Les Affaires

LE TOP 30 DES FIRMES D’INGÉNIERIE AU QUÉBEC

- Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc Éliminer la méfiance

Après plusieurs années marquées par les scandales et l’immobilism­e, les firmes québécoise­s de génie voient le bout du tunnel. L’activité n’a pas encore retrouvé son rythme de croisière, mais des signes de reprise font surface. Le secteur a profité des années de crise pour se reposition­ner sur divers marchés, dont celui des infrastruc­tures.

Chez Norda Stelo, la dernière année a été difficile. L’ex-Roche, qui a changé de nom dans la foulée du dévoilemen­t d’irrégulari­tés dans l’attributio­n des contrats publics d’infrastruc­tures, a de nouveau réduit la voilure et licencié une centaine de personnes en mai dernier. La firme a revu en profondeur ses orientatio­ns et a décidé de « laisser tomber le marché municipal, pourtant le segment de marché historique de Roche », affirme Alex Brisson, président et chef de la direction de Norda Stelo.

Dans les belles années, ce marché représenta­it 50% du chiffre d’affaires de la firme. Il est tombé à 15-20% dernièreme­nt, précise le dirigeant. Si Norda Stelo a décidé d’abandonner ce secteur, c’est surtout parce qu’il est devenu « très compétitif et judiciaris­é », regrette Alex Brisson.

Norda Stelo s’est donc « réinventée » en 2016. « On préfère se diriger vers des créneaux plus nichés plutôt que d’être généralist­es », explique Alex Brisson. Actuelleme­nt, les mines, les forêts, l’énergie, l’exploratio­n et le secteur du pétrole et du gaz représente­nt la moitié du chiffre d’affaires de la firme, qui ne veut pas divulguer ses revenus. L’autre moitié est assurée de façon à peu près égale par les infrastruc­tures et le transport ainsi que par le commercial et l’institutio­nnel (écoles, hôpitaux).

Stabilisat­ion plutôt que reprise

Au-delà des restructur­ations réalisées au sein des firmes, le lancement de grands chantiers, comme ceux du nouveau pont Champlain et de l’échangeur Turcot au Québec, a contribué à insuffler de l’oxygène à l’industrie. L’annonce d’un plan d’investisse­ment de 120 milliards de dollars dans les infrastruc­tures par le gouverneme­nt Trudeau offre également des perspectiv­es prometteus­es aux firmes du secteur. « Après deux ou trois ans de ralentisse­ment, le marché a débloqué dans le domaine des routes et des ponts, témoigne Alex Brisson. On a déjà plusieurs mandats. On participe notamment à la transforma­tion de la route 185 en autoroute, près de Rivière-du-Loup. »

SNC-Lavalin confirme la tendance. « Après des années de sous-investisse­ment, beaucoup d’argent est dépensé dans les infrastruc­tures au Canada et dans le monde. Une étude du cabinet McKinsey & Company prévoit que les investisse­ments dans les infrastruc­tures dans le monde augmentero­nt de 109 % entre 2012 et 2030, pour atteindre 13 milliards de dollars américains. C’est un beau défi pour nous », indique Marc Rivard, vice-président directeur, ingénierie des infrastruc­tures, de SNC-Lavalin.

« Les mauvaises années sont derrière nous », avance-t-il.

La première firme au classement des grands de l’ingénierie de Les Affaires (voir à la page 33) réalise actuelleme­nt « de 4000 à 5000 projets par an au Québec ». Elle est notamment engagée dans le chantier du pont Champlain, les travaux d’agrandisse­ment de l’hôpital Sainte-Justine, qui viennent de se terminer, et ceux de l’hôpital de l’Enfant-Jésus et de l’Hôtel-Dieu de Québec.

Toutefois, André Rainville, le président de l’Associatio­n des firmes de génie-conseil du Québec (AFG), hésite à parler de véritable reprise: « Il est plus juste de parler de stabilisat­ion. À l’horizon, on voit poindre une éventuelle reprise des investisse­ments publics et privés. On peut donc penser de façon réaliste qu’on assistera à une relance de l’activité dans les prochaines années, grâce entre autres à l’obligation d’entretenir les actifs municipaux et gouverneme­ntaux (conduites d’eau, routes, ponts, etc.). »

Il faut dire que plusieurs indices sont encouragea­nts pour l’industrie, par exemple du côté de l’emploi. « Après plusieurs années de pertes, la situation est redevenue stable », affirme André Rainville. Dans les faits, le nombre d’emplois au sein des 40 firmes membres du regroupeme­nt a baissé de 2,5% d’avril 2015 à avril 2016. Mais l’Associatio­n considère que le secteur a renoué avec la stabilité, après avoir enregistré des pertes d’emplois de l’ordre de 20% lors de certaines années antérieure­s.

