Wal-Mart : l’appétit du nouveau patron au Québec
Vitrine du détail — Ceux qui espéraient que Wal-Mart finirait par mettre la pédale douce sur son offensive alimentaire seront déçus. L’année est à peine commencée que déjà son nouveau patron promet pour 2016 une accélération de son virage épicerie.
« J’ai deux grandes priorités, résume-t-il au cours de sa première entrevue à la presse québécoise : accroître la présence de notre format Supercentre dans la province ; et tout faire, ce faisant, pour hausser la satisfaction de notre clientèle. »
Nommé cet été au poste de vice-président principal de l’exploitation de Wal-Mart Canada pour l’est du pays (Québec et provinces maritimes), Xavier Piesvaux, un Français d’origine, ne cache pas ses intentions. Non seulement son offre alimentaire sera augmentée, mais la vitesse d’implantation de celle-ci sera accélérée.
Depuis un an, le géant du détail a ouvert ou converti en Supercentres pas moins de 29 magasins Walmart au Canada. Du nombre, 12 sont apparus au Québec, portant la présence du détaillant à 68 magasins, dont 42 Supercentres.
Et le mouvement se poursuit : d’ici la fin de janvier, Wal-Mart entend encore ouvrir quatre Supercentres dans la province.
De formats variables (qui vont de 90 000 à 130 000 pi2), les Supercentres proposent à leurs clients une offre alimentaire complète aux côtés de marchandises générales qui ont fait le succès de l’empire de Bentonville, en Arkansas.
L’ajout d’une offre alimentaire dans un Walmart type entraîne généralement une augmentation de son chiffre d’affaires global de quelque 30 %. Une hausse attribuable aux achats d’aliments, mais également à une hausse des ventes d’autres produits, la preuve selon le détaillant du pouvoir d’attraction de l’alimentaire sur une clientèle qui ne fréquenterait pas autrement ses établissements.
Une intention claire
La direction canadienne de Wal-Mart n’a pas pu préciser le nombre exact de magasins qui seront convertis en Supercentres au cours de 2016. Mais l’intention est claire : « Nous le ferons, partout où cela sera possible », répond le nouveau venu, tranchant avec la rassurante retenue qui avait caractérisé les communications de l’entreprise ces dernières années.
Déjà, il est prévu que les magasins Walmart de Rouyn-Noranda et de Val-d’Or, en Abitibi, seront convertis ces prochaines semaines afin de présenter une offre alimentaire complète. Il en va de même de ceux de Granby, de Chicoutimi et de Rimouski.
D’ici la fin de janvier, l’ouverture du Walmart Supercentre du centre commercial Fleur de Lys à Québec marquera l’histoire de l’entreprise, en devenant son 400e magasin au pays. En mai dernier, le détaillant américain n’en dénombrait encore que 395. Cette ouverture d’un nouveau Supercentre sera suivie d’au moins trois autres, à Pointe-Claire, Candiac et Lévis, sur la rive sud de Québec.
Ces derniers s’installeront dans des locaux vacants repris par Wal-Mart après le départ précipité de l’américaine Target en 2015. Après la déconfiture de son concurrent, Wal-Mart a racheté un bâtiment et douze anciens baux des magasins Target au Canada, dont quatre au Québec.
Wal-Mart a aussi mis la main sur son ancien centre de distribution de 1,4 million de pi2 à Cornwall, en Ontario. Acheté pour 165 millions de dollars et rénové à grands frais (185 M$) par Wal- Mart, il permettra à l’entreprise de faire de Cornwall sa principale plaque tournante de l’est du pays. Avec le centre de distribution que Wal-Mart y comptait déjà, le détaillant profite maintenant à Cornwall d’infrastructures de 2,7 M pi2.
Des ouvertures en série
Cette volonté d’accroître son offre alimentaire ne fait que répondre à une demande pressante de la population qui le réclame, partout où WalMart n’a pas encore ouvert la porte aux produits frais (viande et charcuterie, fruits et légumes, oeufs, lait et fromage), assure le nouveau venu.
Ce dernier succède à Chantal Glenisson, partie en décembre 2014 pour Rona (et relevée de ses fonctions moins d’un an après).
