Les Affaires

MBA pour cadres et dirigeants

- Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc

Un atout pour se propulser dans le fauteuil du pdg

Les dirigeants québécois sont à la traîne par rapport à ceux des États-Unis en matière de formation supérieure. La situation est toutefois appelée à changer, puisque les entreprene­urs québécois cherchent à mieux s’outiller pour faire face aux nouveaux défis du monde des affaires.

Ainsi, 25 % des chefs des 100 plus grands employeurs québécois (selon le classement des 500 plus grandes entreprise­s du Québec réalisé par Les Affaires en 2016) ont un diplôme de MBA ou de EMBA (MBA pour cadres), par rapport à 35% des dirigeants des grandes et moyennes entreprise­s américaine­s (selon une étude de l’Université Duke). À l’échelle mondiale, le pdg de 31 % des 500 plus grandes entreprise­s a un MBA, selon le classement 2016 du Financial Times.

Un avantage concurrent­iel

Jean Gattuso est entré chez Industries Lassonde en 1997 comme directeur marketing et a été nommé président en 2012. Dans la quarantain­e, alors qu’il avait accédé au poste de directeur général, il a décidé de suivre un MBA « pour rafraîchir mes connaissan­ces et continuer à accompagne­r l’entreprise dans sa croissance », explique l’homme de 60 ans. Celui qui avait déjà un baccalauré­at en commerce de l’Université McGill a décroché le MBA de l’UQAM en 1997.

« Au début de mes études, on ne parlait pas de la notion de création de valeur. En actualisan­t mes connaissan­ces et en favorisant les échanges avec des gens d’affaires de secteurs très divers, le MBA m’a donné plus de perspectiv­es et une base d’analyse », poursuit le président du groupe agroalimen­taire de Rougemont, qui emploie 2200 personnes dans le monde.

« Un MBA peut propulser à un poste de pdg. C’est un passeport qui procure un avantage concurrent­iel sur les autres candidats », assure Éric Larouche, directeur de comptes majeurs pour cadres et gestionnai­res chez Trudeau Dupré Ressources humaines, une agence de recrutemen­t à Montréal.

C’est « un accélérate­ur de carrière », affirme pour sa part Caroline Starecky, présidente de Coaching et Cie. « À compétence­s égales, le fait qu’un candidat ait un MBA pèse dans la balance. Cela apporte des points supplément­aires aux critères d’évaluation des candidats », dit-elle.

Pourtant, faire un MBA pour atteindre un poste de pdg « n’est pas un concept encore bien ancré dans la culture d’affaires francophon­e », observe Éric Larouche. C’est ce qui expliquera­it que la proportion de chefs de grandes entreprise­s québécoise­s à avoir un MBA soit moindre qu’aux États-Unis, où « c’est de loin le diplôme le plus fréquent à ce niveau dans les grandes entreprise­s », selon Pierre Chaigneau, professeur agrégé en finance à HEC Montréal.

Pour Emilio Imbriglio, 56 ans, président et chef de la direction du cabinet Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) à Montréal, suivre un programme de MBA allait de soi. Il dit sentir les effets positifs de ce diplôme encore aujourd’hui, plus de 30 ans après l’avoir décroché à l’Université McGill au début de sa carrière, trois ans après avoir obtenu le titre de comptable agréé. « J’avais déjà les connaissan­ces techniques, mais cela ne faisait pas de moi un gestionnai­re, alors que le MBA donne des compétence­s complément­aires », souligne Emilio Imbriglio.

Des apprentiss­ages qui servent toute la vie

Son passage au MBA a été un révélateur: « Cela a enclenché une remise en cause chez moi, et j’ai voulu devenir entreprene­ur », se souvientil. L’année de l’obtention de son diplôme, il a donc quitté son emploi dans le cabinet EY, à l’époque Clarkson Gordon, pour lancer son cabinet de comptabili­té qu’il a conservé pendant près de 12 ans.

Ambassadeu­r de la nouvelle cohorte de l’EMBA de l’Université Concordia, Emilio Imbriglio est persuadé que son MBA « a été utile pour accéder à mon poste actuel ». « Ce que j’ai accompli, c’est grâce à ce que j’ai appris au MBA. J’ai acquis des outils de gestion moderne, une façon de penser et le réflexe de me mettre à jour et de rester en permanence à l’affût des nouveautés. »

« Je suis sûr que j’applique encore ce que j’ai assimilé sur l’art de parler en public, l’écoute, la communicat­ion », estime le pdg du plus grand cabinet comptable du Québec (2300 employés). Actuelleme­nt, « étant donné mes fonctions, je me sers plus des outils acquis durant ma formation de MBA que [de ceux emmagasiné­s durant ma formation] de CPA [comptable profession­nel agréé] », constate Emilio Imbriglio. Ce dernier n’a jamais arrêté d’approfondi­r ses connaissan­ces, puisqu’il a suivi au moins cinq formations universita­ires depuis son MBA. « C’est une exigence de se tenir à jour. Cela permet [de développer] de nouveaux outils de gestion. » Grant Thornton, établie à Londres, met actuelleme­nt en oeuvre une stratégie de déploiemen­t mondial. Comme président du comité du budget de la firme, Emilio Imbriglio doit toujours être au fait des dernières tendances.

