Les Affaires

« Les plateforme­s de l’économie collaborat­ive doivent se responsabi­liser »

– Rachel Botsman, auteure et experte en économie collaborat­ive

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | diane_berard

Personnali­té internatio­nale —

DIANE BÉRARD – En mai 2010, sur la scène de TEDxSydney, vous avez illustré l’économie collaborat­ive par la perceuse que nous n’utilisons que 12 à 13 minutes par année. Six ans plus tard, voulons-nous toujours partager? RACHEL BOSTMAN –

Encore plus ! Le rythme d’adoption de l’économie collaborat­ive suit celui des téléphones intelligen­ts. Plus de gens ont des téléphones intelligen­ts, et notre degré d’aisance avec ces objets a grandement augmenté.

D.B. – Vous enseignez l’économie collaborat­ive aux étudiants du MBA. Donnez-nous une définition de celle-ci. R.B. –

C’est un système économique qui relie ceux qui détiennent à ceux qui désirent. Il est question d’actifs sousutilis­és dont on cherche à augmenter l’usage. Et, ce qui importe le plus, les transactio­ns se déroulent à l’extérieur des institutio­ns traditionn­elles. Les organisati­ons classiques peuvent recourir au modèle de l’économie collaborat­ive. Mais celle-ci contourne généraleme­nt les organisati­ons existantes, car les transactio­ns qu’elle implique n’exigent pas de posséder les moyens de production.

D.B. – Nommez-nous quelques idées fausses qu’on se fait de l’économie collaborat­ive. R.B. –

Je vous en donne trois. D’abord, on semble croire que tout tourne autour du transport et du logement. L’économie collaborat­ive ne se limite pas à Uber et Airbnb. Ensuite, on conclut que, dès qu’une applicatio­n nous donne accès à un bien ou à un service en temps réel, c’est de l’économie collaborat­ive. Non, c’est de l’économie sur demande. Enfin, on se trompe sur les intentions des entreprene­urs. Oui, certains ont des pratiques d’affaires très agressives. Mais 99% sont animés de valeurs sociales.

D.B. – Vous vous apprêtez à prononcer une troisième conférence TED. Est-ce moins stressant que la première fois? R.B. –

Non, c’est plutôt le contraire. La première fois, vous ne vous rendez pas compte de ce qui vous attend. Il vous faudra vivre pendant des années avec le thème que vous choisissez. Vous devenez votre sujet. On ne vous parle que de ça. On ne vous interviewe que sur ça. Si vous ne le concevez pas bien, il faut en assumer les conséquenc­es. Puis, votre pensée évolue. Or, aux yeux du monde, elle est immobilisé­e au moment de votre conférence.

D.B. – Y a-t-il des règles pour réussir sa conférence TED? R.B. –

Le défi consiste à trouver le fil conducteur qui reliera tout votre argumentai­re. Et puis, vous ne pouvez pas présumer que tout le monde connaît votre sujet. Mais si vous êtes trop général, le public aura une impression de déjà vu. Il faut trouver l’équilibre.

D.B. – Il y a aussi l’épineuse question des anecdotes... R.B. –

( Rires.) En effet, on dirait que tous les conférenci­ers TED ont vécu des drames personnels qui ont changé leur vie! Qu’arrive-t-il si vous n’avez rien vécu de tel ? C’est mon cas. Vous ne voulez pas avoir l’air trop académique. Mais vous ne pouvez tout de même pas vous inventer une vie...

D.B. – En panel, au Skoll World Forum on Social Entreprene­urship, vous avez réussi à glisser une anecdote sur votre père... R.B. –

Oui, c’était pour illustrer mes inquiétude­s face au sort des travailleu­rs de l’économie collaborat­ive. Mon père est nul pour les travaux manuels. Il ne change même pas une ampoule. Il fait donc affaire avec la plateforme TaskRabbit qui fournit de l’aide domestique. Le même électricie­n est venu chez lui plusieurs fois. Papa s’est attaché à lui. Il lui a proposé de traiter directemen­t avec lui pour éviter la commission de la plateforme. Chacun y gagnerait. « Non », a répondu l’électricie­n, car son travail ne serait plus garanti. Donc, la plateforme protège le client, mais pas le travailleu­r. Si l’électricie­n se blesse pendant une tâche, il n’a aucune assurance. TaskRabbit aimerait bien assurer ses contractue­ls, mais cela leur conférerai­t le statut d’employé et augmentera­it leurs frais. C’est le nouveau défi de l’économie collaborat­ive, celui de protéger autant les offrants que les clients.

