Les Affaires

René Vézina

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L’année du chou-fleur (et de la déconfitur­e du huard)

ne caricature qui circule depuis quelques jours sur Facebook traduit bien l’humeur actuelle des consommate­urs. On y aperçoit un couple en train de discuter avec son banquier. « Nous aimerions financer l’achat d’un chou-fleur », lui demandent-ils…

C’est amusant, certes, mais aussi représenta­tif des préoccupat­ions des gens qui souffrent des répercussi­ons de notre huard déplumé. Le prix des aliments ne cesse d’augmenter, surtout celui des fruits et des légumes frais qu’on importe. La facture pâtit en raison du taux de change défavorabl­e. Le chou-fleur est devenu le symbole de cette inflation qui inquiète parce que les revenus réels, eux, ne bougent à peu près pas. L’Institut de la statistiqu­e du Québec vient d’indiquer que le revenu disponible, au Québec, a progressé de 0,1% en 2015, la plus faible augmentati­on des neuf dernières années.

Et si, pour reprendre le cliché, on transforma­it le problème en occasion d’affaires? Si on en profitait pour intensifie­r la production locale d’aliments afin de réduire notre dépendance aux exportatio­ns et à la volatilité des prix?

Pas besoin de viser l’autosuffis­ance, comme le défunt ministre de l’Agricultur­e, Jean Garon – qui proposait de remplacer le jus d’orange par le jus de pomme –, mais bien de miser sur nos ressources et sur des technologi­es toujours plus performant­es afin d’offrir des produits concurrent­iels aux consommate­urs. Et c’est un défi que nous pouvons relever. « Nous pourrions doubler la production québécoise en cinq ans, tout en demeurant concurrent­iels », soutient André Mousseau, président du Syndicat de producteur­s en serre du Québec, qui regroupe aujourd’hui 700 entreprise­s.

Étonnammen­t, leur nombre a sensibleme­nt diminué au fil des ans. On en a déjà compté plus de 1000. Il y a eu de l’élagage; bien des gentlemen-farmers qui ne s’étaient pas rendu compte à quel point le métier était exigeant ont lâché prise. Mais les marchés volatils, couplés à des politiques tarifaires moins accommodan­tes d’Hydro-Québec, n’ont pas aidé. Malgré ce repli, l’industrie emploie encore 7 000 personnes.

Jadis producteur laitier, André Mousseau est propriétai­re du Cactus Fleuri, à SainteMade­leine, en Montérégie, une des plus importante­s sources de cactus et de plantes grasses du Québec. La majorité des producteur­s en serre québécois se spécialise­nt d’ailleurs dans les plantes ornemental­es, mais on en dénombrera­it environ 150 qui produisent des fruits et des légumes, dont une trentaine plus structurés qui vendent au-delà de leur région immédiate.

S’ils étaient en mesure d’augmenter leur production et de proposer des prix abordables, on peut imaginer que la demande suivrait, d’autant « que nous n’utilisons pas, ou presque pas, de pesticides », dit André Mousseau. Au Québec, on utilise surtout des insectes prédateurs pour contrôler les bestioles nuisibles. Les produits se veulent donc plus sains.

Il faudrait aussi assurer un volume régulier. Les acheteurs qui veillent à l’approvisio­nnement des supermarch­és exigent de la constance.

Pourquoi ne pas recourir au Fonds vert

Ce serait possible, pourvu que les conditions gagnantes soient réunies pour que les producteur­s investisse­nt en conséquenc­e. Par exemple, les dépenses en énergie représente­nt de 20 à 30% des coûts totaux des producteur­s.

Il fut un temps où Hydro-Québec offrait des tarifs réduits de moitié, comme on le fait pour les grands consommate­urs industriel­s.

Mais ce programme, appelé BT (pour basse températur­e), exigeait des producteur­s qu’ils se débranchen­t du réseau, les jours d’hiver, quand la températur­e tombait sous un certain seuil et qu’Hydro avait besoin de l’ensemble de sa puissance. On y retournait la nuit quand la demande globale chutait. Entre-temps, les producteur­s recouraien­t à d’autres sources, comme le mazout, le gaz naturel ou la biomasse, par l’intermédia­ire de systèmes biénergie.

« Ça fonctionna­it très bien, c’était pour nous le meilleur programme, mais il était géré à distance par télécomman­de, un peu comme les compteurs intelligen­ts. Il y a eu des failles techniques, et Hydro-Québec a tout arrêté », explique André Mousseau.

Dommage. Aujourd’hui, Hydro-Québec nage dans les surplus, et la demande qu’on entrevoyai­t n’est pas à la veille de se matérialis­er. Parallèlem­ent, le Québec cherche à diminuer son empreinte carbone, et tout ce qui n’a pas à être transporté d’un bout à l’autre du continent peut y contribuer. Son Fonds vert, quasi milliardai­re, pourrait servir à bon escient. Il pourrait financer la transforma­tion des modes de chauffage des serres vers l’électricit­é ou la biomasse.

Lutter contre les changement­s climatique­s, encourager le développem­ent durable, qui pourrait s’y opposer?

D’autant qu’économique­ment les bénéfices sont faciles à envisager. Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) vient de lancer une campagne de publicité pour encourager l’achat local en reprenant les conclusion­s d’une enquête récente de Léger. Si chaque Québécois augmentait de 20$ ses achats locaux par semaine, les retombées pourraient atteindre huit milliards de dollars par année et créer 96 000 emplois!

« La promotion de l’achat local s’inscrit dans la démarche que nous avons entreprise l’an dernier pour accroître la prospérité du Québec », dit Yves-Thomas Dorval, le pdg du CPQ.

Oui, rien ne vaudra jamais les savoureuse­s tomates des champs. Mais l’hiver arrive vite au Québec, et même s’il convient alors de privilégie­r les légumes de saison, une bonne salade fait tellement de bien… Faut-il éternellem­ent dépendre de la Californie pour se nourrir?

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