Les Affaires

Le secteur de la santé prêt à s’inspirer des meilleures pratiques du secteur privé

- Prochain ennemi: le sucre? Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc

Le professeur Jacques Nantel estime même que, malgré les hauts cris des cigarettie­rs, les mesures restrictiv­es sont peut-être une bénédictio­n pour l’industrie. « Ils [les cigarettie­rs] n’ont plus à dépenser en R-D ou en publicité. Ces millions-là, ils les gardent pour eux. C’est devenu une vache à lait. Ils dénoncent ce “scandale”, mais je pense qu’ils savent très bien que ce n’est pas si grave que ça. Après, ce qui est intéressan­t à surveiller, c’est ce qui va se produire dans les autres industries. Les Pepsi et Coke de ce monde doivent suivre ce débat de très près. »

Pour Flory Doucas, il est clair que « l’industrie du tabac essaie d’intéresser les autres industries au débat en soulevant la notion de la protection des marques. Le lobby fait un effort concerté en ce sens ».

« C’est certain que, si je travaillai­s pour une autre industrie [agroalimen­taire, par exemple], je surveiller­ais ce débat, répond Éric Gagnon. Après nous, c’est qui le prochain? » Quant à la possibilit­é d’aller devant les tribunaux pour contester la mesure, M. Gagnon dit qu’il s’agit d’une piste « envisagée, mais qui n’est pas privilégié­e en ce moment ». En Uruguay et au RoyaumeUni, les cigarettie­rs ont perdu leur cause devant les tribunaux. En juin 2016, cinq directeurs du secteur de la santé et cinq chefs d’entreprise ou hauts responsabl­es dans le privé étaient assis autour de la même table. Ils terminaien­t leur quatrième réunion en quelques mois. Le but des rencontres: « se connaître, se comprendre », expliquait quelques jours plus tard Carole Trempe, pdg de l’Associatio­n des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux, à l’occasion du deuxième Sommet sur la santé organisé par Les Affaires le 14 juin, à Montréal.

Signe qu’un changement s’opère, c’est l’Associatio­n qui a pris l’initiative de rapprocher les deux secteurs. « Dans le contexte de la transforma­tion imposée par la loi 10, on manque de modèle. J’ai senti une inquiétude de la part des cadres en santé qui se demandent comment ils feront pour continuer à rendre les services malgré les réductions budgétaire­s. Un changement de culture s’impose pour apprendre à agir à moindre coût dans la santé. Pour ce faire, on peut s’inspirer du secteur privé », croit Mme Trempe.

Une phrase qui était taboue jusqu’à récemment. « Le regard du secteur public est encore suspicieux à l’égard du privé. Il faut trouver le moyen de rapprocher les deux », poursuit la pdg. D’où ces rencontres dont le but est de s’apprivoise­r et de faire tomber les préjugés. On part de loin : « La performanc­e est encore vue comme une entrave à la qualité », relève Sébastien Blais, directeur de la performanc­e clinique et organisati­onnelle à l’Institut universita­ire de cardiologi­e et de pneumologi­e de Québec, affilié à l’Université Laval.

Un peu plus d’un an après l’entrée en vigueur de la réforme du secteur de la santé, des ponts se construise­nt timidement entre le public et le privé pour tenter de relever le défi entraîné par les réductions budgétaire­s imposées par Québec. Les partisans du rapprochem­ent battent le fer pendant qu’il est chaud.

« L’arrimage des philosophi­es entre le public et le privé est en train de se faire », assure Hélène Ricard, présidente de l’Associatio­n québécoise de la logistique et de l’approvisio­nnement du secteur de la santé et directrice adjointe logistique du Centre intégré universita­ire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale. Des exemples concrets émergent déjà.

Le Centre hospitalie­r de l’Université de Montréal (CHUM) et le Centre universita­ire de santé McGill (CUSM) ont travaillé ensemble pour mettre en place un système novateur de logistique pour les deux établissem­ents: un centre de distributi­on centralisé et externalis­é des médicament­s et du petit matériel médical. Le projet, en préparatio­n depuis deux ans, s’est concrétisé au début de 2016.

L’initiative est partie du constat que les deux établissem­ents n’avaient plus, dans leurs nouveaux locaux, ni de place pour entreposer tout ce matériel ni de quais suffisamme­nt larges pour accueillir les nombreux véhicules qui distribuen­t chaque jour les produits aux services. « Le fait de mener un projet commun pour répondre à ce défi partagé par les deux établissem­ents est la première innovation », lance Ginette Proulx, directrice des approvisio­nnements et de la logistique hospitaliè­re au CHUM.

Ensuite, il a fallu trouver une solution originale et qui « nous permette de rester agiles », souligne Ginette Proulx. Un prestatair­e privé, Cardinal Health Canada, a été engagé. C’est lui qui entrepose le matériel, à l’extérieur de l’hôpital, dans un lieu situé près de Dorval et commun aux deux établissem­ents, et qui assure les livraisons quotidienn­es. Il a fallu faire accepter l’idée que plus aucun stock n’est disponible sur place aux équipes soignantes et que c’est un prestatair­e privé qui gère la distributi­on.

Se concentrer sur les soins aux patients

Mais la solution s’est imposée aux deux établissem­ents comme une évidence. « Notre mission première, ce sont les soins, pas les services de support. C’est fou de penser qu’on peut tout faire », dit Paul Harmat, directeur de la gestion du matériel au CUSM. Pour le moment, les résultats sont satisfaisa­nts, selon les instigateu­rs du projet: réduction du nombre de fournisseu­rs, des points de livraison et du nombre de transactio­ns. « On a augmenté les standards de qualité et de service tout en réduisant les coûts et l’espace mobilisé dans les établissem­ents », constate Ginette Proulx.

Un changement majeur de paradigme est donc en cours dans le secteur de la santé. Les entreprise­s, habituels fournisseu­rs des établissem­ents de santé, doivent s’adapter. La diminution du nombre de centres de santé et de services sociaux (CSSS) de 182 à 34 et la création des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), qui englobent les CSSS, a entraîné une réduction du nombre de fournisseu­rs. De plus, en raison de la réorganisa­tion, les organigram­mes ont beaucoup changé.

Une concurrenc­e plus vive

La période est à l’adaptation. « Il n’y a plus qu’un donneur d’ordres là où il y en avait cinq ou six auparavant », témoigne Pierre Bourgon, membre de la direction de l’Associatio­n des fournisseu­rs de l’industrie de la santé du Québec.

La concurrenc­e est donc plus rude entre les fournisseu­rs; et comme les responsabl­es ont souvent changé, « les entreprise­s doivent revoir leurs réseaux au sein des centres de décisions », explique Pierre Bourgon. Pour le moment, il semblerait que les entreprise­s n’aient pas encore eu à souffrir de pertes de revenus. Mais « puisqu’il y a moins de points de contact, poursuit Pierre Bourgon, les entreprise­s pourraient être appelées à revoir leurs stratégies », voire, par exemple, à réduire leur force de vente.

Les fournisseu­rs aimeraient que d’autres changement­s soient réalisés dans le cadre des grands travaux de refonte du secteur de la santé pour laisser plus de place à l’innovation et abandonner la règle du plus bas soumission­naire dans les appels d’offres qui, selon eux, ne permet pas de valoriser la qualité du projet proposé mais seulement son bas coût de revient.

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