Les Affaires

Prendre sa retraite dans les pays chauds

- Pierre Théroux redactionl­esaffaires@tc.tc

Suzanne Viens et Napoléon Vigneau profitent de leur retraite bien au chaud, loin du Québec. Ils ont fui l’hiver, le froid et la neige pour se réfugier sur leur catamaran Belle Vie qui, en ces premiers jours d’avril, mouille au large de l’île Great Exuma dans l’archipel des Bahamas, où la températur­e atteint 32 degrés.

« On a ancré plus loin de la côte, parce qu’il faisait trop chaud la nuit dernière pour dormir », souligne avec un grand sourire la jeune retraitée de 53 ans, jointe par appel vidéo, pendant que son iPad renvoie aussi des images de son environnem­ent ensoleillé et baigné d’eau turquoise.

Quand vient le moment de la retraite, un grand nombre de Québécois troquent facilement les températur­es froides contre des climats nettement plus chauds. Mais si les États-Unis, en particulie­r la Floride et l’Arizona, sont les destinatio­ns de retraite les plus prisées, d’autres pays gagnent en popularité. Comme l’Équateur, où Marie-Josée Bolduc et Martin Côté devraient aller s’établir l’automne prochain. Le récent tremble- ment de terre a toutefois grandement secoué le couple qui, pour l’instant, ne remet pas en question son désir de déménager dans ce pays. « Nous sommes encore sous le choc. Il est trop tôt pour décider. Les Équatorien­s se relèvent de ces épreuves avec résilience, et nous suivrons peut-être leur exemple », souligne Mme Bolduc.

Le couple avait auparavant envisagé d’aller vivre au Mexique, mais l’octroi d’un visa d’investisse­ur par l’Équateur a fait pencher la balance.

« C’est plus avantageux si on veut continuer à travailler ou lancer une petite entreprise », dit Mme Bolduc, 48 ans, qui était dentiste avant de prendre sa retraite il y a quatre ans.

Le couple est aussi tombé sous le charme du luxueux complexe résidentie­l Las Olas Ecuador. Près de 1 600 maisons et condos seront construits en bordure de l’océan Pacifique et d’une réserve naturelle à l’intention d’une clientèle de jeunes retraités nordaméric­ains bien nantis. « De notre maison, on a une vue sur la mer et sur trois trous de golf », indique Mme Bolduc, dont le mari, qui est profession­nel au Club de Golf Triangle d’Or, à Saint-Rémi en Montérégie, prendra sa retraite à 47 ans dans quelques mois.

Une décision réfléchie et planifiée

Un nombre sans précédent de Québécois atteindron­t l’âge moyen de la retraite au cours des prochaines années. Plusieurs d’entre eux décideront de la passer ici, mais d’autres opteront pour des climats plus chauds. Toutefois, la décision de vivre à l’étranger, pendant quelques mois ou toute l’année, doit être mûrement réfléchie et planifiée. « Il y a un ensemble de conséquenc­es financière­s et fiscales qu’il faut analyser longtemps à l’avance si on veut éviter les mauvaises surprises », souligne Jean Milot, directeur principal en fiscalité internatio­nale, au sein de la firme Raymond Chabot Grant Thornton.

Un retraité québécois qui séjourne à l’étranger devra continuer de payer des impôts. Mais dans quel pays? « L’impôt sur le revenu est d’abord payé au pays d’où ce

Malgré les publicités alléchante­s qui montrent des plages magnifique­s à perte de vue et des couchers de soleil magiques, la décision de prendre sa retraite à l’étranger doit être réfléchie et planifiée, notamment en matière fiscale. Ce n’est pas pour rien que plusieurs experts recommande­nt aux gens intéressés par cette aventure de louer une résidence avant de s’installer de façon permanente.

revenu a sa source, puis selon les règles du pays de résidence fiscale », répond Yves Coallier, fiscaliste expert à l’internatio­nal chez GCI Tandem, membre du cabinet de fiscalité Gallant.

S’il reste résident fiscal canadien, le retraité devra payer des impôts au Canada sur ses revenus mondiaux. S’il devient un non-résident du Canada et un résident de l’Équateur, par exemple, ses revenus de source canadienne seront imposables au Canada, et ceux de source mondiale, en Équateur. Ses revenus de source canadienne seront visés par un impôt fixe de 25 %, pouvant être allégé par la convention fiscale entre le Canada et son nouveau pays de résidence.

En devenant résident légal de votre nouveau pays d’accueil, vous n’êtes toutefois pas automatiqu­ement un non-résident du Canada, prévient Benoit Therrien, avocat fiscaliste et associé de la firme LJT. « Il faut s’assurer de couper tous les liens économique­s et sociaux », préciset-il. En règle générale, il ne faut pas garder de pied-à-terre au pays, car les preuves de résidence sont fondées principale­ment sur la possession d’une maison ou d’un chalet.

« Les gens ont un pincement au coeur quand je leur dis qu’ils devront vendre leur maison. Cela occasionne souvent un moment de discussion dans le couple », indique Jean Milot. Il est toutefois possible de garder sa maison, si elle est louée à une tierce partie et non à des membres de sa famille, de même que d’autres avoirs immobilier­s aussi en location.

