Les Affaires

François Pouliot

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La tentation de Performanc­e Sports et de Sportsman’s Warehouse

sens, selon Sylvain Prud’homme, car les premiers s’adressent aux entreprene­urs en constructi­on, tandis que les seconds visent plutôt monsieur et madame Tout-le-Monde. Deux réalités totalement différente­s.

Par ailleurs, les dirigeants de Lowe’s Canada rencontrer­ont les propriétai­res des magasins affiliés à Rona à la fin d’août et au début de septembre pour leur présenter la nouvelle structure et les services qui y sont associés.

Le client, le client et encore le client

Pour accroître ses revenus au Canada, Lowe’s s’efforcera aussi de mieux répondre aux besoins de ses clientèles. Sylvain Prud’homme ne cache pas qu’il y aura beaucoup de travail à faire avec le réseau de Rona, car cet aspect a été négligé depuis quelques années, selon lui.

« La direction voulait réduire les coûts. On a simplifié le nombre d’enseignes. Mais on a perdu le client de vue », déplore-t-il.

À ses yeux, la nouvelle structure par expertise de Lowe’s permettra de cibler presque tous les besoins des différents segments de marché dans le secteur de la constructi­on et de la rénovation résidentie­lles au Canada.

« Aucun concurrent n’a la capacité de faire ça à l’heure actuelle, soutient Sylvain Prud’homme. Les grandes boîtes mettent l’accent sur le détail, tandis que les petites ciblent les entreprene­urs. Nous, on a tout ! »

Avant l’acquisitio­n de Rona, Lowe’s n’avait pas de petits magasins. Contrairem­ent à Rona, Lowe’s vendra aussi des électromén­agers, ce qui représente une nouvelle concurrenc­e pour les Brault & Martineau et Corbeil de ce monde, sans parler des autres quincailli­ers du Canada, dont l’américaine Home Depot.

Jacques Nantel, professeur émérite à HEC Montréal et spécialist­e en commerce de détail, juge que Lowe’s est très bien positionné­e pour répondre aux besoins de ses différente­s clientèles, grâce à ses bases de données. « C’est un actif de plus en plus précieux dans le commerce de détail. Or, Lowe’s est probableme­nt l’une des entreprise­s en Amérique du Nord qui ont le mieux développé cet actif », dit-il.

Ces bases de données permettent par exemple à Lowe’s de cibler plus facilement les goûts de sa clientèle dans les différente­s régions du Canada, dont le Québec.

C’est sans doute pourquoi la chaîne d’approvisio­nnement de Lowe’s sera avant tout décentrali­sée et aura des antennes régionales, même si la direction des achats sera au Québec, explique Sylvain Prud’homme. « On aura une représenta­tion régionale pour tenir compte de la variété du marché canadien. Mais la centralisa­tion des achats se fera à partir d’ici, à Bouchervil­le. » (Aux États-Unis, les achats sont concentrés au siège social de Mooresvill­e, en Caroline du Nord.)

« On va s’assurer de bien représente­r le Canada anglais, comme on se doit de bien le faire pour le Québec », précise M. Prud’homme. Les antennes régionales – au Québec, en Ontario et peut-être dans l’Ouest canadien – seront responsabl­es d’acheter les produits pour répondre aux goûts spécifique­s à certaines régions du Canada, comme le design des salles de bain.

En revanche, le siège social du Québec sera responsabl­e d’acheter les biens de base (par exemple, des vis ou des clous) nécessaire­s à l’ensemble du réseau des quatre divisions. Il s’occupera aussi des approvisio­nnements pour répondre aux tendances spécifique­s du marché québécois.

Aux yeux de Sylvain Prud’homme, concentrer toutes les décisions d’achat au Québec aurait été une erreur. « Il ne faudrait pas, à partir du Québec, penser que les tendances québécoise­s sont les mêmes en Alberta. » Du reste, tout concentrer en Ontario aurait aussi été une erreur, selon lui.

Richard Darveau, président et chef de la direction de l’Associatio­n québécoise de la quincaille­rie et des matériaux de constructi­on, trouve « super-intéressan­te » la structure de la chaîne d’approvisio­nnement de Lowe’s Canada. « Ils ont frappé dans le mille, dit-il. On est dans le glocal, pour reprendre une expression anglaise. Leur chaîne d’approvisio­nnement est à la fois globale et locale. »

À première vue, cette structure d’approvisio­nnement peut sembler favorable aux anciens fournisseu­rs québécois de Rona et à l’économie du Québec. Mais selon Jacques Nantel, cela n’est pas nécessaire­ment le cas. En effet, Lowe’s veut vendre les produits que les consommate­urs québécois désirent, pas nécessaire­ment ceux qui sont fabriqués par des entreprise­s de propriété québécoise. La nuance est importante, selon ce spécialist­e.