Selon le palmarès de Les Affaires, le nombre d’employés des 30 plus grandes firmes de génieconse­il du Québec n’a cessé de fondre au cours des quatre dernières années, passant de 26 867 employés en 2012 à 18 639 en 2016, soit une perte de plus de 8 200 emplois. Cette stabilisat­ion s’accompagne d’un retour de la confiance du public envers la profession. Selon un sondage mené à l’automne 2015 pour le compte de l’Ordre des ingénieurs du Québec, 78% du public a une opinion plutôt ou très favorable de la profession. Le Baromètre des profession­s établi par Léger en mars 2016 montre quant à lui que 79% du grand public fait confiance aux ingénieurs, comparativ­ement à 62% en 2015.

Sur le terrain, toutefois, les plaies ne sont pas encore totalement pansées.

« On sent encore de la méfiance. Il n’est pas rare que les donneurs d’ouvrage mettent en place des équipes de supervisio­n du travail des firmes. Cela dénote un certain inconfort », témoigne Norman Hurens, directeur général de la firme Beaudoin-Hurens (14e rang au palmarès). Il fait référence, entre autres, à la création

du poste d’inspecteur général de la Ville de Montréal, occupé par Denis Gallant.

André Rainville note lui aussi que la méfiance persiste. « Elle existe toujours, malgré toutes les mesures qui ont été mises en place pour assainir le milieu, comme l’obligation d’obtenir, pour les firmes, une autorisati­on de l’Autorité des marchés financiers, les changement­s de dirigeants à la tête de plusieurs sociétés, l’améliorati­on des règles de gouvernanc­e, ou encore l’instaurati­on de codes d’éthique et de lignes de dénonciati­on. » Le président de l’AFG juge indispensa­ble de rétablir le lien de confiance avec l’industrie du génie-conseil, qui représente un poids économique important au Québec.

« Encore faut-il que les donneurs d’ouvrage et le public prennent conscience des changement­s intervenus, ajoute-t-il. Le fait d’entendre encore parler de temps en temps de procédures judiciaire­s, dans la foulée de la commission Charbonnea­u, n’aide pas à tourner la page. »

Manifestat­ion de ce malaise, le site de l’AFG a été victime de piratage à la mi-août. « La page d’accueil a été barrée d’un message faisant référence à la commission Charbonnea­u et disant que le temps était venu de rembourser », relate André Rainville.

Une certaine frilosité imprime donc encore sa marque sur le secteur. « Les donneurs d’ordres ont recommencé à donner de l’ouvrage, mais les prix de soumission ont fortement baissé », indique Norman Hurens. De plus, les règles d’octroi des marchés ont souvent changé, forçant les firmes à s’adapter.

« Certaines dispositio­ns nous paraissent difficiles à suivre, car elles ne nous permettent pas de montrer ce dont on est capables, poursuit Norman Hurens, renvoyant à la règle du plus bas soumission­naire. On ne sait pas toujours sur quoi on soumission­ne, les mandats sont souvent peu précis », ajoute-t-il. L’industrie fait face à d’autres défis. « Nous devons affronter la concurrenc­e de plus petites firmes, nées des années de turbulence. Plus agiles en raison de leur taille, elles peuvent proposer des prix moindres, car elles ont moins de coûts fixes à assumer », constate Alex Brisson.

« Sur les projets d’envergure, nous nous butons également contre les plus grandes firmes qui ont des capacités de financemen­t supérieure­s aux nôtres et qui collaboren­t avec des partenaire­s étrangers », affirme-t-il.

Pour garder la tête hors de l’eau, Norda Stelo multiplie les ententes avec de petites firmes spécialisé­es. Cela lui donne la possibilit­é d’accéder à des expertises pointues dans des domaines aussi divers que le traitement des eaux, les infrastruc­tures urbaines ou la gestion d’intégrité des actifs.

Fort de toutes ces réorientat­ions, Alex Brisson voit l’avenir d’un bon oeil. Outre la poursuite de l’expansion mondiale, le pdg estime que le transport routier et ferroviair­e ainsi que les infrastruc­tures alimentero­nt la croissance. Actuelleme­nt, la firme pense réembauche­r 50 personnes prochainem­ent et vise à atteindre 100 embauches d’ici la fin de 2016.

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« Après deux ou trois ans de ralentisse­ment, le marché a débloqué dans le domaine des routes et des ponts. On a déjà plusieurs mandats. On participe notamment à la transforma­tion de la route 185 en autoroute, près de Rivière-du-Loup », dit Alex...

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