Changement organisationnel : la bonne attitude
Les changements effraient toujours, ne serait-ce qu’en raison du fait qu’ils nous amènent à sortir de notre petite zone de confort. Mais nous ne devrions pas réagir de la sorte, selon Charles-Mathieu Brunelle, directeur général d’Espace pour la vie, l’organisme qui chapeaute le Biodôme, le Jardin botanique, l’Insectarium et le Planétarium de Montréal. « Changer, c’est refuser de se reposer sur ses lauriers, c’est s’offrir la chance d’aller là où la vie souhaite nous emmener », a-t-il dit lors de la conférence d’ouverture de l’événement Transformation organisationnelle, organisé en décembre par le Groupe Les Affaires.
L’idéal est, par conséquent, de ne pas attendre que le changement s’impose à nous, mais d’aller au-devant de lui. « Lorsque vous avez obtenu un succès, il ne faut surtout pas essayer de le reproduire. On doit plutôt tâcher de se renouveler. Il faut refuser de recourir à la même recette, pour lui en préférer une autre, toute nouvelle. Pourquoi? Parce que cela vous mettra automatiquement en mode adaptation », a-t-il poursuivi. Et de résumer son propos en une phrase: « Le secret d’un changement réussi, c’est de déconstruire ce que vous avez déjà bâti de bien pour faire quelque chose de mieux encore ».
Comment effectuer une telle déconstruction? Nathalie Larue, vice-présidente, développement et mise en oeuvre des solutions d’affaires, de Desjardins, a son idée sur le sujet. « Il est crucial de dépersonnaliser le changement. Ce qui signifie qu’un leader digne de ce nom doit arrêter de se dire “C’est moi qui ai les deux mains sur le volant et qui vais prendre toutes les décisions importantes”, et constater plutôt qu’il est entouré de gens intelligents et compétents sur lesquels il peut compter. Il lui faut, oui, lâcher prise, s’il veut vraiment que l’opération soit une réussite », a-t-elle dit.
Il y a presque deux ans, lorsqu’elle a intégré son poste actuel, Mme Larue savait qu’il lui fallait mener à bien de grands changements. Elle s’est refusée à s’enfermer deux semaines avec des consultants pour en ressortir avec un plan de match autocratique, « comme cela se fait classiquement ». Elle a préféré impliquer les autres, s’entourer de ses directeurs principaux et réfléchir ensemble. Résultat : « Nous avons réussi le tour de force de réduire de 10% nos coûts de gestion tout en faisant passer le taux de mobilisation des employés de 71 à 84% », a-t-elle indiqué.
« De tels changements ne peuvent se faire que si l’on prend le temps de revenir périodiquement sur le pourquoi de ce qu’on a entrepris. Parce que cela aide à garder le cap, en dépit des écueils rencontrés en chemin », a dit Caroline Ménard, associée de Brio Conseils. C’est ce qu’a justement fait IBM Bromont, avec son idée de club de livres d’affaires: « Tous les 15 jours, des employés se réunissent pour discuter de leurs lectures. Ça leur donne l’occasion de mieux comprendre les changements organisationnels que nous avons entrepris depuis quelques années, et surtout de rester concentrés sur ceux-ci », a révélé Hélène Archambault, responsable, développement organisationnel, d’IBM Bromont. Une idée, parmi d’autres, dont l’entreprise se frotte aujourd’hui les mains.
Le président-fondateur de Rudsak, Evik Asatoorian, peine à réaliser ce qui arrive. « Vous savez, je n’aurais jamais cru une telle chose possible. Mais nous avons pris notre temps. Nous nous sommes bien préparés. Et c’est là où nous en sommes », constate le dirigeant du détaillant montréalais de manteaux, sacs à main et accessoires en cuir, sur le point de se lancer à l’international.
Arménien d’origine, immigré du Liban en 1979, Evik Asatoorian est devenu une figure incontournable de la mode montréalaise. Il est admiré par les uns autant que détesté par les autres. On lui reproche un caractère bouillant et changeant, une gestion chaotique des ressources humaines et une tendance à la microgestion.
Néanmoins, détracteurs comme admirateurs reconnaissent en l’homme un designer de talent et un homme d’affaires à succès – il achetait sa première maison à l’âge de 16 ans!– qui a su bâtir une griffe qui fait aujourd’hui l’envie de bien des consommateurs.
