Les Affaires

Agricultur­e urbaine : échanger des carottes contre un salaire

L’agricultur­e urbaine gagne en popularité. Mais il ne s’agit plus seulement d’un loisir : certains fermiers citadins souhaitent désormais vivre de leur récolte. Coup d’oeil sur un secteur d’activité qui fait des pousses.

- Étienne Plamondon Emond redactionl­esaffaires@tc.tc

Agricultur­e urbaine — Une ferme aquaponiqu­e a fait son apparition en juin à la Place Shamrock, près du Marché Jean-Talon, à Montréal. L’entreprise Écosystème­s alimentair­es urbains (ÉAU) y a installé un système où les déjections d’environ 500 tilapias élevés au rezde-chaussée enrichisse­nt en nutriments l’eau dont s’abreuvent près de 400 plantes à fruits et légumes installées au deuxième étage. Ces dernières purifient à leur tour l’eau des bassins de poissons. Cette installati­on constitue une vitrine pour sensibilis­er la population, mais aussi les gouverneme­nts et les investisse­urs. ÉAU vise toutefois plus gros : la création d’une ferme aquaponiqu­e commercial­e en plein Montréal. Émilie Nollet, cofondatri­ce, souhaite prouver que l’agricultur­e urbaine peut générer des salaires audessus du seuil de la pauvreté. Avec son collègue Olivier Demers-Dubé, elle peaufine depuis deux ans le modèle.

L’arrondisse­ment Rosemont–La Petite-Patrie était tout indiqué pour accueillir leur démarche. En 2015, il a revu sa réglementa­tion pour ouvrir des secteurs industriel­s et commerciau­x aux activités agricoles, maraîchère­s et horticoles, ainsi qu’à l’aquacultur­e. « L’objectif est de permettre le développem­ent d’une industrie agricole sur l’île de Montréal », explique François Croteau, maire de Rosemont–La Petite-Patrie. Selon lui, une demande de dérogation pour un permis entraîne des délais qui réduisent les chances d’une entreprise d’obtenir du financemen­t. Il estime que la mesure adoptée par son arrondisse­ment permet d’abaisser de près de 10 000 $ le coût du démarrage. « On veut que les gens qui veulent lancer des fermes en ville puissent le faire plus facilement et que ce soit rentable. »

Un modèle qui émerge

« La majorité des fermes urbaines sont encore dans une phase d’innovation et de développem­ent, sans compter le fait que la plupart ont des missions sociales et environnem­entales », nuance Éric Duchemin, professeur à l’UQAM et coordonnat­eur du Laboratoir­e sur l’agricultur­e urbaine. Il constate que les fermes urbaines qui réussissen­t misent sur la fraîcheur, des aliments de niche ou des créneaux complément­aires à ceux des régions.

Parmi les phénomènes émergents, on compte le small plot intensive farming, ou spin farming : des fermiers signent un contrat avec des propriétai­res qui accordent une parcelle de leur terrain à une culture bio-intensive. En échange, ces derniers reçoivent une partie des légumes récoltés.

Vincent Proulx a investi 10 000 $ de sa poche et 5 000 $ d’un prêt alloué par Desjardins afin de démarrer cette année Sherbicult­eurs, à Sherbrooke, une entreprise fondée sur ce modèle. Ses radis, laitues, roquettes et autres verdures sont plantés sur 5 000 pieds carrés d’un terrain en territoire périurbain et sur moins de 1 000 pi2 d’une arrière-cour d’un quartier résidentie­l.

Une quarantain­e de citadins lui ont proposé leur terrain pour l’année prochaine. Même s’il vend déjà ses produits à neuf cafés et restaurant­s, ainsi que dans deux marchés, il prévoit réaliser moins de revenus que les 28 000 $ projetés en début d’année. « Je suis parti avec l’objectif de maintenir une production constante, mais l’important, c’est de vraiment connaître son marché », tire-t-il comme leçon.

À Montréal, les quatre membres de la coopérativ­e Cycle AlimenTerr­e récoltent des légumes dans neuf jardins de moins de 450 pi2, situés dans les arrière-cours de résidents du quartier NotreDame-de-Grâce, avant de les revendre à bas prix dans un secteur mal desservi en épiceries. « On ne compte pas sur les légumes pour faire de l’argent », reconnaît Antonious Petro, chargé du développem­ent des affaires. La coopérativ­e dé- marrera cet automne une production de pousses qui, selon les prévisions, générera environ les trois quarts de ses revenus.

L’agrotouris­me à la rescousse

Jean-Philippe Vermette, du Laboratoir­e sur l’agricultur­e urbaine, souligne que les fermiers urbains comme ruraux affrontent une concurrenc­e féroce et de petites marges bénéficiai­res. « De là l’intérêt de diversifie­r son modèle d’entreprise. »

À son avis, les fermes urbaines auraient avantage à développer un créneau s’apparentan­t à l’agrotouris­me, pour attirer des citadins en quête d’une sortie le week-end ou des entreprise­s souhaitant organiser un événement. Brooklyn Grange Farm, à New York, loue ainsi ses toits verts pour des mariages. Le projet VERTical, qui permet au Laboratoir­e et à La Ligne verte d’aménager des jardins verticaux sur une superficie de 6 000 pi2 du toit du Palais des congrès de Montréal, pourrait avoir une vocation similaire.

D’autres PME tablent sur des services comme Alvéole, créée en 2013. Environ 60 % de ses revenus sont tirés de la location et de l’entretien de ruches pour des entreprise­s, des établissem­ents scolaires et des particulie­rs. L’entreprise a triplé son chiffre d’affaires chaque année depuis sa création. Elle compte 20 employés et 500 clients, dont près de 350 à Montréal. Elle a ouvert cette année des bureaux à Québec et à Toronto, qui comptent chacun deux employés.

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