebrun. La majorité des pays ont réduit leurs subvention­s pour des raisons strictemen­t budgétaire­s ou des questions de sécurité énergétiqu­e. »

Le Maroc, par exemple, a graduellem­ent éliminé à partir de 2012 ses subvention­s à la consommati­on de carburants fossiles dans l’espoir de réduire ses coûteuses importatio­ns énergétiqu­es, dont il dépend à plus de 90 %. Le pays souhaite générer près de la moitié de son électricit­é à partir de sources renouvelab­les d’ici 2020.

Les 490 G$ US de subvention­s que les gouverneme­nts ont accordées aux énergies fossiles en 2014 dépassent à elles seules la totalité des investisse­ments dans les énergies renouvelab­les, qui étaient de 310 G$ US, selon Bloomberg. La simple réaffectat­ion de ces subvention­s vers les énergies renouvelab­les ferait donc plus que doubler ces investisse­ments verts, note M. Gagnon-Lebrun.

Hausse de capacité des énergies renouvelab­les

Une telle réaffectat­ion serait d’autant plus bienvenue que les tendances dans la production mondiale d’électricit­é se sont inversées depuis 2013. En effet, les énergies renouvelab­les ont ajouté cette année-là 143 gigawatts (GW) à la capacité mondiale de production d’électricit­é, comparativ­ement à 141 GW pour les combustibl­es fossiles, d’après Bloomberg. La tendance s’accentue avec les années : en 2015, cet écart sera de 164 GW par rapport à 110 GW. « On a fait la preuve que les énergies renouvelab­les peuvent générer assez d’électricit­é pour subvenir aux besoins des gens, à bon prix, dit M. Touchette. Le défi, c’est de conserver cette énergie sur 24 heures. Il faut que les gouverneme­nts se lancent massivemen­t dans la R-D. »

Signe des temps : le premier ministre Justin Trudeau a annoncé le 30 novembre, dans le cadre du partenaria­t mondial Mission Innovation, qu’il ajoutera 300 M$ par an dans le développem­ent de technologi­es propres.

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