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La première fois que...

La première fois que...

- Anne-Marie Tremblay redactionl­esaffaires@tc.tc

Garder un style montréalai­s, même aux États-Unis

Le chemin de la croissance est ponctué d’étapes incontourn­ables. Cette série présente des cas d’entreprise­s qui les ont traversées avec succès. Cette semaine : l’ouverture d’une première succursale à l’étranger.

Plus de 15 ans après l’ouverture de son restaurant Chez l’Épicier, dans le Vieux-Montréal, Laurent Godbout s’est donné un double défi. Pour une première fois, il a non seulement décidé d’ouvrir une deuxième succursale de cette adresse phare, mais il a choisi d’avoir pignon sur rue à Palm Beach, en Floride.

Si ouvrir un restaurant au Québec est une machine bien huilée pour Laurent Godbout, qui compte onze lancements en carrière, exporter sa recette en sol américain n’a rien de simple, a-t-il constaté. Tellement qu’il a presque l’impression que c’est la première fois qu’il se lance. Depuis deux ans, le chef découvre chaque jour de nouveaux aspects réglementa­ires auxquels il doit faire face. Entre les différents dédales administra­tifs, les demandes de permis et autres, il aura fallu un an de préparatif­s, entre la signature du bail et l’ouverture officielle du restaurant, en juillet 2015. Soit le double, voire le triple du temps qu’il lui faudrait à Montréal, estime-t-il.

« Tout est différent, et je ne parle pas seulement des normes d’hygiène », dit Laurent Godbout. Par exemple, chaque État délivre un nombre limité de permis d’alcool pour protéger son marché. « C’est un peu comme acheter une maison. Il faut attendre qu’un permis soit à vendre pour mettre la main dessus. » Et les prix n’ont rien à voir avec ceux de la province: s’il faut débourser près de 2500$ au Québec, les prix tournent plutôt autour de 100 000$ aux États-Unis.

Laurent Godbout n’est pas le seul à vivre ce genre de situation. En effet, l’accès à l’informatio­n constitue le principal défi de l’entreprene­ur qui veut s’installer à l’étranger, estime Sidney Miranda, conseiller sénior en commerce internatio­nal à Développem­ent PME Internatio­nal. « Les règles, les façons de faire et les lois changent d’une région à l’autre et parfois d’une ville à l’autre. » Pour se préparer adéquateme­nt, les Organismes régionaux de promotion des exportatio­ns (ORPEX), les consulats, les ambassades et les délégation­s commercial­es peuvent être utiles, ajoute-t-il. Ou encore le réseau, comme a pu le constater Laurent Godbout. « Nous avons eu beaucoup d’aide de la part de gens d’affaires du Québec ou de restaurate­urs du coin qui nous ont conseillés sur la marche à suivre et les personnes à joindre. »

Cette différence culturelle se reflète dans tous les aspects du projet, jusqu’au processus de recrutemen­t. En effet, les moyens utilisés et même les questions peuvent varier d’un pays à l’autre. Un défi beaucoup plus difficile que ne l’aurait cru Laurent Godbout. « La première semaine, on a passé une annonce dans le journal, et pendant les deux premiers jours, j’ai reçu 185 candidatur­es. Finalement, on a convoqué les 30 meilleurs en entrevue, il s’en est présenté 5 et, le jour d’ouverture du restaurant, 3 seulement sont venus! » À tel point qu’il a dû importer une équipe directemen­t du Québec. Ainsi, de la vingtaine d’employés réguliers du restaurant, le même nombre que sa version montréalai­se, seulement la moitié est américaine.

Pour ce genre de projet à l’étranger, les ressources humaines constituen­t l’un des facteurs clés pour réussir, indique pour sa part Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolit­ain. D’abord, il faut choisir avec soin son équipe de départ et trouver des employés locaux de confiance. « Le paradoxe, c’est qu’il faut se lancer avec des gens de la société mère qui devront incarner notre culture d’entreprise, tout en ayant une très grande sensibilit­é aux réalités locales. C’est pourquoi on préconise souvent d’embaucher des employés locaux pour la vente et le service à la clientèle. »

Deux pays, deux versions

Laurent Godbout a choisi le nom Chez l’Épicier comme passeport vers l’étranger, une manière de tabler sur sa réputation auprès des snowbirds et des Américains qui habituent près de la frontière et qui ont une résidence secondaire en Floride. Sans offrir le même menu, la version américaine respecte la philosophi­e qui a fait le succès de l’adresse montréalai­se depuis sa création: une cuisine raffinée, mettant en valeur les produits locaux, dans une ambiance conviviale.

Mais le succès n’a pas été instantané à Palm Beach. « Quand on a ouvert, la clientèle américaine ne comprenait pas ce que nous faisions. Ils pensaient que nous étions un restaurant français très classique. On s’est beaucoup questionné­s pour savoir s’il fallait changer notre style. »

Le chef et son équipe ont plutôt décidé de conserver le style qui a fait leur réputation à Montréal. « Le menu n’est pas tout à fait le même, car nous n’avons pas eu le choix de nous adapter à notre nouvelle clientèle et aux ingrédient­s disponible­s. Nous avons aussi intégré des plats qui leur font plaisir. » Par exemple, hamburgers, rondelles d’oignons et rosbif côtoient foie gras et rillettes de maquereau. Et la carte propose une sélection de vins américains ainsi que plusieurs rosés disponible­s à l’année.

Alors que plusieurs restaurant­s du coin offrent différents spéciaux, le chef a aussi organisé des soirées « moules à volonté ». Une façon d’attirer la clientèle dans son restaurant une première fois et de leur faire découvrir sa cuisine. « Mais, plutôt que de cuisiner les moules du Maine, nous avons opté pour celles de l’Île-du-PrinceÉdou­ard, plus petites, juteuses et d’une belle texture. Et ça a bien fonctionné, car depuis quatre ou cinq mois, on remarque que les gens reviennent, parlent de nous et amènent de nouveaux clients. »

S’il tire une leçon de l’aventure, c’est d’être patient et persévéran­t. « C’était important pour nous de rester dans notre créneau et de ne pas changer notre couleur pour plaire à tout prix. »

Le propriétai­re constate d’ailleurs que certains aliments, autrefois boudés sur le menu, comme les os à moelle, sont maintenant commandés. « On a une clientèle plus ouverte, qui a plus envie de vivre une expérience culinaire. On s’est adaptés un peu, mais on est quand même restés dans notre créneau. On croit en notre produit. Cela a marché à Montréal, il n’y a pas de raison que cela ne fonctionne pas ici. »

Malgré tout, il ne pense pas qu’il se relancera dans une telle aventure de sitôt. Au cours des prochaines années, il se concentrer­a sur le Québec, alors qu’il ouvrira un quatrième restaurant, à Granby, spécialisé dans les tapas. Prochaine parution dans cette série: le 1er octobre

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« Le menu n’est pas tout à fait le même, car nous n’avons pas eu le choix de nous adapter à notre nouvelle clientèle et aux ingrédient­s disponible­s », explique Laurent Godbout.

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