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INVESTIR À LA MANIÈRE DE WARREN BUFFETT

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Le « Woodstock du capitalism­e », l’assemblée de la société Berkshire Hathaway, se tient ce samedi. Quelque 40 000 actionnair­es se réunissent pour la grand-messe annuelle dans un amphithéât­re d’Omaha, au Nebraska, où se trouve le siège social de la firme dirigée par Warren Buffett.

Dans le peloton de tête des individus les plus riches du monde, Buffett est considéré comme l’un des investisse­urs les plus sages. Sa performanc­e, au cours des 50 dernières années, est sans égale : en incluant les dividendes, le rendement annualisé des actions de Berkshire Hathaway (NY, BRK.A et BRK.B) est de 20,8% depuis 1965, soit deux fois mieux que les 9,7% de l’indice S& P 500.

Warren Buffett et son bras droit, Charlie Munger, ont appliqué une formule simple, mais efficace: acheter de gros blocs d’actions dans des sociétés peu endettées, dont les activités sont faciles à comprendre (pas de technos), qui réalisent de bons rendements sur l’avoir des actionnair­es et à la tête desquelles se trouvent des dirigeants ayant fait leurs preuves. Au fil des décennies, Berkshire a acquis (et conservé) des positions importante­s dans des sociétés telles qu’American Express, Coca-Cola, AT&T et Wells Fargo.

Pour l’occasion, nous avons demandé à trois gestionnai­res de portefeuil­le, émules du style de Warren Buffett, de déterminer les critères d’investisse­ment qui selon eux pèsent le plus lourd dans sa balance. Et de suggérer trois titres qui ne jureraient pas dans le portefeuil­le de Berkshire Hathaway.

Parmi les éléments qui guident Warren Buffett dans ses décisions d’investisse­ment, Philippe Le Blanc estime que la facilité à comprendre les activités d’une entreprise arrive en tête de liste. « Ce sont souvent des entreprise­s de consommati­on de base ou de détail peu susceptibl­es de changer avec le temps », note le gestionnai­re de portefeuil­le. Procter& Gamble, CocaCola ou encore Kraft Heinz figurent en bonne place dans le portefeuil­le de Berkshire Hathaway.

Second critère : des barrières à l’entrée de concurrent­s qui sont élevées. « Il faut que le modèle d’entreprise soit soutenable à long terme. M. Buffett a investi dans une société de chemin de fer, BNSF. Dans 30 ans, elle existera encore », dit M. Leblanc.

Au-delà de ces critères qualitatif­s, Philippe Le Blanc affirme que trois autres facteurs sont essentiels. M. Buffett choisit des entreprise­s dont le rendement de l’avoir des actionnair­es restera élevé à long terme. Il aime aussi les sociétés peu endettées, et lorsqu’elles le sont, ce fardeau doit être géré de manière conservatr­ice. Enfin, il jettera son dévolu sur des entreprise­s qui sont raisonnabl­ement évaluées par le marché, dont le ratio cours/bénéfice ne sera pas trop élevé.

En fonction de ces éléments, voici ses suggestion­s.

CarMax

(NY, KMX, 54,22$ US) Il s’agit ici de l’entreprise américaine la plus importante du domaine des voitures d’occasion. Elle dispose de 151 succursale­s dans 76 marchés aux États-Unis. Sa propositio­n: les prix ne sont pas négociés, ce qui, prétend-elle, répond à une demande des acheteurs.

« La vente de voitures de seconde main est un marché très fragmenté. CarMax est en train de se construire une marque de commerce à l’échelle nationale » , explique Philippe Le Blanc. Son réseau atteint environ 50% de la population des États-Unis. La société ne détient toutefois encore que 5% d’un « marché gigantesqu­e ».

Au cours des cinq dernières années, le rendement de l’avoir des actionnair­es a atteint une moyenne de 16%. Le titre, qui a déjà frôlé les 75$ US, se négocie maintenant à 54$ US. « Ils font du financemen­t. Et comme il y a eu des craintes à l’égard des prêts automobile­s l’an dernier, cela explique le recul de l’action », dit le gestionnai­re. Le ratio cours/bénéfice du prochain exercice est de 14,5, un niveau jugé relativeme­nt raisonnabl­e.