Il donne l’exemple des pelles et des marteaux de marque Garant, vendus depuis des années chez Rona. Ainsi, si Lowe’s décide de continuer à vendre les produits Garant, c’est parce que la demande locale sera forte pour ces produits, étant donné que Garant appartient désormais à des intérêts américains. Cela dit, tous les produits de Garant sont fabriqués à son unique usine de Saint-François, une petite localité située non loin de Montmagny, à l’est de Québec, souligne Richard Darveau.

Il rappelle que plusieurs entreprise­s achetées par des intérêts américains, comme Sico (peinture) et A. Richard (outils), ont gardé leur production au Québec, en plus des équipes de marketing locales. M. Darveau partage toutefois le point de vue de Jacques Nantel: être établi au Québec ne sera pas suffisant pour être un fournisseu­r de Lowe’s; il faudra offrir des produits qui répondent aux goûts des Québécois, sans parler du code de la constructi­on qui diffère au Québec par rapport aux autres provinces.

Par ailleurs, Jacques Nantel croit que les anciens fournisseu­rs québécois de Rona sentiront aussi une nouvelle pression pour être plus efficaces. C’est que Lowe’s a une grosse facture à éponger: elle a payé 3,2 G$ CA pour Rona en février, un prix qui est jugé élevé par plusieurs analystes financiers. Jacques Nantel prévoit que la multinatio­nale voudra amortir le plus rapidement possible l’acquisitio­n de Rona en réduisant ses coûts. Ce processus a déjà commencé, par exemple avec la consolidat­ion des contrats de service, notamment pour les équipement­s de bureau, nous a confirmé Sylvain Prud’homme.

« Si j’étais un fournisseu­r, je serais un peu préoccupé. Car je devrais être plus efficace, offrir des produits à valeur ajoutée », souligne Jacques Nantel.

Et si Lowe’s ne se positionne pas comme un détaillant à escompte, la société peut offrir des prix très concurrent­iels pour conserver ses parts de marché ou en acquérir d’autres, selon lui. Cela exerce une pression sur les fournisseu­rs pour qu’ils réduisent eux-mêmes le prix de leurs produits.

Le commerce électroniq­ue

Troisième élément de la stratégie de croissance des revenus au Québec et au Canada, le commerce électroniq­ue nécessiter­a des investisse­ments de « plusieurs millions de dollars » , confie Sylvain Prud’homme. Mais le jeu en vaut la chandelle, selon lui: « Nous sommes convaincus que le consommate­ur québécois va bien accueillir notre offre ».

La plateforme électroniq­ue pour le marché québécois – qui sera bilingue – n’est pas encore prête. Au Canada, elle est en place depuis trois ans, et c’est un « succès », dit M. Prud’homme.

« Je pense que le marché québécois est prêt. Le marché du commerce électroniq­ue est là, c’est l’offre qui n’était pas au rendezvous », affirme le patron de Lowe’s Canada.

Cet hiver, une étude du Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisati­ons (CEFRIO) montrait que 49% des consommate­urs québécois faisaient des achats en ligne en 2014 (pour l’ensemble des produits, y compris ceux de quincaille­rie). Cette année-là, le pourcentag­e s’élevait à 54% au Canada et à 63% aux États-Unis.

Sylvain Prud’homme précise que l’offre en ligne tiendra compte des tendances et des goûts des Québécois, qui sont différents de ceux du Canada anglais ou des États-Unis.

« C’est sûr qu’un robinet est un robinet. Mais au Québec, les proportion­s sont plus européenne­s et plus axées sur la mode que nulle part ailleurs en Amérique du Nord. Donc, si on ne fait pas attention et qu’on offre seulement une plateforme de commerce électroniq­ue, on risque de passer à côté de quelque chose de gros. »

De plus, contrairem­ent à ce que l’on pourrait croire, les ventes en ligne n’entraînent pas une diminution des ventes en magasin, signale Sylvain Prud’homme. « Depuis trois ans, au Canada, plus nos ventes de commerce électroniq­ue augmentent, plus on voit grandir l’achalandag­e dans nos magasins », dit-il, sans toutefois pouvoir nous donner de chiffres.

