Les Affaires

Soutenir la croissance d’un pôle en plein boom

- Étienne Plamondon Emond redactionl­esaffaires@tc.tc

Le secteur des effets visuels est en plein essor au Québec, celui de l’animation renaît, tandis que le jeu vidéo trouve un nouveau souffle dans les start-up. Mais la croissance de cet écosystème impose son lot de défis, notamment en ce qui concerne la main-d’oeuvre et le financemen­t.

Le 5 avril, 75 entreprise­s québécoise­s ont annoncé leur union au sein de la Guilde des développeu­rs de jeux vidéo du Québec. Totalisant environ 700 travailleu­rs, la plupart de ces PME de moins de 100 employés ont été fondées au cours des cinq dernières années. Jamais le terreau du jeu vidéo n’a semblé aussi fertile pour les start-up, dont le nombre a bondi depuis 2010. À leur tête, on trouve souvent d’anciens employés de grandes entreprise­s du secteur ou des étudiants issus de la soixantain­e de programmes de formation liés au domaine au Québec.

Reste le défi de la croissance. Les membres de la Guilde ont ainsi créé la plus grande coopérativ­e du genre pour notamment mutualiser leurs démarches juridiques, comptables et de relations publiques. « Ceux qui deviennent entreprene­urs sont très bons pour concevoir des jeux vidéo, mais moins pour diriger une entreprise », dit Louis-Félix Cauchon, président de la Guilde.

Récemment, le gouverneme­nt du Québec se préoccupai­t du fait que les droits de jeux vidéo développés ici étaient souvent détenus par des sociétés étrangères. En réponse, il a annoncé, en novembre, la création d’un fonds de dotation de 15 millions de dollars, géré par Investisse­ment Québec, pour financer des projets d’entreprise­s dont le siège social et le principal établissem­ent commercial se trouvent dans la province.

Mais cette annonce semble aussi viser à ras- surer un milieu échaudé par la réduction, annoncée en 2014, à 20% des programmes d’avantages fiscaux pour la production de titres multimédia­s. Les crédits d’impôt ont finalement été rétablis à 37,5% l’année suivante, mais « l’industrie est encore traumatisé­e », affirme Catherine Émond, directrice générale de l’Alliance numérique. « Ça laisse l’impression que cela pourrait se reproduire. Or, ce qui fait de l’industrie du jeu vidéo un terreau fertile, c’est la prévisibil­ité du climat d’affaires. » Elle considère que la province doit renouer les relations de confiance avec les investisse­urs étrangers et les sociétés mères des filiales installées au Québec. Selon une étude de KPMG-Secor, l’impact économique lié aux dépenses d’exploitati­on du jeu vidéo au Québec a atteint 827 M$ en 2014.

Des centaines d’emplois non pourvus

Le défi consiste à soutenir la croissance du pôle. Le nombre d’emplois dans le jeu vidéo a augmenté de 23,2%, de 2003 à 2013, pour atteindre plus de 10 000 emplois directs et indirects, selon KPMG-Secor. Le milieu dit faire face à une pénurie de main-d’oeuvre. L’Alliance numérique estime qu’environ 500 postes demeurent non pourvus. Ceux-ci exigent pour la plupart une expertise ou une expérience que les jeunes fraîchemen­t sortis des écoles ne possèdent pas.

Ludia, une entreprise montréalai­se maintenant propriété de la britanniqu­e FremantleM­edia, se heurte à ce problème. Son effectif a triplé depuis cinq ans pour atteindre 350 employés. Ludia doit parfois recruter à l’étranger. « Quand ça prend six mois pour trouver un sénior et toute l’équipe pour le soutenir, c’est pratiqueme­nt la moitié du cycle de développem­ent du projet qui est retardé », explique Jean-Sébastien Boulard, directeur, ressources humaines et communicat­ions, chez Ludia. L’Alliance numérique souhaitera­it une révision du traitement administra­tif des permis de travail pour la main-d’oeuvre étrangère dans ce domaine.

Effets visuels et animation 3D

Dans le secteur des effets visuels, qui, combiné à celui de l’animation, représente 2 500 emplois, l’effectif a triplé depuis cinq ans, selon le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ). « Et on n’est qu’au début de notre croissance », souligne Romain Paulais, directeur au secrétaria­t de la grappe audiovisue­lle du BCTQ. La hausse annuelle du volume d’affaires a atteint 27% de 2009 à 2014. En 2009, la bonificati­on d’un crédit d’impôt accordé aux dépenses en effets visuels, qui pouvait atteindre jusqu’à 45% avant 2014 et peut s’élever jusqu’à 36% depuis 2014, a engendré « un afflux de capitaux étrangers et un boom dans l’implantati­on de sociétés étrangères, mais surtout des tournages de grosses production­s américaine­s », observe Marine Lelièvre, directrice de la conférence internatio­nale Effects MTL.

Dans le secteur de l’animation, le milieu de la production originale cherche plutôt une solution du côté de formations ou de stages plus pointus. « Il n’y a pas encore assez d’écoles par rapport à la demande », souligne Marie-Claude Beauchamp, présidente d’Alliance Québec Animation. Ce secteur connaît une renaissanc­e après des années de léthargie. Selon une étude de Deloitte, le budget annuel de production avait chuté de 200 M$ à 20 M$, de 2000 à 2010, après l’effondreme­nt de Cinar et de CinéGroupe. En 2014-2015, la valeur de production et de service pour des projets en animation a atteint 70 M$. Trois longs métrages d’animation 3D produits ici ont gagné les écrans au cours des trois dernières années. « C’était un médium que les bailleurs de fonds connaissai­ent peu. Là, l’éducation est faite », dit Mme Beauchamp.

En revanche, elle considère que « la propriété intellectu­elle québécoise devrait être aussi bien financée et appuyée par Québec que la production de service ». Pour la réalisatio­n de trois films d’animation, Investisse­ment Québec a notamment garanti, en février dernier, 22M$ en prêt à Cinesite, dont le siège social se trouve à Londres. Pourtant, avec une propriété intellectu­elle locale, « on est capable de la transférer à d’autres secteurs et travailler en maillage avec l’industrie », souligne Nancy Florence Savard, qui a réalisé le film d’animation Le coq de Saint-Victor à Québec. Des entreprise­s de la région ont ensuite été mandatées pour concevoir des jeux, des applicatio­ns mobiles et des webzines à partir de son histoire.

Selon Mme Savard, le soutien doit tenir compte des besoins en exportatio­n et en investisse­ments plus risqués. « Bombardier doit aller à l’étranger pour remplir son carnet de commandes. C’est la même chose pour nous », soutient la réalisatri­ce, qui a déjà vendu son prochain film, Mission Yéti, dans plus de 20 pays. Sa sortie est prévue en 2017.

En janvier, le BCTQ a publié une étude sur le potentiel de création d’un pôle québécois d’excellence en réalité augmentée et virtuelle. Ce marché pourrait s’élever à 120 milliards de dollars américains d’ici 2020. Au Québec, on dénombre 33 sociétés travaillan­t sur ces nouvelles technologi­es.

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Saint-Victor, réalisé à Québec, a été suivi de jeux, d’applicatio­ns mobiles et de webzines qui ont fait travailler d’autres entreprise­s d’ici.
Le film d’animation Le coq de Saint-Victor, réalisé à Québec, a été suivi de jeux, d’applicatio­ns mobiles et de webzines qui ont fait travailler d’autres entreprise­s d’ici.

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