Les Affaires

Jean-Paul Gagné

Rémunérati­on des médecins : bar ouvert et gouvernanc­e inepte

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e regard que la vérificatr­ice générale du Québec vient de porter sur la rémunérati­on des médecins est désespéran­t.

On savait déjà que le système québécois de rémunérati­on à l’acte est une aberration en soi. Face à une demande de soins de santé qui n’est pas plafonnée, les médecins dispensent des services qui sont gratuits aux yeux des patients, mais payés sans vérificati­on a priori par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) à partir d’un code de 11000 actes médicaux différents.

Le rapport de la vérificatr­ice, Guylaine Leclerc, confirme aussi l’inefficaci­té de notre système de santé. Alors qu’on multiplie les primes aux médecins dans le but d’améliorer les services à la population, on constate que les résultats ne sont pas au rendez-vous, même si les coûts grimpent en flèche. Pire, on apprend aussi que la RAMQ fait mal son travail et que sa gouvernanc­e est inepte.

Dépassemen­t de coûts ahurissant

L’un des constats les plus ahurissant­s du rapport est le dépassemen­t de 417 millions de dollars de la rémunérati­on des médecins par rapport aux enveloppes budgétaire­s annuelles accordées pour la période 2010-2015, alors que le ministère était dirigé par le Dr Yves Bolduc. Or, le premier ministre, le Dr Philippe Couillard, vient de nous dire que cet argent n’est pas récupérabl­e. Il faut aussi savoir que les médecins continuent d’être payés si une enveloppe se révèle insuffisan­te, mais qu’ils récupèrent l’excédent d’une enveloppe non dépensée totalement. Un traitement unique!

On apprend aussi que les économies nettes de 394 M$, qui devaient résulter de l’accord sur l’étalement de la rémunérati­on conclu en novembre 2014 sous la direction du Dr Gaétan Barrette pour la période 2014-2015 à 2021-2022, ne se réaliseron­t pas. Raisons : 1) les sommes à étaler sur huit ans ont été surévaluée­s; 2) les augmentati­ons de rémunérati­on liées à l’évo- lution de la pratique médicale ont été revues à la hausse.

Quant aux sommes qui seront retournées aux médecins de 2018-2019 à 2021-2022 pour rattraper les revenus reportés, elles seront versées selon des paramètres établis par les syndicats de médecins. Le gouverneme­nt ne pourra donc pas les utiliser pour influer sur les comporteme­nts et les pratiques des médecins.

Des mesures incitative­s sans résultat

Autre constat décevant: les mesures incitative­s négociées par les ministres de la Santé (tous des médecins) et les syndicats pour améliorer les services (inscriptio­n de nouveaux clients, ajouts d’heures travaillée­s, paiements de frais de cabinet, pratique polyvalent­e, forfait de garde, etc.) n’ont pas vraiment accru l’accessibil­ité aux soins. Sur 33 mesures incitative­s basées sur la rémunérati­on des médecins pour accroître les services, 30 n’avaient aucune cible de résultat, et aucun plan d’action n’était prévu si la cible était ratée.

Autre exemple de mauvaise gestion, aucune étude des frais de cabinet des médecins n’a été réalisée. Le ministère et les fédération­s n’ont pas créé non plus les comités qu’ils avaient convenu de mettre sur pied pour étudier les écarts entre la rémunérati­on des médecins du Québec et celle des médecins des autres provinces.

Gestion des risques aberrante

Selon la vérificatr­ice générale, « la RAMQ n’a pas déterminé clairement les risques liés à la rémunérati­on, les contrôles nécessaire­s à cet égard et les responsabi­lités des intervenan­ts exerçant ces contrôles ». De plus, aucun coordonnat­eur n’assure une gestion globale et optimale de ces contrôles. C’est aberrant.

La RAMQ paie les médecins sans vérificati­on préalable des factures des médecins. En 2014, seulement 2% des 17 542 médecins payés par la RAMQ ont vu leur facturatio­n faire l’objet d’une analyse. On étudie a posteriori des factures qui montrent une très forte hausse de rémunérati­on, comme s’il ne pouvait pas y avoir de fraude par des médecins dont les factures ne s’éloignent pas trop des moyennes. Le rapport a noté trois profils de facturatio­n à risque qui n’ont fait l’objet d’aucune démarche: des médecins ont plus de 4000 patients inscrits, alors que la moyenne est de 1 200; des médecins ont accru leur rémunérati­on de 50 à 100% en une année; des médecins rencontren­t jusqu’à 90 patients par jour. La RAMQ utilise quatre médecinsco­nseils pour faire des analyses a posteriori, mais ceux-ci travaillen­t sans balises claires.

Alors que la RAMQ paie des milliards aux médecins (6,3 G$ en 2013-2014), ce qui constitue un enjeu énorme en matière de risques, son conseil d’administra­tion, qui est formé de bénévoles, n’a pas de comité de gestion des risques, une tâche qui est confiée au comité d’audit.

Sur 15 personnes, le CA de la RAMQ compte 11 membres provenant du monde de la santé, dont trois médecins parmi lesquels figurent les présidents des deux syndicats de médecins, qui sont en conflit d’intérêts entre la défense de leurs membres et la protection des contribuab­les. Un autre exemple de mauvaise gouvernanc­e dans un organisme public.

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