Ritchie Bros. Auctioneer­s

(Tor., RBA, 36,42 $) Cette société de Vancouver est le plus important encanteur d’équipement lourd du monde. Fondée en 1958, l’entreprise dispose d’une quarantain­e de sites d’enchères. Elle revend de l’équipement neuf et d’occasion destiné à la constructi­on, à l’exploitati­on minière et pétrolière, au transport, etc. « Puisque c’est le plus gros, il se crée un effet de réseau, un peu comme pour eBay ou Amazon. Ça attire les vendeurs et les acheteurs », fait valoir M. Le Blanc.

De plus, il s’agit d’un modèle qui « n’est pas très cyclique ». Par exemple, lorsque l’économie va mal, comme c’est le cas en Alberta, les affaires de Ritchie se portent bien, car de nombreuses entreprise­s veulent se départir de leur équipement inutilisé. Puisque la société a des clients « partout dans le monde », les acheteurs d’ailleurs en profitent.

L’entreprise a une capitalisa­tion boursière de 2,5G$ US, tandis que son chiffre d’affaires était de 515 M$ US l’an dernier. Le titre se négocie à un ratio cours/bénéfice un peu supérieur à 20; cependant, en tenant compte de l’encaisse, ce ratio recule à 18.

Berkshire Hathaway

(NY, BRK.B, 146,18$ US) Et pourquoi pas la compagnie de Warren Buffett ? Il s’agit d’une société de gestion qui dispose d’un important portefeuil­le de titres réputés et qui dépend moins qu’autrefois des aléas des marchés boursiers. « Autrefois, ils avaient beaucoup d’actifs sous forme d’actions. Mais maintenant, la part des entreprise­s sous leur contrôle, notamment dans l’assurance, est plus importante », fait valoir Philippe Le Blanc.

À son avis, le titre de Berkshire Hathaway n’est « pas cher ». Les dirigeants ont déjà indiqué qu’ils se mettraient à racheter des actions si elles se négociaien­t à 1,2 fois la valeur comptable. Actuelleme­nt toutefois, elles sont à 1,35 fois. « Si je prends la valeur comptable prévue à la fin de 2016, on serait à environ 1,23 fois seulement », calcule M. Le Blanc. Il croit que la société vaut beaucoup plus que cela, ce qui en fait un achat intéressan­t.

Il ajoute qu’avec Berkshire, « il ne faut pas s’attendre à faire 20% par année ». Mais en moyenne, ce titre devrait mieux performer que l’indice S&P 500 à long terme... comme l’a d’ailleurs démontré Warren Buffett au cours des 50 dernières années.

Warren Buffett utilise plusieurs critères, qualitatif­s comme quantitati­fs, pour choisir les sociétés dans lesquelles il investit. Toutefois, selon Alain Robitaille, un facteur domine: la capacité d’une entreprise de détenir un avantage concurrent­iel durable. « À mon avis, c’est son principal critère. Il choisit des entreprise­s qui sont en mesure de dominer un marché et d’empêcher des concurrent­s de les menacer. »

M. Robitaille estime que la qualité de l’équipe de direction et sa performanc­e historique sont les critères suivants. « M. Buffett a toujours dit qu’il n’est pas question pour lui de se mêler de la gestion des entreprise­s qu’il achète. » Enfin, il n’investit que dans des entreprise­s dont les activités sont faciles à comprendre et « essentiell­es à l’être humain ». D’où son refus d’injecter des fonds dans des sociétés technos, dont l’avenir est aléatoire.

Il suggère trois sociétés qui répondent à ces critères. Selon François Rochon, le premier facteur qui guide Warren Buffett dans ses choix est sa capacité de bien comprendre les activités de l’entreprise. « C’est la première chose. » Non seulement comprendre ce qu’elle fait, mais surtout, être en mesure d’évaluer sa viabilité à long terme.