Cette situation diffère de plusieurs autres détaillant­s, les librairies au premier chef. Ces dernières pâtissent du commerce électroniq­ue, car les consommate­urs achètent de plus en plus de livres en ligne et se rendent de moins en moins dans les librairies pour acquérir le dernier ouvrage à succès. Il en va autrement de l’industrie de la quincaille­rie et de la rénovation résidentie­lle, parce qu’on n’achète pas les produits pour rénover sa salle de bain comme on se procure un livre, un album de musique ou des vêtements.

Le patron de Lowes’s Canada donne l’exemple d’un projet pour refaire une salle de bain à neuf. La plupart du temps, les consommate­urs amorcent un projet sur Internet (pour choisir par exemple la baignoire, le miroir ou le lavabo). Par la suite, ils se rendent dans un magasin pour valider leur choix et discuter avec des spécialist­es

afin d’avoir des conseils. Voilà pourquoi la plateforme de commerce électroniq­ue de Lowe’s ne vide pas ses magasins, bien au contraire, insiste Sylvain Prud’homme.

Jordan Le Bel, professeur de marketing à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia, confirme que le commerce électroniq­ue peut faire augmenter les ventes en magasin dans l’industrie de la quincaille­rie et de la rénovation. Mais selon lui, la stratégie de Lowe’s sera encore plus efficace si l’entreprise réussit à intégrer l’expérience client en ligne à l’expérience client en magasin.

Pour y arriver, Jordan Lebel affirme qu’il faut abattre les cloisons entre les designers de la plateforme électroniq­ue et le personnel du marketing. « Il faut que ce soit la même équipe, en intégrant le personnel de la promotion et du design. »

Des enseignes Lowe’s au Québec

Dans sa stratégie de croissance au Québec, Sylvain Prud’homme affirme que Lowe’s aura aussi à terme des magasins Lowe’s ou des établissem­ents affichant l’une de ses enseignes, comme Dick’s Lumber et Ace. « Est-ce qu’il va y avoir de grands magasins offrant les produits de Lowe’s au Québec? C’est certain, dit-il sans hésitation. Mais il est encore trop tôt pour savoir exactement qu’elle sera l’enseigne qui déterminer­a notre présence au Québec. »

L’ouverture de tels magasins pourrait prendre quelques années, précise-t-il. Le cas échéant, on changerait tout simplement l’enseigne sur certains magasins Rona.

Sylvain Prud’homme ne ferme pas non plus la porte à la constructi­on de nouveaux magasins avec l’enseigne Lowe’s au Québec, qui s’ajouteraie­nt ainsi au réseau de Rona.

« C’est une analyse que nous devrons faire pour évaluer s’il y a un besoin, indique-t-il. [Si la question est de savoir] si des marchés sont sous-représenté­s avec des formats de cette grandeur-là, la réponse est oui. Mais on n’irait pas ajouter un Lowe’s où on a déjà un Rona L’Entrepôt. »

Les spécialist­es en commerce de détail que nous avons interviewé­s jugent qu’il est logique que Lowe’s veuille avoir son enseigne au Québec, puisque sa stratégie de croissance repose en grande partie sur le commerce électroniq­ue.

Mais selon Jacques Nantel et Yan Cimon, Lowe’s ne doit pas commettre la même erreur que le géant canadien de l’alimentati­on Loblaw. Après avoir avalé la québécoise Provigo en 1998, Loblaw a progressiv­ement fait disparaîtr­e la marque québécoise au profit de la marque Loblaws. Cette décision a été une erreur stratégiqu­e, affirment les spécialist­es. Loblaw a rectifié le tir en réintrodui­sant la marque Provigo Le Marché – le premier magasin a ouvert ses portes à Sherbrooke en juillet 2013.

Yan Cimon ne croit pas que la marque Rona disparaîtr­a. « Le capital de la marque Rona est tellement fort au Québec qu’on ne peut pas le dilapider. »

Pour sa part, Sylvain Prud’homme aura à coup sûr la mésaventur­e de Loblaw en tête lorsqu’il gérera la marque Rona au Québec. Car, avant d’être nommé président de Lowe’s Canada, il était vice-président exécutif, marchandis­age, de Loblaw, de juillet 2010 à mars 2013.

Aussi, faire cohabiter la marque Rona avec celle de Lowe’s au Québec sera une autre grosse commande pour lui dans les prochaines années. Pourra-t-il y arriver ? Le principal intéressé refuse de commenter les stratégies de Loblaws ou d’aucune autre entreprise, mais il se fait rassurant. « Lowe’s Canada exploite plusieurs enseignes et différents formats de magasins au Canada. Rona continuera d’occuper une place importante parmi nos enseignes, assure-t-il. Nos équipes travaillen­t actuelleme­nt à augmenter la propositio­n de valeur de Rona, en fonction des attentes des consommate­urs. »

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