Les Affaires

La corruption corrompt

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vis à tous les leaders et à tous les influenceu­rs, que vous soyez du monde politique, des affaires, des médias ou du divertisse­ment: la corruption corrompt. Chaque fois que l’un de vous contourne les règles, ment ou même travestit la vérité, non seulement son comporteme­nt engendre un coût direct pour la collectivi­té, mais il contribue également à corroder la culture de son milieu et de la société tout entière.

C’est ce qu’on peut conclure des recherches des professeur­s Simon Gätcher et Jonathan F. Schulz, de l’Université de Nottingham, dont le résultat a été publié en mars dans la revue Nature. Selon cette étude, la corruption corrode le sens moral des individus.

De 2011 à 2015, Gätcher et Schulz ont mené une fascinante expérience auprès de 2 568 individus provenant de 23 pays. Ils leur ont demandé de jouer un jeu très simple: lancer un dé deux fois et indiquer aux expériment­ateurs le premier des deux résultats. S’ils déclaraien­t avoir lancé un 1, ils recevaient une unité monétaire du pays; deux s’ils signalaien­t un 2, etc. Un 6 ne rapportait rien. Les expériment­ateurs ne vérifiaien­t pas la véracité des résultats déclarés; ils payaient sur la foi de la déclaratio­n du participan­t.

S’ils avaient été parfaiteme­nt honnêtes, les participan­ts auraient communiqué un résultat moyen de 2,5, soit l’espérance mathématiq­ue du jeu. S’ils avaient été parfaiteme­nt malhonnête­s, ils auraient annoncé une moyenne de 5, procurant à chacun le gain maximum. Entre les deux, la hauteur du résultat moyen révèle le niveau « moyen » de tricherie des groupes de participan­ts: plus le gain moyen est élevé, moins ils sont honnêtes.

Un comporteme­nt généralisé de « malhonnête­té justifiée », dans lequel les participan­ts auraient déclaré non pas le premier résultat, mais le plus élevé des deux, aurait donné un résultat moyen de 3,47. La malhonnête­té justifiée, un comporteme­nt assez répandu, consiste à ne pas mentir carrément, mais à « arranger » un peu la vérité à son avantage.

Les chercheurs ont ensuite mis en corrélatio­n les résultats moyens obtenus dans chacun des 23 pays avec un indice de prévalence des violations des règles (PVR) du pays, construit à partir de: 1) l’indice de contrôle de corruption, publié par la Banque mondiale; 2) l’importance de l’économie souterrain­e en tant qu’indicateur du niveau d’évasion fiscale; et 3) l’indice des droits politiques, publié par Freedom House, comme indicateur de la qualité des pratiques politiques d’un pays.

Pour qu’une éventuelle causalité aille dans le bon sens, les chercheurs ont choisi des sujets jeunes et de milieux socioécono­miques comparable­s (des étudiants âgés en moyenne de 21,7ans) et ont utilisé des PVR de 2003 – une époque où les sujets de l’expérience étaient trop jeunes pour avoir eu une influence sur le PVR de leur pays, mais étaient plutôt le produit de la société.

La moyenne générale s’est établie à 3,32 – un meilleur score que la malhonnête­té justifiée. Les chercheurs ont trouvé une corrélatio­n positive entre l’indice PVR d’un pays et le niveau de tricherie moyen affiché par les sujets en provenance de ce pays. Le score des pays s’est échelonné sur moins de 3 (Royaume-Uni, Suède, Allemagne) à tout près de 4 (Tanzanie, Maroc) – le Canada ne faisait pas partie de l’étude.

Si tout le monde le fait…

Ces résultats indiquent qu’aucune collectivi­té n’est complèteme­nt malhonnête ni complèteme­nt honnête. Mais ils révèlent des différence­s de comporteme­nt entre les collectivi­tés. Les résultats suggèrent que la qualité des institutio­ns et les comporteme­nts des leaders d’une collectivi­té filtrent vers le bas et influencen­t les comporteme­nts des membres de cette collectivi­té. Ce résultat corrobore ce que nous croyons instinctiv­ement: dans une société où la corruption règne au sommet, on trouvera des comporteme­nts semblables partout. Si tout le monde le fait…

Il y a de quoi faire réfléchir. Les scandales répétés de collusion, de corruption, d’évasion fiscale ne font pas qu’indigner les gens et les rendre cyniques vis-à-vis des leaders d’une collectivi­té. S’ils persistent, à plus ou moins brève échéance, ils envoient le signal que ces comporteme­nts sont la norme ou, à tout le moins, « acceptable­s ». De plus en plus de gens s’autorisent alors à tricher.

En ce sens, si le pouvoir corrompt, la corruption qu’il engendre corrompt à son tour, ce qui tendrait à lancer un cercle vicieux difficile à maîtriser. On peut penser que cette dynamique peut s’exercer à l’échelle d’un pays, d’une collectivi­té ou d’une organisati­on – une entreprise ou un ministère, par exemple.

Cette recherche tend aussi à démontrer que les comporteme­nts malhonnête­s sont souvent le fait de gens... honnêtes ou presque. Les scores affichés par chacun des 23 pays ne sont pas extrêmes. Aucun groupe n’est parfait, mais aucun n’est complèteme­nt malhonnête. Les résultats sont plutôt compatible­s avec l’hypothèse de la malhonnête­té justifiée, où prévaut une espèce d’accommodem­ent des règles, plutôt que la fraude et le mensonge purs et simples.

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