Les Affaires

Des employés à l’affût des pertes chez Cascades

- Étienne Plamondon-Émond redactionl­esaffaires@tc.tc

Depuis 2014, Cascades organise des « chasses au trésor » dans ses usines. Elle retire ainsi les employés de leur poste durant une semaine et leur montre une cartograph­ie de la dépense d’énergie dans l’usine, surtout aux étapes du séchage de papier et de la préparatio­n de la pâte dans la chaîne de production, très gourmandes en la matière. Les travailleu­rs cherchent ensuite en sous-groupe des solutions, expériment­ent de nouvelles façons d’utiliser la machinerie, puis établissen­t un plan d’action.

« Après, on constate qu’ils ont un oeil plus averti », affirme Fabien Demougeot, directeur, énergie, chez Cascades.

« L’efficacité énergétiqu­e, ça ne se réalise pas devant un fichier Excel, mais sur le terrain en travaillan­t avec le personnel », souligne Éric Le Couédic, directeur des démarches d’accompagne­ment en efficacité énergétiqu­e à l’Associatio­n québécoise pour la maîtrise de l’énergie. « C’est important que toutes les personnes, à tous les échelons de l’entreprise, travaillen­t dans le même sens. »

Mobiliser les employés

Comment inciter ses employés à adhérer à une démarche d’efficacité énergétiqu­e ? « Il faut adapter notre discours selon l’échelon ou les personnes à qui on parle », prévient Sophie Tessier, codirectri­ce du Pôlee3: expertise en énergie et en environnem­ent à HEC Montréal. Selon la première enquête sur la gestion de l’énergie en entreprise au Québec, réalisée en 2015 par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, les arguments les plus convaincan­ts auprès de la direction sont le rendement économique, les retombées pour les actionnair­es et la réduction des impacts environnem­entaux.

Les travailleu­rs aux opérations sont cependant moins interpellé­s par ces sujets. « Il faut leur parler de ce qu’ils vont gagner, pour éviter qu’ils aient l’impression de faire ces efforts pour quelqu’un d’autre, précise Mme Tessier. La beauté de l’efficacité énergétiqu­e, c’est qu’il y a énormément de bénéfices: souvent, cela améliore au passage le processus de production ou enlève des irritants pour les employés. » Elle souligne, par exemple, que réduire une perte d’énergie causée par une fuite d’air dans un système de vapeur peut diminuer du même coup le bruit et améliorer le confort des employés.

Après avoir souscrit à la démarche, les employés doivent se l’approprier. Éric Le Couédic croit qu’une bonne démarche doit donner l’impression aux travailleu­rs qu’ils sont à l’origine des idées. Reste à susciter un engouement. M. Le Couédic suggère de commencer par des mesures qui nécessiten­t peu de temps et d’argent, comme l’installati­on de détecteurs de présence pour l’éclairage, et dont les répercussi­ons se font sentir rapidement.

D’après Sophie Tessier, « il faut créer dans l’entreprise le sentiment qu’on a accompli quelque chose », dit-elle. Pour maintenir l’enthousias­me, on doit aussi veiller à communique­r aux employés les résultats de manière compréhens­ible. « Il ne faut pas parler en kilowatthe­ure ou en mètre cube de gaz. Il faut parler en dollars et mettre un montant sur chacune des actions qu’on fait », dit M. Le Couédic.

Constituer une équipe d’employés spécialisé­s constitue l’un des premiers conseils que donne Sophie Tessier aux entreprise­s qui veulent mettre en place un programme d’efficacité énergétiqu­e. « Selon la taille de l’entreprise, il y a plusieurs façons de faire », indique Mme Tessier. Mais malgré l’éventail de formules, elle juge qu’au moins un employé de l’entreprise doit être affecté à cette tâche.

Des objectifs ambitieux pour Cascades

Dans le domaine, Cascades est devenue un cas d’école. La multinatio­nale de Kingsey Falls, qui compte près de 11 000 employés, a réuni, en 1997, une poignée d’ingénieurs dans un groupe d’interventi­on avec pour mission de réduire les coûts en énergie. Aujourd’hui, une quinzaine de technicien­s et d’ingénieurs travaillen­t à temps plein sur l’efficacité énergétiqu­e pour sa vingtaine d’unités affaires du Québec, en plus de deux personnes pour les établissem­ents de Toronto et de la côte ouest des États-Unis.

La démarche porte ses fruits. Cascades consomme désormais de 10 à 11 gigajoules d’énergie par tonne métrique de produits vendables, alors que la consommati­on moyenne de l’industrie des pâtes et papiers avoisine les 26,4 gigajoules par tonne métrique, selon un sondage de l’Associatio­n des produits forestiers du Canada mené en 2013.

Parmi les mesures qui ont permis à l’entreprise de réaliser de telles économies d’énergie, on note l’optimisati­on de la combustion des chaudières pour produire de la vapeur destinée au séchage du papier, ainsi que l’installati­on de récupérate­urs d’énergie installés sur les hottes de machine à papier.

Après avoir visé un objectif de réduction de la consommati­on d’énergie de 3% au cours des trois dernières années, Cascades se donne maintenant une cible de réduction plus ambitieuse de 10% au cours des cinq prochaines années.

« C’est impossible qu’un petit groupe comme le nôtre puisse maîtriser toute l’énergie, admet Fabien Demougeot. Depuis deux ou trois ans, on est plus sur le mode de la formation et de la conscienti­sation. » Chaque usine aura donc bientôt un employé qui, en plus de ses fonctions, sera désigné comme responsabl­e de l’efficacité énergétiqu­e. « C’est lui qui deviendra le point de contact et qui fera avancer les plans d’action. »

Prévoir une enveloppe budgétaire

Au-delà des ressources humaines mobilisées, Sophie Tessier juge pertinent de réserver une enveloppe aux mesures d’efficacité énergétiqu­e à l’extérieur du budget global d’opération. « Si c’est le coordonnat­eur en la matière qui la gère, les gens ne peuvent pas réclamer ces sommes pour autre chose. Cela permet de mettre en oeuvre des projets plus risqués », explique-t-elle.

En 2004, Cascades a créé un fonds d’investisse­ment en efficacité énergétiqu­e. En 10 ans, ce fonds a permis d’injecter environ 60 millions de dollars dans des mesures d’économie d’énergie, dont 13 M$ sont issus de subvention­s. L’entreprise estime avoir réalisé des économies récurrente­s de plus de 60 M$ au cours de la même période, grâce aux 200 projets que cette démarche a permis de mettre en place.

Pour mesurer les progrès réalisés, Mme Tessier rappelle l’importance pour les organisati­ons de se doter d’indicateur­s. « Il faut parvenir à sortir le coût de l’énergie du montant global des frais généraux. » Dans le cas de Cascades, le calcul du nombre de gigajoules d’énergie consommée par tonne métrique de produits vendables vient remplir ce rôle. Ensuite, l’organisati­on doit se fixer des cibles de réduction à l’aide de l’indicateur. « Si on fait juste mesurer, on va savoir, mais on n’ira nulle part », souligne Mme Tessier.

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