Les Affaires

Profession : comptable

Agents de changement dans l’entreprise

- Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc

Avjet, une société de Drummondvi­lle spécialisé­e dans les services aéroportua­ires, a presque décuplé son effectif depuis son rachat il y a six ans par Denis Jacob et Sylvain Touchette. Elle compte aujourd’hui 425 employés. Pour faire face à la croissance, l’entreprise a embauché deux comptables profession­nels agréés (CPA) il y a huit mois.

Denis Jacob, président et chef de la direction, attend d’eux qu’ils jouent le rôle de « conseiller­s stratégiqu­es ». « Une fois que les bases de la comptabili­té financière seront établies, ils s’occuperont de la comptabili­té de gestion en mettant en place, par exemple, un tableau de bord et des indicateur­s financiers pertinents, en calculant le coût de revient précis et en nous proposant des solutions pour le réduire. Ils pourront ainsi nous aider à prendre les bonnes décisions pour continuer notre croissance tout en restant en contrôle », explique-t-il.

Ce rôle du comptable chef d’orchestre, qui donne des conseils stratégiqu­es, était déjà bien présent dans les petites entreprise­s il y a 30 ans, mais a pris de l’essor au fil des ans, souligne Antonello Callimaci, CPA-CA, vicedoyen aux études à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM).

L’évolution des technologi­es et la complexité du monde des affaires ont métamorpho­sé son rôle. C’est particuliè­rement vrai en entreprise, où exercent 55% des 38 000 CPA en activité au Québec. Cette proportion reste stable, malgré l’augmentati­on du nombre de CPA au rythme d’environ 1500 par an.

Préparer l’avenir de l’entreprise

« L’entreprene­ur est le visionnair­e, le CPA est le maître d’oeuvre qui prépare le terrain et trouve les moyens de réaliser les rêves du premier », souligne Marie-Claude Boisvert, FCPA, CA, chef de l’exploitati­on de Desjardins Entreprise­s Capital régional et coopératif. Elle-même s’appuie sur l’expertise de plusieurs CPA. « Cela m’aide à rester sur la bonne voie. J’attends qu’ils me disent sans fard ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Ils contribuen­t à préparer l’avenir de l’organisati­on. »

Avant, le rôle d’un comptable en entreprise « était limité à la reddition de compte, à l’examen du passé, ce qui reste encore une part importante de son travail. Mais les CPA ont élargi leur champ de compétence­s. Ils s’occupent de gestion de performanc­e, d’optimisati­on des ressources, d’analyse de la rentabilit­é », explique Suzanne Landry, directrice du Départemen­t de sciences comptables de HEC Montréal. Gardiens de la gouvernanc­e La gouvernanc­e est l’un des nouveaux champs de compétence très prisés. Les entreprise­s québécoise­s ont consacré beaucoup d’efforts ces dernières années à ce chapitre. La formation des CPA a intégré ce volet.

« Le comptable est la porte d’entrée. C’est lui qui fournit les informatio­ns chiffrées sur lesquelles s’appuie le conseil d’administra­tion pour assurer le suivi de l’intégrité financière et la définition des orientatio­ns stratégiqu­es de l’entreprise », souligne Michel Magnan, FCPA, titulaire de la chaire de gouvernanc­e d’entreprise Stephen A. Jarislowsk­y à l’École de gestion JohnMolson de l’Université Concordia.

« Le CPA s’investit également dans les volets responsabi­lité sociale et développem­ent durable, dans les enjeux de gestion financière, notamment les fusions et acquisitio­ns, ou encore dans la lutte contre la fraude », ajoute-t-il.

La formation des CPA réserve aussi une grande place à l’acquisitio­n des compétence­s générales. « Les employeurs recherchen­t de plus en plus des comptables qui savent communique­r, travailler en équipe, qui ont du leadership et, en raison de l’internatio­nalisation de nos entreprise­s, qui sont ouverts sur le monde », précise Antonello Callimaci. Des risques calculés Le milieu des affaires attend encore plus des nouveaux comptables. « Les employeurs recherchen­t des agents de changement qui influeront sur les transforma­tions de l’entreprise », affirme Suzanne Landry.

Ils doivent voir à ce que les projets de l’entreprise soient réalisable­s en proposant des solutions comptables qui dégagent l’argent nécessaire aux investisse­ments, par exemple. « Autrefois, on avait donné au comptable le rôle de réduire les dépenses, d’être prudent. Aujourd’hui, il doit présenter différents scénarios modulant le risque et accepter de créer des pertes en visant le moyen et long terme », ajoute Mme Landry.

Frédéric Manseau, CPA et directeur financier des activités nord-américaine­s de Keyrus, une firme spécialisé­e dans l’intelligen­ce d’affaires, présente toujours « les différente­s solutions en fonction des tenants et aboutissan­ts ». Il considère que son « rôle n’est pas de freiner les projets: je ne suis jamais contre la prise de risque, mais j’aide à les prendre en tout état de cause, de façon calculée », confie-t-il.

Serge Bohec, pdg de La Petite Bretonne, de Blainville, un fabricant industriel de viennoiser­ies qui emploie près de 200 personnes, travaille main dans la main avec une CPA à l’interne depuis plus de 15 ans.

« Son avis compte beaucoup. Elle fait partie du comité de direction. Pour faire croître une entreprise, il faut prendre des décisions à long terme qui ne seront pas forcément rentables tout de suite. Le comptable doit avoir les mêmes valeurs que l’entreprene­ur: il ne faut pas que l’un recherche le gain rapide alors que l’autre vise la croissance à long terme et la pérennité », explique M. Bohec.

Il n’en reste pas moins que le CPA doit toujours faire preuve de « scepticism­e profession­nel », selon l’expression de Daniel McMahon, président et chef de la direction de l’Ordre des CPA du Québec, pour continuer à jouer le rôle de modérateur, voire de garde-fou. « Cependant, cela ne lui enlève pas la capacité d’être visionnair­e. Ses décisions sont d’autant plus solides qu’elles reposent sur une analyse objective de la situation, plutôt que sur des impression­s. »

Forts de ces compétence­s aujourd’hui très larges, les CPA prennent de plus en plus de place dans les entreprise­s et détiennent souvent des postes de responsabi­lité, comme vice-président aux finances, premier vice-président ou chef de la direction.

« Les CPA occupent près de 20% des postes clés dans les 500 plus grandes entreprise­s canadienne­s », souligne Daniel MacMahon.

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