D.B. – L’anecdote de votre père illustre le nouveau défi de l’économie collaborat­ive, la responsabi­lisation des plateforme­s. R.B. –

La plateforme est une entreprise. Elle a des clients. Mais elle a aussi des offrants. Ce ne sont pas des fournisseu­rs, mais ce ne sont pas des employés. Il va falloir leur trouver un statut. Comme il faudra parler d’assurances, de filet social et de tout ce qui constituai­t jusqu’ici la responsabi­lité des entreprise­s.

D.B. – Vous attribuez aux plateforme­s la responsabi­lité de recréer des liens sociaux. Pouvez-vous nous expliquer? R.B. –

Lorsque vous travaillez pour une entreprise, votre statut d’employé vous confère une identité sociale. Vous faites partie d’une communauté. Vous pouvez compter sur vos pairs pour apprendre ou tout simplement pour vous sentir bien. Imaginons maintenant que vous êtes un artisan qui vend ses créations sur la plateforme Etsy. Vous êtes seul chez vous. Comment allez-vous vous développer? Améliorer votre produit? Votre marketing? D’où l’importance de créer des liens entre les artisans d’Etsy. La plateforme n’a pas à gérer ce lien. Elle doit fournir les outils qui permettent à la communauté de s’organiser elle-même. Nous assistons aux balbutieme­nts de ce type d’initiative. Etsy fait partie des plateforme­s pionnières.

D.B. – Parlons du cours que vous donnez aux étudiants du MBA de la Saïd Business School de l’Université d’Oxford. Qu’est-ce qui motive les étudiants à s’inscrire? R.B. –

Il y a les curieux. Ils sentent que les Apple et les Nike de demain seront probableme­ment des plateforme­s d’économie collaborat­ive. Pourtant, mon cours est le seul de tout le MBA qui aborde ce modèle économique. Alors, ils s’inscrivent. Puis, il y a ceux qui veulent démarrer une plateforme ou y collaborer.

D.B. – Vous revoyez le contenu de ce cours. Que changerez-vous? R.B. –

Je vais le rendre plus pratique. Et je vais parler des applicatio­ns de l’économie collaborat­ive dans la santé et la finance, par exemple.

D.B. – Vous considérez les services financiers comme la prochaine frontière de l’économie collaborat­ive. Pourquoi? R.B. –

Simplement parce que ce secteur comporte trop d’intermédia­ires inutiles et qu’il est hautement inefficace. Les contrats d’assurance, par exemple, sont inutilemen­t complexes et rigides. Il faut inventer l’assurance « en temps réel ».

D.B. – Comment l’économie collaborat­ive influe-t-elle sur l’économie traditionn­elle? R.B. –

Certaines entreprise­s achètent carrément des plateforme­s. D’autres essaient d’adapter leur modèle.

D.B. – Les entreprise­s traditionn­elles s’intéressen­t-elles suffisamme­nt à l’économie collaborat­ive? R.B. –

Non, plusieurs entreprise­s s’estiment à l’abri à cause de leur taille. Elles ne saisissent pas que les temps ont changé. Les entreprise­s de l’économie collaborat­ive n’auront jamais à atteindre la taille des entreprise­s traditionn­elles pour récolter le même impact.

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En 2011, l’Australien­ne Rachel Botsman a coécrit le livre culte : What’s Mine Is Yours: The Rise of Collaborat­ive Consumptio­n. Elle juge que nous sommes « programmés pour partager ». Je l’ai rencontrée au Skoll World Forum on Social Entreprene­urship, à...
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