« C’est un homme inspiré et inspirant, résume Linda Tremblay, directrice générale du Conseil des créateurs de mode du Québec. Il fait partie de ces gens qui ont le don de percevoir les tendances et de se trouver au bon endroit lorsque vient le moment de profiter d’une vague. »
Il aura fallu plus de 10 ans à Rudsak pour se risquer à l’extérieur du Québec. Une décennie plus tard, la populaire griffe montréalaise se prépare à conquérir le monde.
que, même 20 ans après sa fondation, on sait bien peu de choses de cette entreprise, qui a suivi les traces des Danier Leather (Toronto) et Rugby North America (Montréal, devenue M0851) dans la fabrication et la vente de manteaux, sacs et accessoires de cuir haut de gamme.
« Rudsak et Evik Asatoorian sont des secrets bien gardés qui, à la façon d’Aldo Bensadoun [fondateur d’Aldo], s’affichent trop peu, déplore Bianca Barbucci, spécialiste en marketing et commerce de détail. Cette discrétion est peutêtre stratégique. Mais elle le mène où ? Et lui apporte quoi ? Tu ne peux pas juste t’appuyer sur la qualité de tes produits pour les vendre. À un moment donné, il faut aussi le dire. »
Fort d’une nouvelle équipe de direction recrutée au cours de la dernière année et du soutien financier du Fonds de solidarité FTQ, Evik Asatoorian orchestre actuellement le développement de son « expansion internationale » vers les États-Unis, l’Europe et l’Asie.
Autant de marchés que Rudsak entend attaquer de front, dans l’ordre ou dans le désordre. Rien n’est encore certain, explique son président. « On peut planifier deux ou trois ans d’avance. On a une très bonne idée jusqu’en 2018-2019. Mais au-delà de cette limite, il y a trop de changements pour tout prévoir. »
La chaîne de magasins compte 32 boutiques, soit le double qu’en 2012. Elle embauche près de 500 personnes, dont 170 à son siège social de cinq étages sur le boulevard Saint-Laurent, dans le quartier Ahuntsic de Montréal. Discrète, l’entreprise à capital fermé enregistre des ventes de plus de « 100 millions de dollars », concédera M. Asatoorian du bout des lèvres, ce qui résulte de croissances annuelles des ventes de « 30 à 40 % » au cours des trois dernières années.
Le gros de ses revenus (60 %) provient des ventes dans ses magasins. Le reste (40 %) vient de ventes extérieures à son réseau, soit par la production de produits de marques maison pour des tiers (Maison Corbeil, Caroline Néron, Aldo), soit par la distribution de ses manteaux, sacs et accessoires dans un réseau de chaînes et de boutiques indépendantes. Ses propres produits se déclinent en trois marques, soit Rudsak, Rud by Rudsak et, depuis 2010, Atelier Noir, conçue à l’intention exclusive de Costco. Pour l’heure, seulement 5 % de ses ventes se font en ligne.
L’Ouest et les États-Unis
Après un automne mouvementé, où le détaillant a procédé à l’agrandissement de deux boutiques phares (au Carrefour Laval et au Toronto Eaton Centre) et à l’ouverture de trois autres (à Calgary et à Vancouver), Rudsak amorce 2016 avec l’intention d’achever d’abord son développement canadien. Rudsak veut ouvrir 13 boutiques supplémentaires dans le reste du pays d’ici 18 mois, ce qui porterait leur nombre à 45. Ensuite, l’entreprise entend se concentrer sur l’ouverture de boutiques américaines.
Ce n’est pas la première fois que Rudsak annonce son entrée aux États-Unis. Malgré ses nombreuses déclarations à cet effet au cours des dernières années, le détaillant ne compte encore qu’une salle d’exposition à New York (West 39th Street), pour présenter ses collections aux acheteurs de grandes chaînes comme Macy’s, Nordstrom et Bloomingdale’s, où ses produits sont parfois distribués.
Mais cette fois sera la bonne, assure Evik Asatoorian. Dès 2017, le détaillant montréalais veut ouvrir 12 boutiques au cours des trois premières années en sol américain, à raison de 3 à 4 boutiques par grandes villes, à commencer par New York, Boston et Chicago.
« On pourrait commencer aujourd’hui si on le voulait. Mais, comme en amour, les premières impressions sont importantes. On veut bien faire les choses, ne rien prendre pour acquis et ne surtout pas jouer aux hot shots qui savent tout. Nos trois premières boutiques [New York, Boston, Chicago] devront être parfaites. »
Marie-Claude Frigon, associée responsable du secteur du détail chez Richter, estime que cette stratégie des petits pas est probablement la bonne. « On dit souvent que les États-Unis n’est pas un seul pays, mais 50 États différents », illustre-t-elle.
