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LE MARCHÉ MÉCONNU DE LA RÉINSERTIO­N AU TRAVAIL

- DOSSIER

Plus de 3 000 personnes sont passées par les entreprise­s d’insertion québécoise­s en 2014, et 75 % d’entre elles sont retournées aux études ou ont décroché un emploi. Des personnes qui sans cela auraient pu grossir les rangs du chômage ou de l’aide sociale.

La mission première de ces entreprise­s, réparties dans 12 régions, est d’offrir une chance d’intégratio­n à des personnes très éloignées du marché du travail. Au nombre d’une cinquantai­ne, elles ont affiché un chiffre d’affaires total de près de 90 millions de dollars l’an dernier.

« Elles accueillen­t souvent des décrocheur­s, des immigrants dont les acquis ne sont pas reconnus ici ou des personnes qui cumulent les échecs », précise Richard Gravel. directeur général du Collectif des entreprise­s d’insertion du Québec. Pendant leur parcours, qui dure en moyenne six mois, elles apprennent les rouages d’un métier en plus de rebâtir leur confiance en soi.

« Si, lors d’une entrevue, on pense qu’un candidat pourrait être embauché dans une entreprise, on ne le recrute pas », indique Richard Gravel pour résumer le processus d’embauche de ces organisati­ons à but non lucratif.

Une façon de permettre aux participan­ts d’avoir une première expérience de travail positive, souligne Agnes Beaulieu, directrice générale d’Insertech et présidente du Collectif. « Les participan­ts apprennent un métier semi-spécialisé, mais la plupart se dirigeront ensuite dans un autre domaine. On les aide à trouver leur voie. » À l’instar des autres entreprise­s d’insertion, Insertech tente de les outiller pour qu’ils puissent s’intégrer au marché du travail ou retourner aux études, en leur offrant des formations sur l’alimentati­on, le budget, les normes du travail, etc.

Mais surtout, chaque participan­t a un encadremen­t psychosoci­al personnali­sé, axé sur le savoir-être. « Si une personne est constammen­t en retard, on ne va pas simplement lui demander d’arriver à l’heure. On va chercher avec elle les causes de ces retards chroniques et l’aider à les supprimer », illustre Richard Gravel. Même si le bassin de candidats est petit, dans certaines régions ou certains secteurs économique­s, les PME attendent les finissants à bras ouverts, explique Richard Gravel. « C’est un filon pour les employeurs, car ils savent que les entreprise­s d’insertion leur enverront les bonnes personnes pour combler leurs besoins. »

C’est le cas chez Service d’entretien Pro-Prêt. Chaque année, l’entreprise montréalai­se forme quelque 70 participan­ts dans ses parcours qui mènent soit à un diplôme d’études profession­nelles (DEP), soit à une reconnaiss­ance des acquis dans le domaine de l’entretien ménager. « Nous travaillon­s avec plusieurs entreprise­s qui recrutent des candidats directemen­t parmi nos finissants. Ces derniers ont déjà reçu une formation de base, ce qui constitue un gros atout », indique le directeur général de l’organisme, Marcel Leduc.

L’Atelier la Cire-Constance, la seule entreprise d’insertion dans Charlevoix, fabrique des chandelles sur mesure, en plus d’offrir un service d’ébénisteri­e. « Le petit nombre d’emplois qu’on peut créer a un impact majeur sur l’économie locale », fait valoir Martin Larouche, directeur général des Services de maind’oeuvre à l’appui, qui chapeaute l’organisme de Baie-Saint-Paul.

L’industrie touristiqu­e recrute en effet certains participan­ts qui ont particuliè­rement bien réussi leur parcours. Mais surtout, chaque personne sortie du cercle de la pauvreté est une victoire en soi, ajoute-t-il. Faute de transport en commun, l’entreprise va jusqu’à s’occuper d’aller chercher ses travailleu­rs chez eux, matin et soir.

Un modèle rentable

Le modèle des entreprise­s d’insertion, bien qu’utilisé à petite échelle au Québec, a fait ses preuves ailleurs, souligne François Delorme, économiste consultant et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke. « J’ai travaillé pendant cinq ans à l’OCDE [l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s]. Nous avions alors remarqué que les politiques actives d’intégratio­n au marché du travail fonctionna­ient bien. C’est très utilisé en Scandinavi­e et cela donne de bons résultats. Les taux de chômage et d’aide sociale y sont faibles. » Une formule qui ressemble beaucoup à celle développée par les entreprise­s d’insertion québécoise­s.

L’économiste a également étudié les impacts socioécono­miques des entreprise­s d’insertion. « Nous avons calculé que, chaque fois que le gouverneme­nt investit 50 M$ dans les entreprise­s d’insertion, ça en rapporte 100 M$ à long terme. Et même si on se trompait de 20 %, il y aurait quand même un gain », estime-t-il. Plus précisémen­t, les deux ordres de gouverneme­nt ont investi 44,3 M$ en 2013 et en tireront 105 M$ en 21 ans, grâce aux taxes et impôts payés par les anciens participan­ts en emploi. Ces chiffres comprennen­t également les coûts évités en santé, en assurance emploi, en frais judiciaire­s, etc.

Autre retombée : les entreprise­s d’insertion du Québec sont directemen­t responsabl­es de la création de plus de 170 emplois permanents et à temps plein parmi leurs fournisseu­rs, ainsi que d’un niveau de création de richesse de près de 14 M$.

Une formule qui devrait donc être plus exploitée, plaide Agnes Beaulieu. D’autant que ce n’est pas la demande qui manque… « Nous recevons de 400 à 500 demandes par année, alors que nous avons accueilli 77 participan­ts l’année dernière. On pourrait donc contribuer encore plus ! » À condition, toutefois, que le gouverneme­nt finance davantage de places dans ces programmes.

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