Les Affaires

Jean-Paul Gagné

- Un dossier qui devrait être revu

Fermeture de Mélaric : bêtise de Québec et gouvernanc­e médiocre

L’annonce subite et dramatique de la fermeture de Mélaric, un centre de référence pour alcoolique­s et toxicomane­s de SaintAndré-d’Argenteuil, le 12 janvier, est le résultat d’un cafouillag­e insensé.

Du jour au lendemain, les 72 personnes qu’hébergeait ce centre se sont retrouvées dehors, tandis que 16 employés ont perdu leur emploi. Tout le monde aurait été informé le matin même de cette fermeture. Les médias ont été prévenus, afin que l’événement puisse susciter de l’émotion. Les pensionnai­res qui venaient du milieu carcéral y ont été retournés, alors que d’autres ont été pris en charge par des proches ou hébergés ailleurs.

Cette fermeture était appréhendé­e par le milieu et le gouverneme­nt la redoutait probableme­nt. Mais Québec n’a pas été prévenu du moment où elle surviendra­it. Il semble y avoir un enjeu de règlement de compte dans ce geste théâtral, ce qui est incorrect, malheureux et préjudicia­ble pour les utilisateu­rs du centre. Heureuseme­nt, des ressources compétente­s sont venues à la rescousse. Décortiquo­ns:

1. Mélaric est un organisme à but non lucratif accrédité par le Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentide­s. Le gouverneme­nt ne peut remettre en cause sa légitimité.

2. Sa gouvernanc­e n’est guère impression­nante. Son conseil d’administra­tion (CA) est présidé par Lise Bourgault, qui en est aussi la directrice générale adjointe, selon le site Web de l’établissem­ent. On doit éviter ce cumul de postes. Selon ce site, le CA de Mélaric ne compte que quatre membres. Par contre, on en mentionne sept dans le registre des entreprise­s du Québec. Sur ces sept personnes, trois sont des employés, ce qui est inappropri­é. On y trouve aussi un policier, pompier volontaire et investisse­ur immobilier de Hawkesbury, une administra­trice scolaire, un travailleu­r « dans le domaine de l’électricit­é » et l’ex-directeur général (destitué) de Lachute.

3. On ne sait pas qui a pris la décision de fermer le centre Mélaric. Ou bien c’est Lise Bourgault, qui gère le dossier de main de maître, ou bien c’est le CA. Pourtant, il semble invraisemb­lable qu’un conseil qui a pour mission de veiller au bien-être de gens aussi vulnérable­s que ceux qui fréquenten­t ce centre et qui devrait avoir de la compassion pour de telles personnes ait pris une décision aussi lourde de conséquenc­es.

4. Le centre est très peu transparen­t. Il ne semble pas publier de rapport annuel. Il n’a rien déclaré depuis 2013 à donnerocha­rites.ca, un site Web qui recueille de l’informatio­n sur les organismes de bienfaisan­ce accrédités par l’Agence du revenu du Canada. Les dernières données divulguées datent de 2013 et font état de revenus de 10 000$ et de dépenses de 12 000$. C’est dire que le centre a très peu recours au financemen­t autonome, ce qui est pourtant crucial lorsqu’on gère un organisme communauta­ire. Par prudence, son CA aurait dû trouver d’autres moyens de financemen­t en cas de retrait de l’aide de l’État. Le gouverneme­nt ne peut se laver les mains de la fermeture de Mélaric. Les difficulté­s financière­s du centre découlent de la décision stupide du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale de l’époque, François Blais, de faire passer de 747$ à 200$ par mois à compter du 1er mai 2015 la prestation des assistés sociaux qui sont hébergés dans les 23 centres de désintoxic­ation qui ne reçoivent pas d’aide du Programme de soutien aux organismes communauta­ires (PSOC), comme Mélaric. Or, 33 centres semblables comptant 627 lits (plusieurs ne seraient pas occupés) bénéficien­t d’une somme de plus de 7 millions de dollars du PSOC. Cette différence de traitement pour des centres comparable­s semble aussi insensée qu’inexplicab­le.

Mélaric exigeait des frais d’admission de 150$ et de 400$ par mois pour les thérapies dispensées, sommes qui étaient prélevées à même la prestation de 747$ des bénéficiai­res, ce qui leur permettait de conserver environ 300$ d’argent de poche. Ce financemen­t était en sus du financemen­t gouverneme­ntal de 37$ par jour pour les personnes hébergées dans une chambre à plusieurs lits et de près de 50$ par jour pour celles qui disposaien­t de chambres à deux lits.

À la suite de la réduction de la prestation à 200$, le centre s’est trouvé face au choix suivant: continuer d’exiger les 400$ que les prestatair­es ne pouvaient pas payer, ou renoncer à ces 400$ et devenir non rentable, ce qui est arrivé.

D’autres centres vivent la situation de Mélaric et pourraient fermer s’ils ne recevaient pas d’aide d’ailleurs. L’associatio­n qui les représente demande 10$ par jour par bénéficiai­re, ce qui ne représente pas une fortune; ce montant pourrait aussi venir des chambres payées et non occupées dans les centres appuyés par le PSOC.

Ce dossier a été géré sans compassion par des ministères qui se sont renvoyé la balle et par un CA irrespectu­eux des valeurs humaines que devraient pourtant partager ses administra­teurs qui entrevoien­t peut-être une autre vocation pour leur immeuble.

Bref, il s’agit d’un dossier dans lequel on a erré sur le dos de bénéficiai­res mal aimés et qui devrait être revu.

Newspapers in French

Newspapers from Canada