Les Affaires

L’acceptabil­ité sociale, un enjeu qui prend de l’ampleur

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Un bon projet, une écoute empathique et des plans flexibles : trois éléments que doivent impérative­ment posséder les promoteurs s’ils souhaitent rendre leur projet acceptable aux yeux des communauté­s locales. C’est ce qui ressort d’une table de discussion organisée par Les Affaires dans le cadre d’une conférence sur l’acceptabil­ité sociale tenue en décembre.

Plus personne ne doute de l’importance cruciale de l’acceptabil­ité sociale dans la réussite ou l’échec des projets. De Mine Arnaud aux éoliennes de Saint-Cyprien-deNapiervi­lle, en passant par les forages exploratoi­res près de Gaspé, pas un projet n’échappe à l’attention des médias et du public, aux débats enflammés et aux négociatio­ns.

Loin d’émaner d’une posture « antidévelo­ppement » qui serait propre au Québec, le phénomène est mondial et, surtout, irréversib­le.

Pourquoi ? D’abord parce que les projets eux-mêmes – et ceux qui s’y opposent – sont beaucoup plus visibles qu’autrefois, du fait des médias sociaux et de l’informatio­n continue. Ainsi, la moindre histoire locale peut vite déborder à l’échelle nationale. « Il y a une demande pour des informatio­ns qui, il y a 30 ans, n’avaient pas de débouchés », note Bernard Motulsky, titulaire de la Chaire de relations publiques et communicat­ion marketing à l’Université du Québec à Montréal. « Au lieu d’avoir deux bulletins, on a 20 heures d’informatio­n par jour à remplir. »

Bernard Motulsky dit que les organisati­ons civiles sont aussi beaucoup plus « agressives » qu’autrefois, notamment parce qu’elles ont à leur dispositio­n une panoplie de nouveaux outils. « Avant, elles ne comptaient que sur les médias. Aujourd’hui, il y a le sociofinan­cement, les pétitions, l’organisati­on de manifestat­ions et de mouvements de masse à partir des médias sociaux… Cette opposition, il faut la voir, il faut l’anticiper. »

Des promoteurs facilement dépassés

Dans cette course virtuelle, les promoteurs sont souvent à la traîne et peinent à faire valoir leur récit. « On se fait dépasser et on risque que ça fasse boule de neige », ajoute le pro- fesseur Motulsky. Les médias sociaux ont également un effet polarisate­ur sur l’opinion en raison du relatif anonymat de ceux qui les utilisent. Cela encourage les opinions agressives plutôt que le dialogue serein. « C’est un univers qui favorise la confrontat­ion plutôt que le consensus. C’est rarement un espace où on réussit à faire changer les gens d’avis », croit M. Motulsky.

Par ailleurs, certains promoteurs confondent acceptabil­ité sociale et relations publiques, au risque de se faire accuser de manipuler l’opinion. Une stratégie à éviter, dit Dominique Dionne, vice-présidente aux relations institutio­nnelles et internatio­nales à la Caisse de dépôt et placement : « On ne peut pas payer des gens pour faire des gazouillis positifs sur un projet ou mandater des gens pour influencer l’opinion, dit-elle. On ne peut pas “fabriquer le consenteme­nt”, comme disait Noam Chomsky [un professeur de linguistiq­ue émérite]. Il faut des personnes crédibles derrière le projet, qui s’investisse­nt dans la communauté au quotidien. Il faut offrir des faits en toute transparen­ce pour qu’une vraie discussion commence ».

Beaucoup de promoteurs ont d’ailleurs compris que le dialogue avec les communauté­s doit commencer bien avant le développem­ent du projet. Le hic, c’est qu’ils sont parfois tellement en amont qu’ils n’ont pas encore de réponses claires à donner aux questions des citoyens – de plus en plus pointues, d’ailleurs. Or, « je ne sais pas » n’est jamais une réponse satisfaisa­nte pour le public.

« C’est là que les groupes environnem­entaux nous ont au détour : on a l’obligation d’être présents médiatique­ment. Mais sans étude d’impact en main, on n’a pas de réponses à donner, déplore Marie-Claude Lavigne, directrice des affaires publiques à GNL Québec. Cette obligation qu’ont les promoteurs de se présenter en amont sans avoir de réponses, ça crée un débat déséquilib­ré. »

Finalement, l’acceptabil­ité sociale ne sert à rien si le projet n’est pas bon à la base. « Si on n’a pas un projet qui apportera des avantages aux différente­s parties prenantes, ça ne nous sert à rien d’essayer de communique­r, précise Dominique Dionne. L’acceptabil­ité sociale, ça ne veut pas du tout dire “faire accepter un projet”, mais plutôt rendre un projet acceptable et pertinent. Et pour rendre un projet acceptable, il faut être prêt à faire des concession­s. Le projet va changer en cours de route. »

Signe des temps? Pour faire suite au chantier sur l’acceptabil­ité sociale lancé par Québec en novembre 2014, le gouverneme­nt s’apprête à déposer dès l’hiver 2016 un livre vert sur la question. Les orientatio­ns gouverneme­ntales feront l’objet d’une commission parlementa­ire. — ANTOINE DION-ORTEGA

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