Pas un gage de succès

Si Emilio Imbriglio attribue plusieurs de ses réussites à son MBA, il juge ce dernier « pas indispensa­ble » pour mener une carrière.

Le MBA, c’est avant tout « un encadremen­t et une discipline », dit pour sa part Jean Gattuso.

« Le MBA est un outil, pas une finalité ni un gage de succès. Il ne remplace pas des années d’expérience », juge Éric Larouche. « Il prouve que la personne a appris des compétence­s, mais pas qu’elle les a intégrées. Il révèle aussi une volonté, une discipline et une rigueur. Après, tout dépend de l’individu et de ses qualités personnell­es. Le MBA vaut d’ailleurs plus s’il est fait après avoir acquis de l’expérience », soutient Caroline Starecky.

La preuve en est le délai entre la date d’obtention du diplôme et celle d’accession au poste de pdg, qui est d’environ 17 ans en moyenne au Québec, selon notre tableau. De nombreux entreprene­urs ont fait leur MBA très tôt dans leur carrière. Ils ont donc dû accumuler ensuite de l’expérience avant de pouvoir devenir de hauts dirigeants.

Les préoccupat­ions grandissan­tes en matière de gouvernanc­e au cours des dernières années ont entraîné une vigilance accrue dans le choix des dirigeants d’entreprise. Une tendance qui pourrait favoriser une augmentati­on du nombre de chefs d’entreprise diplômés d’un MBA. « L’avantage du MBA, c’est qu’il prouve que la personne a des compétence­s générales en gestion, ce qui compte beaucoup dans les choix des hauts dirigeants aujourd’hui, et qu’il a été sélectionn­é pour faire partie de la cohorte », souligne Pierre Chaigneau.

Mais pour l’instant, au Québec, « ce n’est pas le premier critère de choix », assure Bruno Déry, président et chef de la direction du Collège des administra­teurs de sociétés. Selon lui, « c’est l’expérience qui compte le plus lors de la sélection des candidats ».

Un MBA au Québec ou à l’étranger ?

Les pdg des grandes entreprise­s québécoise­s s’expatrient rarement pour décrocher un MBA d’une université américaine ou européenne de renom. Ils suivent plutôt le programme dans une université proche de leur lieu de vie personnell­e et profession­nelle.

Ainsi, seulement 6 des 23 diplômés MBA à la tête d’une des 100 plus grandes sociétés québé- coises, selon le classement des 500 de Les Affaires, ont suivi un programme à l’extérieur du pays. Six autres pdg ont obtenu leur diplôme en Ontario, comme David McKay, le pdg de la Banque Royale du Canada, qui est diplômé de l’Ivey Business School de la University of Western Ontario, ou le pdg du Groupe TD, Bharat Masrani, diplômé de la Schulich School of Business de York University.

Emilio Imbriglio, de RCGT, avait un temps pensé à aller faire son MBA à l’étranger « pour avoir le titre d’une grande université américaine et avoir une envergure internatio­nale ». Mais au moment de poser sa candidatur­e, « j’avais un emploi qui me plaisait beaucoup, je ne voulais pas le quitter ». C’est pourquoi il a finalement choisi de suivre le programme de l’Université McGill. Un choix qu’il n’a « jamais regretté », tant la qualité du cursus était haute. « Nous avons d’excellents programmes de MBA au Québec », affirme-t-il.

Ils sont donc peu à avoir tenté l’aventure hors des frontières, tel Blaise Renaud, pdg de la chaîne de librairies Renaud-Bray, qui est allé décrocher un MBA à l’École supérieure des affaires de Beyrouth, au Liban, ou Paul Desmarais Jr, qui a étudié à l’INSEAD, en France.

Autre fait à souligner : une seule femme, MarieClaud­e Houle, présidente de ebc, une firme de constructi­on, figure parmi les pdg des plus grandes entreprise­s détenant un MBA. Elle pourrait toutefois être moins seule à l’avenir, au vu de la compositio­n de la prochaine cohorte de l’EMBA McGill-HEC Montréal, qui affiche la parité pour la première fois dans l’histoire du programme.

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