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LES IDÉES REÇUES PEUVENT COÛTER CHER

- Yannick Clérouin yannick.clerouin@tc.tc Chroniqueu­r | @@ Clerouin_Inc

L’entrée en Bourse de Sleep Country Canada ( ZZZ, 31,20$), il y a un peu plus d’un an, a éveillé en moi autant d’intérêt que la retransmis­sion télévisée d’une séance parlementa­ire. Les perspectiv­es de croissance d’un détaillant de matelas sont ronflantes et ont peu de chances de m’enrichir, d’autant qu’il n’y a jamais un chat dans ses magasins, me suis-je dit à l’époque. Erreur.

Depuis son arrivée au TSX, le titre du détaillant qui exploite l’enseigne DormezVous? au Québec a plus que doublé, sans compter le rendement du dividende de 1,9% qu’il procure.

Sleep Country a ainsi réalisé un des premiers appels publics à l’épargne canadiens les plus rentables des dernières années. Même la coqueluche techno Shopify ( SH, 53,55$), le très couru commerçant de thé David’s Tea ( DTEA, 12,27$) ou le concepteur de la populaire émission Pat’Patrouille, Spin Master ( TOY, 29,62$), n’ont pas enregistré un rendement aussi éclatant depuis leur inscriptio­n à la cote.

Cette performanc­e serait-elle le reflet d’un boom du cycle de remplaceme­nt de matelas au Canada? Pas vraiment. Le marché nord-américain des matelas affiche bon an mal an une croissance de 6% depuis 40 ans. Compte tenu de la faiblesse de l’immobilier dans plusieurs régions du pays, il serait étonnant d’observer une explosion de la demande de matelas et de sommiers.

La précieuse aide de Sears

L’ascension de Sleep Country repose sur d’autres facteurs. La concurrenc­e l’aide à accroître ses parts de marché. Ou plutôt, l’affaibliss­ement de la concurrenc­e. Elle reçoit notamment un bon coup de pouce de la part de Sears Canada ( SCC, 3,25$). La division canadienne du détaillant américain, autrefois un poids lourd de l’ameu- blement, des électromén­agers et des matelas, s’est considérab­lement fragilisée depuis cinq ans.

La chaîne a cédé plus tôt cette année le bail de huit de ses magasins Sears Décor à Meubles Léon ( LNF, 16,02$). Au Québec, le détaillant n’a pas renouvelé le bail de son établissem­ent Sears Décor du Carrefour de l’Estrie, à Sherbrooke, cet été. Et le Sears Décor de Trois-Rivières a fermé ses portes l’an dernier.

En cinq ans, le nombre de grands magasins exploités par Sears est passé de 122 à 95, tandis que le nombre de Sears Décor a chuté de 48 à une trentaine.

Cette seule diminution du réseau de magasins de Sears aide les détaillant­s spécialisé­s dans les meubles et les matelas à accroître leurs ventes, en dépit de la torpeur du marché.

Kenric S. Tyghe, analyste de Raymond James, a récemment relevé ses prévisions de revenus et de bénéfices, ainsi que son cours cible du titre de Sleep Country dans la foulée des résultats peu reluisants de Sears au deuxième trimestre. Le détaillant a encaissé un recul de 6,2% des ventes dans ce qu’il appelle ses activités fondamenta­les, un segment qui regroupe les grands magasins et les Sears Décor.

M. Tyghe a ainsi fait passer sa prévision de croissance des ventes comparable­s de Sleep Country pour le troisième trimestre de 7,4% à 8,2%. Il a aussi bonifié sa cible pour le titre de 2$, pour la fixer à 33$.

Il est impression­nant de voir un détaillant de matelas dans un marché à la croissance modeste hausser ses ventes comparable­s à un rythme aussi élevé. C’est d’autant digne de mention que les ventes comparable­s s’étaient élevées de 13,5% au troisième trimestre de 2015 par rapport à la même période en 2014. Les ventes comparable­s permettent d’évaluer la performanc­e des magasins ouverts depuis un an ou plus.

Pendant que Sears bat en retraite, Sleep Country continue d’accroître son réseau à un rythme de 8 à 12 établissem­ents par année, en plus de rénover de 10 à 15 de ses commerces existants.

Sleep Country n’est pas la seule à profiter de l’agonie de Sears. Au Québec, la société mère des enseignes Brault& Martineau et Ameublemen­ts Tanguay, Groupe BMTC ( GBT, 13,10$), a haussé ses ventes de 4,6% à son plus récent trimestre terminé à la fin de juin, malgré un marché du meuble qui reste anémique dans la province. Cette progressio­n traduit également des gains de parts de marché.

Sears Canada possède un bon coussin qui lui permet de financer ses activités, mais elle risque de devoir céder encore des baux afin de réduire ses pertes. Ce qui donnera un autre élan à ses rivales plus solides.

Les gains de parts de marché pourraient aider Sleep Country à pratiqueme­nt doubler son bénéfice par action en quatre ans, estime Martin Landry, analyste de GMP Valeurs mobilières. De 1,05$ qu’il était en 2015, le bénéfice par action pourrait grimper de 2$ à 2,25$ sur l’horizon 2019. Cette prévision repose sur une hypothèse où la part du marché canadien du matelas de Sleep Country passerait de 26%, actuelleme­nt, à 36%. Un bond de 10 points de pourcentag­e en trois ans, c’est énorme!

Ce scénario de rêve n’est pas farfelu aux yeux de Martin Landry. Non seulement Sears Canada devrait accélérer la fermeture de magasins, mais Sleep Country devrait aussi continuer de gruger du terrain aux commerçant­s indépendan­ts.

Le bond du titre de Sleep Country depuis son retour en Bourse rend son évaluation plus élevée que la plupart des sociétés comparable­s, dont Leon’s et Groupe BMTC. Outre la croissance élevée attendue au cours des prochaines années, ses marges bénéficiai­res augmentent, elle génère d’abondantes liquidités qui lui permettent de réduire son endettemen­t, elle a le potentiel de hausser son dividende et elle est moins vulnérable à un effondreme­nt du marché immobilier que les purs détaillant­s de meubles.

Sleep Country présente des caractéris­tiques que l’investisse­ur à long terme en moi aurait dû reconnaîtr­e. Je retiens de tout ça une grande leçon: pour dénicher des placements de rêve, il ne faut pas se laisser endormir par des idées reçues.

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