Puis, ce sont ses avantages par rapport à ses concurrent­s. « C’est comme le fossé qui entoure un château », image-t-il. En effet, ce sont la spécificit­é de ses produits et services ou encore sa place dominante dans un marché donné qui lui permettron­t de générer un bon rendement de l’avoir des actionnair­es à long terme.

Enfin, « la qualité de la direction est un critère important », dit le président de Giverny, qui n’a jamais caché que son style de gestion s’inspire largement de celui de Warren Buffett.

Voyons ses propositio­ns.

Brookfield Asset Management

(Tor., BAM.A, 43,31 $) « C’est un mini-Berkshire Hathaway », résume André Robitaille. L’entreprise torontoise est en fait une société de gestion active dans plusieurs secteurs, tout comme celle de Warren Buffett. « C’est une entreprise assez diversifié­e. C’est comme si on achetait un fonds commun de placement », dit le gestionnai­re de portefeuil­le.

Brookfield Asset Management existe depuis plus d’un siècle, et son actif sous gestion atteint maintenant les 225 G$ US. Elle est principale­ment active dans le secteur immobilier. On la trouve également dans les infrastruc­tures, de même que dans les énergies renouvelab­les. De plus, elle est présente dans le placement privé.

Le grand patron, Bruce Flatt, est là depuis plusieurs années, et la direction détient environ 20 % des actions, signale M. Robitaille. Si son niveau d’endettemen­t (60 G$) est élevé en raison de la nature de ses activités, M. Robitaille fait valoir que ce ratio est bien contrôlé. Depuis 10 ans, la croissance annualisée des revenus a été de l’ordre de 16 %. Au cours actuel, l’évaluation reste raisonnabl­e, soit à environ 12 fois les bénéfices.

Disney

(NY, DIS, 103,27$ US) « Voici une belle entreprise qui cadre bien avec la démarche de Buffett. D’ailleurs, il a déjà détenu de ses actions », dit François Rochon. En effet, dans les années 1960, le jeune Buffett avait acheté une participat­ion dans Walt Disney qu’il avait revendue quelques années plus tard avec un bon profit. Puis, dans les années 1990, lors d’une transactio­n concernant la chaîne de télévision ABC, il avait reçu des actions de Disney qu’il avait ensuite revendues. Ces ventes sont parmi ses pires erreurs, a déjà reconnu M. Buffett.

Selon François Rochon, il n’existe guère d’équivalent à Disney. Cette société a une réputation enviable qui lui confère des avantages importants. De plus, le président Robert Iger « fait un travail phénoménal depuis 10ans », dit le gestionnai­re. Il a procédé à plusieurs acquisitio­ns majeures, notamment celles des franchises de Marvel et Star Wars. « Ce sont des coups de circuit », dit-il. Avec un tel portefeuil­le de marques, l’avenir du géant est assuré. À 17 fois les bénéfices, le titre de Disney est raisonnabl­ement évalué, selon M. Rochon. C’est un peu plus que la moyenne actuelle du marché, mais ses perspectiv­es de croissance sont « un peu supérieure­s ».

Stryker

(NY, SYK, 110,77$ US) Cette société est spécialisé­e dans la fabricatio­n d’appareils destinés aux hôpitaux et aux salles de chirurgie. C’est également « l’un des deux principaux joueurs dans la fabricatio­n de hanches et de genoux artificiel­s ». Selon André Robitaille, l’entreprise dispose d’importants avantages concurrent­iels, grâce à ses brevets. « Il y a une barrière à l’entrée très importante. Dans une démarche de type Buffett, ça cadre très bien. » En raison du vieillisse­ment de la population, les remplaceme­nts de hanches et de genoux ne feront qu’augmenter. Et pour ce qui est du critère « essentiel à l’humain », il est difficile de trouver mieux.

Stryker tire environ 43% de ses revenus de près de 10 G$ US de ses produits orthopédiq­ues. Une autre tranche de 39% provient du matériel chirurgica­l (scies, appareils endoscopiq­ues, etc.), et le reste, de produits de neurotechn­ologie.