La conversion et l’ouverture d’autant d’établissements ne sont pas de nature à inquiéter M. Piesvaux, 48 ans, qui se présente comme un champion de la croissance. Après avoir oeuvré chez Carrefour, au Brésil et en Chine, il a consacré les dernières années à diriger les activités roumaines du Groupe Delhaize, le géant belge de l’alimentation.
Pendant cette période, il a procédé à l’ouverture en série d’une centaine de succursales par année de la chaîne d’alimentation Mega Image. Le détaillant comptait 19 magasins à son arrivée à Bucarest ; à son départ quatre ans plus tard, il en dénombrait plus de 450.
Plus de fournisseurs locaux
En plus de cette offre alimentaire renforcée, le nouveau dirigeant entend travailler à l’accroissement de la satisfaction de la clientèle par tous les leviers possibles.
Au menu : un personnel plus accueillant, un service plus rapide aux caisses et plus de place pour ses marques maison (Great Value, George, etc.), dont Wal-Mart soutient qu’elles sont vendues de 5 à 20 % moins cher que les grandes marques.
Le détaillant entend également poursuivre ses efforts afin d’augmenter son offre de produits frais locaux. Il pense à élargir par exemple la variété de fromages frais du Québec, de même que celle des fruits et des légumes, tout en évitant de fixer d’objectif précis. Des coupes de viandes pourraient aussi être mieux adaptées aux goûts des consommateurs du Québec.
Pour l’heure, le patron dit toujours réfléchir aux moyens d’accroître l’empreinte du Québec sur ses tablettes. Il laisse entendre que cette volonté renouvelée pourrait à tout le moins donner lieu à la création d’un nouveau poste, dont le mandataire serait chargé de recruter plus de producteurs ou fournisseurs du Québec. Déterminée à s’imposer dans le secteur alimentaire, Wal-Mart entend accroître ses représentations auprès du gouvernement du Québec afin de se voir considérée dorénavant comme un commerce d’alimentation. Un changement anodin en apparence, mais qui permettrait notamment au détaillant d’étendre ses heures d’ouverture.
Le nouveau vice-président principal de Wal-Mart pour l’Est du Canada, Xavier Piesvaux, affirme agir ainsi pour simplifier le quotidien des consommateurs qui demandent de pouvoir y faire leurs courses comme partout ailleurs. « Fermer à 17 heures le soir [le week-end] est quelque chose qui va à l’encontre de ce que souhaitent nos clients. »
Au Québec, la loi encadre étroitement les heures et les jours d’ouverture des commerces de détail. À la différence des IGA et Metro, Walmart ne peut ouvrir ses portes plus tard que 21 heures les jours de semaine et 17 heures les samedis et les dimanches.
Comme les libraires, les épiciers profitent d’une exception à la loi qui leur permet de profiter d’horaires étendus à condition que le nombre d’employés requis pour exploiter le commerce n’excède pas quatre.
« Le Walmart d’aujourd’hui n’est plus tout à fait le magasin général du passé, fait valoir le représentant de Wal-Mart. Nous avons la volonté de mieux expliquer ce que nous sommes devenus et notre désir de profiter aussi d’heures d’ouverture élargies. »
Mais il y a un hic. Pour se prévaloir des dispositions prévues pour les épiceries, un établissement commercial « doit principalement offrir en vente […] des denrées alimentaires ou des boissons alcooliques pour consommation ailleurs que sur les lieux de l’établissement », confirme le ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations.
Or, si Wal-Mart reconnaît que les denrées alimentaires n’occupent pas la majorité de la superficie de ses magasins (de 25 à 35 %) ni ne représentent la majorité de ses ventes (« elles varient de 35 à 45 % »), elle soutient en revanche qu’elles correspondent aisément à 60 % de l’ensemble des articles qu’elle vend.
Cette donnée devrait suffire, du point de vue de la société, pour que le gouvernement permette aux Walmart d’être considérés comme des marchands d’alimentation à part entière. Cela vaut autant pour les règles qui régissent les heures d’ouverture que pour la possibilité que cette reconnaissance donnerait au détaillant, soit de faire la demande d’un permis de vente d’alcool.
Quant à la crainte de voir Wal-Mart ouvrir ses magasins 24 heures par jour, comme certains dépanneurs, Xavier Piesvaux se montre rassurant. « De tels horaires ne reflètent certainement pas la volonté que privilégie actuellement la haute direction. » — MARTIN JOLICOEUR