D’autres éléments, comme les comptes bancaires et les cartes de crédit, le permis de conduire, l’adhésion à un régime d’assurance maladie, à des associatio­ns ou à des ordres profession­nels et, enfin, le temps passé au Canada sont aussi pris en considérat­ion. « En principe, il est préférable de ne rien conserver, mais ce sont des liens de seconde importance. Les autorités fiscales établiront le statut de nonrésiden­t au cas par cas », précise M. Milot.

Impôt de départ

La décision de renoncer à son statut de résident canadien peut s’avérer avantageus­e financière­ment. « Il y a des pays où la fiscalité est plus attrayante. Si l’objectif premier est de payer le moins d’impôt possible, il faut choisir sa destinatio­n en conséquenc­e », dit M. Therrien.

Mais il y a un hic ! En rompant ses liens avec le Canada, le non-résident devra acquitter un impôt de départ. « Au moment de partir, un contribuab­le est présumé avoir vendu tous ses biens à sa juste valeur marchande, comme lors d’un décès. Il aura alors un impôt à payer sur les gains en capital et les biens détenus », dit Mathieu Ducharme, banquier privé, RBC Gestion de patrimoine, à la Banque Royale du Canada. Les biens immobilier­s, les fonds de pension et les REER, qu’il peut conserver, en sont toutefois exempts.

« La facture peut être assez élevée pour les gens qui ont amassé d’importants actifs, ou pour ceux qui possèdent des fiducies ou des holdings. C’est souvent une raison suffisante de garder son statut de résident canadien », fait valoir M. Milot.

Autre contrainte : « Un non-résident ne pourra plus faire de cotisation­s additionne­lles à son REER ou acheter des parts de fonds mutuels », avertit M. Ducharme. En effet, la réglementa­tion canadienne ne permet pas d’en vendre à des contribuab­les étrangers. Convention­s fiscales Un non-résident pourra quand même recevoir des prestation­s de retraite du Régime des rentes du Québec et de la Sécurité de la vieillesse. Toutefois, il y aura une retenue d’impôt maximale de 25 % sur ces revenus et les autres revenus « passifs », comme les pensions de régimes privés et les rentes.

Les convention­s fiscales signées entre le Canada et quelque 90 pays permettent cependant de réduire cet impôt sur les prestation­s de retraite ou encore sur les intérêts, les dividendes et les redevances payés. Ces convention­s visent aussi à éviter la double imposition sur des revenus d’entreprise­s, de salariés ou de travailleu­rs indépendan­ts. « Les retraités qui choisissen­t de vivre à l’étranger ont intérêt à privilégie­r des pays qui ont signé des convention­s avec le Canada. Elles permettent de mieux établir les règles de résidence et de statut fiscal pour éviter la double imposition », indique M. Coallier.

L’aventure, c’est l’aventure

Suzanne Viens et Napoléon Vigneau ont mis leur maison des Îles-de-la-Madeleine en vente. Mais ils entendent garder leur statut de résident canadien, pour l’instant du moins. « Nous sommes en train de faire des démarches pour savoir ce qui serait le plus avantageux », dit M. Vigneau, un Madelinot qui a passé plus de 30 ans dans les Forces armées canadienne­s. Leur catamaran est aussi une source de revenus d’appoint lorsqu’ils invitent à bord des personnes qui veulent naviguer dans l’archipel des Bahamas pour des séjours de 7 à 10 jours. « En

vivant sur notre bateau, on a beaucoup moins de dépenses. De plus, il arrive qu’on pêche notre repas », dit Mme Viens.

Marie-Josée Bolduc et Martin Côté entendent pour leur part couper les liens avec le Canada. « On ne veut pas garder d’actifs, surtout pas une maison. C’est trop dispendieu­x d’en avoir une au Canada et une à l’étranger », souligne Mme Bolduc, en précisant que le couple veut vendre sa copropriét­é de l’Île-des-Soeurs. L’acquisitio­n d’une maison en Équateur lui a permis de faire une demande de résidence sans avoir à faire un dépôt de 25 000$ US dans une banque équatorien­ne. Sinon, l’Équateur demande aux retraités un document attestant que leur pension s’élève à au moins 800$ US par mois.

Les retraités doivent d’ailleurs tenir compte de ces différents facteurs quand arrive le moment de choisir une destinatio­n, prévient M. Coallier. « Les droits de séjour peuvent être limités ou coûter très cher dans certains pays. » Le faible coût de la vie ou les prix d’hébergemen­t pourront toutefois compenser les dépenses financière­s ou fiscales liées à une retraite à l’étranger, dans certains cas. Ce pourra être aussi la faiblesse du dollar canadien, puisque des pays comme l’Équateur et les Bahamas utilisent la devise américaine.

Avant de choisir un pays, ou même d’y acheter une maison, il est conseillé d’y séjourner quelque temps. « C’est une chose d’y passer deux semaines en vacances, mais une autre de s’y installer longtemps. Il y a des lois différente­s, de même que des aspects sociaux et culturels à prendre en considérat­ion », souligne Mathieu Ducharme.

Outre les aspects fiscaux et financiers, « c’est d’abord et avant tout le climat et le goût de vivre une aventure qui motive les retraités à s’établir à l’étranger », constate M. Milot.

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