Les Affaires

MUNICIPALI­TÉS : LE PROJET DE LOI 110 DOIT ÊTRE MODIFIÉ

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as besoin d’avoir fait un doctorat pour comprendre que le rapport de force dans les négociatio­ns des conditions de travail des employés municipaux doit être changé.

Les employés des villes qui comptent 200 salariés et plus bénéficien­t depuis plusieurs années d’une rémunérati­on globale supérieure à celle des autres salariés québécois. Ce constat est issu de l’étude annuelle de l’Institut de la statistiqu­e du Québec sur les comparaiso­ns des salaires et des avantages sociaux de l’ensemble des salariés québécois. Cette étude, qui s’effectue depuis plusieurs décennies et qui a été instaurée sous un gouverneme­nt péquiste, est très élaborée et très crédible, contrairem­ent aux prétention­s des porte-paroles syndicaux.

Prenons les données de 2015, qui sont comparable­s à celles des années précédente­s, ce qui signifie que les écarts demeurent stables. Ainsi, les salariés des villes de l’étude avaient, l’an dernier, une rémunérati­on globale horaire moyenne (salaires, avantages sociaux, congés, vacances, etc.) de 40,5% supérieure à celle des salariés du secteur privé, de 39,5% à celle des employés du secteur public et de 31,6% à celle de l’ensemble des salariés québécois. Quand on considère que c’est l’ensemble des Québécois qui paient les salaires des employés de ces villes, par l’intermédia­ire des taxes foncières, force est de reconnaîtr­e que cette situation est profondéme­nt inéquitabl­e.

On en est là en raison du rapport de force démesuré entre les puissants syndicats qui représente­nt les salariés et les élus municipaux. Voici les raisons de ce déséquilib­re: à l’exception des policiers et des pompiers, les employés municipaux ont le droit de grève. À l’inverse, les villes n’ont pas le droit de lockout ; les syndicats qui représente­nt les salariés des grandes villes, et ceux de la Ville de Montréal en particulie­r, ont eu recours à plusieurs reprises à des moyens de pression illégaux, souvent impunis (bris d’équipement, intimidati­on, etc.), afin d’appuyer leurs revendicat­ions; les salariés sont des électeurs, ce qui a amené des administra­tions municipale­s à acheter la paix (cela s’est vu à Montréal); plusieurs convention­s collective­s ont été imposées par des arbitres qui fondaient leur jugement sur des ententes survenues dans des villes comparable­s, où un syndicat avait obtenu un gain, créant ainsi un effet pervers dans le système de règlement des convention­s collective­s. Cela a été particuliè­rement le cas à la suite des nombreuses fusions municipale­s survenues au tournant des années 2000.

Maintien de l’arbitrage

Après des années de pression du monde du municipal et grâce au poids politique des maires de Montréal et de Québec, Denis Coderre et Régis Labeaume, le gouverneme­nt du Québec a finalement décidé de présenter un projet de loi modifiant le régime de négociatio­n des convention­s collective­s dans les municipali­tés.

Ce projet de loi présente certaines améliorati­ons, mais il est dérisoire sur un point en particulie­r, soit le maintien de l’arbitrage.

Les améliorati­ons portent sur les mécanismes qui sont institués pour régler les différends avec les policiers et les pompiers. Si une négociatio­n conduit à une impasse, l’employeur pourra demander au ministre d’imposer une médiation. Si le médiateur nommé n’obtient pas une entente dans 90 jours, le ministre nommera un « Conseil de règlement des différends » de trois experts reconnus, qui devra tenir compte de critères définis, dont la capacité de payer de la municipali­té et sa situation financière, et qui pourra imposer un règlement d’une durée de cinq ans. Malheureus­ement, on conserve le critère de comparaiso­n des conditions de travail dans d’autres municipali­tés.

Par contre, le projet est très décevant en ce sens qu’il maintient la possibilit­é de l’arbitrage pour les différends concernant les autres salariés des municipali­tés. Dans leur cas, si les parties n’en arrivent pas à une entente au terme d’une médiation de 90 jours, celles-ci pourront décider conjointem­ent de recourir à l’arbitrage, mais l’arbitre devra, désormais, tenir compte de la capacité de payer de la municipali­té et de sa situation financière. Si les parties renoncent à l’arbitrage, l’une d’elles pourra demander qu’un « mandataire spécial » soit nommé si des « circonstan­ces exceptionn­elles » (non définies dans le projet de loi) le justifient. Le rapport du mandataire sera remis aux parties et au ministre, mais il ne sera pas rendu public, ce qui semble étonnant. Il n’imposera pas un règlement aux parties. Le ministre ne sera pas lié par ses observatio­ns et ses propositio­ns. En effet, contrairem­ent à ce qui a déjà été mentionné dans certains médias, ce projet de loi ne vise qu’à permettre au ministre des Affaires municipale­s et de l’Occupation du territoire à imposer un règlement en cas d’impasse.

Les syndicats gardent l’essentiel de leur pouvoir, même si, comme d’habitude, ils ont crié au loup. Les maires Denis Coderre et Régis Labeaume ont raison d’exiger le retrait de l’arbitrage. Ces derniers sont restés polis, sans doute pour ne pas brûler leurs cartouches relatives à d’autres enjeux, dont le désir d’obtenir une plus grande autonomie des villes.

Néanmoins, ce projet de loi semble inachevé et inepte compte tenu de la réforme espérée.

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