Aux États-Unis, un marché de 350 millions de consommateurs, Evik Asatoorian croit pouvoir exploiter jusqu’à 300 magasins, chose qu’il n’aurait jamais envisagée au Canada. Rudsak n’entrevoit pas plus de 45 à 50 boutiques ici. « Vous remarquerez, dit-il, toutes les chaînes comme Mexx et Jacob qui ont ouvert entre 200 et 300 boutiques au Canada ont fini par tomber. Elles n’ont pu survivre lorsque les Zara, H&M et autres sont arrivées [au Canada]. »
Londres et la Corée
Parallèlement, l’équipe de direction prépare aussi son expansion en Europe et en Asie. Quand et par quel moyen exactement ? À ce propos, le pdg se limite à indiquer que Londres accueillera sa première boutique en Europe. Château fort de marques internationales concurrentes, telles que Burberry et All Saints, la compétition y est plus que féroce. De plus, ailleurs en Europe, d’autres comme l’italienne Moncler s’élèveront assurément sur son chemin.
Des discussions sont en cours, et un « partenariat est possible » avec un grand détaillant ou le titulaire d’une franchise maîtresse, laisse entendre M. Asatoorian. « Ce qui est sûr, c’est que Londres deviendra notre vitrine mondiale. Si ça ne se concrétise pas en 2017, ce sera en 2018. C’est certain. »
Ce faisant, Rudsak affirme convoiter aussi l’Asie, un marché qu’exploitent déjà d’autres griffes québécoises, dont M0851 et Mackage, deux détaillants montréalais oeuvrant dans des créneaux similaires. En Asie par exemple, M0851 possède déjà des boutiques en Chine (Hong Kong et Beijing), de même qu’au Japon (Tokyo, Nagoya et Osaka).
Même si elle s’est déjà dite intéressée par le Proche-Orient, c’est à partir de la Corée du Sud que Rudsak semble maintenant vouloir aborder l’Asie. Disposant déjà de contacts et d’un accès à un centre de distribution coréen, Rudsak prépare son expansion sur ce continent au moyen de franchises maîtresses qu’elle vendrait à des partenaires.
Marie-Eve Faust, professeure à l’École supérieure de mode de l’UQAM, qui a longtemps vécu à Hong Kong, croit à la capacité de Rudsak de se faire un nom en Asie, où « les consommateurs aiment les grandes marques ». « Si ça fonctionne, il lui faudra cependant être prêt à répondre à la demande, prévient-elle. Une rupture de stock est la pire chose qui puisse arriver à la réputation d’un détaillant qui veut réussir son entrée là-bas. »
L’expérience de franchisage, tentée à deux reprises (Saint-Sauveur et Chicoutimi), aura permis à Rudsak de comprendre son fonctionnement et de mettre sur pied un tel système ailleurs, explique M. Asatoorian. « On a beaucoup appris. Maintenant que l’intérêt international est manifeste, nous croyons qu’une croissance mondiale [hors États-Unis] par franchise, à raison de sept à douze magasins par pays, est possible. »
Les moyens d’y parvenir
Vouloir est une chose. Pouvoir s’offrir une telle croissance en est une autre. Car qui dit crois- sance, même au moyen de franchises, dit investissements de taille pour mettre à niveau ses infrastructures informatiques, de transport et de distribution.
Elliot Lifson, vice-président de Vêtements Peerless, en sait quelque chose. « Aller à l’extérieur ne se résume pas à ouvrir des magasins, insiste-t-il. Il faut se bâtir une clientèle, des équipes de travail qui comprennent qui tu es, s’assurer du transport des marchandises, des entrepôts, de la chaîne logistique au grand complet. »
L’automne dernier, le Fonds de solidarité FTQ a officiellement octroyé à Rudsak un prêt de 4,9 M$, somme que l’entreprise lui savait réservée depuis 2014. Cinq ans plus tôt, en 2009, Rudsak avait aussi reçu un coup de pouce de 950 000 $ provenant d’Investissement Québec et de 50 000 $ du ministère du Développement économique et de l’Innovation. Rudsak entend s’en servir pour se lancer à l’extérieur du pays.