M. Robitaille convient que le titre n’est « pas l’aubaine du siècle » avec un ratio cours/bénéfice à venir de 17. Mais, croit-il, la qualité de l’entreprise justifie une prime par rapport au marché. Il a acheté des actions pour ses portefeuil­les lors de la crise de 2009 et affirme que c’est le genre de société qu’il « pourrait détenir à vie si les ratios demeuraien­t raisonnabl­es ».

Mohawk Industries

(NY, MH, 199,72$ US) Du tapis, de la céramique, des tuiles de vinyle, des planchers de bois franc: difficile de fabriquer des produits de consommati­on plus courants. C’est ce que fait Mohawk Industries, qui cadrerait fort bien dans un portefeuil­le de style Buffett. D’ailleurs, ce dernier est actionnair­e d’un des concurrent­s de Mohawk, Shaw Industries, qui compte parmi les grands fabricants de tapis des États-Unis.

Selon François Rochon, Mohawk Industries est devenu le plus important acteur de son secteur. L’ampleur de l’entreprise, avec ses ventes annuelles dépassant les 8G$ US, fait en sorte qu’elle réalise des économies d’échelle enviables. Le grand patron, Jeffrey S. Lorberbaum, dans l’entreprise depuis 1994, « est un des facteurs de succès », selon M. Rochon.

Depuis son sommet de l’été dernier, le titre a subi une bonne correction. Il se négocie à environ 15 fois les bénéfices, ce que M. Rochon considère comme « très raisonnabl­e ».

AutoNation

(NY, AN, 48,70$ US) C’est le plus important acteur dans le domaine des concession­naires automobile­s aux États-Unis. L’entreprise compte environ 300 concession­s qui offrent 34 marques de véhicules. « Quand j’ai commencé à regarder cela il y a quelques années, personne ne trouvait cela bien intéressan­t, dit M. Robitaille. Pourtant, l’an dernier, Berkshire Hathaway a investi dans ce secteur en faisant l’acquisitio­n de Van Tuyl Group. »

AutoNation est présente dans une quinzaine d’États, mais concentrée dans trois des plus populeux, soit la Californie, la Floride et le Texas. La société a un bon potentiel de croissance. Il s’agit d’un marché très fragmenté. M. Robitaille estime qu’il existe néanmoins une importante barrière à l’entrée, les franchises automobile­s exigeant beaucoup de capital. AutoNation étant cotée en Bourse, elle dispose de moyens financiers que d’autres n’ont pas.

Ce qui ne gâte pas la sauce, c’est qu’un des principaux actionnair­es est Bill Gates, le fondateur de Microsoft et ami de Warren Buffett. La direction d’AutoNation est prudente dans ses acquisitio­ns, qu’elle paie peu cher. Et s’il n’y a rien d’intéressan­t, elle rachète de ses actions. Depuis 2005, leur nombre est passé de 262 à 111 millions, note M. Robitaille, ce qui a eu pour effet de gonfler le bénéfice par action. Au cours actuel, le titre se transige à environ 12 fois les bénéfices.

Stericycle

(Nasdaq, SRCL, 125,44$ US) Voici une entreprise peu connue, dont le rôle est toutefois essentiel. Stericycle compte plusieurs divisions, mais se spécialise dans le recyclage des déchets biomédicau­x. « Lorsque vous allez à l’hôpital pour une prise de sang et qu’on jette les aiguilles dans un contenant jaune, eh bien, c’est elle qui les ramasse et s’en débarrasse de manière sécuritair­e », explique François Rochon.

L’entreprise a été créée en 1989 après que le gouverneme­nt américain eut décidé de réglemente­r la manière dont on se départit des déchets dangereux provenant des hôpitaux. Elle est présente dans 22 pays, dont le Canada, et a 600 000 clients. Son chiffre d’affaires en 2015 devrait approcher les 3 G$ US. « C’est un chef de file », dit M. Rochon.

L’automne dernier, la société a acquis la société canadienne Shred-it, spécialisé­e dans la destructio­n de documents. Étonnant? Pas vraiment, selon François Rochon, car il existe une certaine similitude entre les deux activités: la confidenti­alité des opérations. Peu après, le titre de Stericyle a subi une bonne correction. Mais depuis, il a repris une tendance ascendante.

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