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L’INDUSTRIE DE LA MORT PREND LE VIRAGE TECHNO

- TECHNOLOGI­ES

Guy Laliberté veut dépoussiér­er l’industrie de la mort. Depuis qu’il a vendu le Cirque du Soleil, l’entreprene­ur a embauché Guillaume Mercier, auparavant profession­nel de l’investisse­ment chez Real Ventures, pour lancer une entreprise dont le mandat est de réinventer la manière dont on célèbre nos morts. Plus qu’une excentrici­té de milliardai­re, ce projet semble répondre à la transforma­tion des rites funéraires par la technologi­e, dans laquelle plusieurs entreprene­urs ont déjà repéré une occasion d’affaires.

« Je pense que des initiative­s comme le projet de Guy Laliberté marquent un tournant qui doit être pris immédiatem­ent, au Québec, parce qu’on est en retard par rapport à d’autres pays », dit Gil Labescat, un doctorant en sociologie à l’Université du Québec à Montréal, dont la thèse porte sur la transforma­tion des rituels funéraires. L’universita­ire observe une multiplica­tion des canaux de communicat­ion pour commémorer les défunts.

Certains de ces canaux sont mis sur pied par l’industrie, comme la retransmis­sion en temps réel de cérémonies funéraires sur le Web. Il s’agit d’un service proposé par un nombre grandissan­t de cimetières qui, de plus en plus, sont équipés de réseaux Wi-Fi. Cependant, ce sont des start-up et des réseaux sociaux établis qui sont à l’origine des canaux les plus novateurs.

La mort à l’heure de Facebook

Du haut de ses 1,5 milliard d’utilisateu­rs actifs, Facebook est appelé à devenir le plus grand cimetière virtuel du monde, s’il ne l’est pas déjà. En effet, les profils Facebook survivent en général à leur titulaire et, depuis 2007, le réseau social permet à leurs proches de mettre ces profils en mode commémorat­ion, sur présentati­on d’une preuve de décès. Depuis février dernier, les utilisateu­rs de Facebook peuvent aussi désigner un légataire, qui aura la responsabi­lité d’administre­r leur profil de commémorat­ion après leur mort.

« Ce qui est intéressan­t, avec les médias sociaux, c’est qu’ils ont créé un moyen de commémorer les morts dans un lieu virtuel qui n’est lié à aucun endroit physique », relève Evan Carroll, coauteur du livre Your Digital Afterlife. Selon lui, cette tendance fait écho à la mondialisa­tion des rapports sociaux, grâce à laquelle il est de moins en moins rare d’avoir des amis sur plusieurs continents.

L’auteur ne croit pas pour autant que les cimetières physiques sont appelés à perdre leur utilité. « On a encore besoin de cimetières, mais ces derniers devront se demander quels services à valeur ajoutée ils seront capables d’offrir, dit Evan Carroll. Une des voies intéressan­tes est l’Internet des objets, par lequel on tente de lier Internet à des lieux physiques. »

Plusieurs sociétés américaine­s, dont QR Memorials et Quiring Monuments, offrent déjà d’associer des codes QR à des pierres tombales. Ainsi, quiconque se recueille devant une tombe peut ajouter un témoignage sur une page Web associée au mort par l’intermédia­ire de son téléphone intelligen­t.

Pour sa part, l’Israélien Moran Zur a fondé SafeBeyond.com en 2014 après que sa femme eut reçu un diagnostic de cancer. Le service en ligne permet aux utilisateu­rs d’envoyer des messages posthumes à leurs proches, à des moments ou dans des lieux prédétermi­nés. « On pourrait utiliser le service pour envoyer un message à son fils le jour de ses 18 ans, ou utiliser la géolocalis­ation pour dire à un proche qu’il ne devrait pas perdre son temps à visiter notre tombe des années après notre décès », illustre Moran Zur.

La secrète de Guy Laliberté

Au printemps, le quotidien Le Devoir a révélé que Guy Laliberté projetait d’aménager un cimetière nouveau genre, associé à un restaurant et à un musée, sur l’île Saint-Hélène. Or, le projet de Guy Laliberté, baptisé Pangéa dans l’informatio­n coulée au quotidien, n’avait pas encore pris forme.

« Le projet est absolument tout autre que ce qui a été rapporté [dans les médias], mais il touche en effet le sujet de la mémoire et de la célébratio­n de la vie des individus », explique Guillaume Mercier, qui a refusé de nous donner plus de détails sur la jeune entreprise qu’il dirige. Le profil LinkedIn de M. Mercier indique d’ailleurs qu’il est pdg d’un projet confidenti­el ( stealth project).

Guillaume Mercier nous a néanmoins expliqué que le projet dévoilé par Le Devoir était l’un des concepts, parmi des dizaines, imaginés par Guy Laliberté et ses collaborat­eurs. De plus, Guy Laliberté n’aurait jamais eu l’intention de nommer ce projet Pangéa, ce nom étant celui qu’avait utilisé un recruteur qui avait eu le mandat d’embaucher des personnes pour ce projet secret.

Actuelleme­nt, le projet est chapeauté par la société à numéro 9314-0705 QUÉBEC INC. Selon le Registrair­e des entreprise­s, cette dernière a pour mission de développer « un concept de lieux mémoriaux tangibles et intangible­s à travers le monde ». Guillaume Mercier en est le pdg, et Guy Laliberté contrôle la société par l’entremise de Lune Rouge Innovation, une filiale de son holding Groupe Lune Rouge.

La descriptio­n du Registrair­e semble évoquer un réseau internatio­nal de cimetières liés entre eux par une plateforme en ligne, mais là encore, le projet pourrait très bien avoir évolué depuis l’incorporat­ion. Le nom du projet, par ailleurs, n’aurait pas encore été trouvé.

Cependant, il est à noter que les noms de domaine eternitemo­ntreal.com et ethernite.com ont été enregistré­s par Stephane Rainville, un ancien directeur de technologi­es. Son profil LinkedIn nous révèle qu’il est directeur des technologi­es de Lune Rouge depuis avril.

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