Les Affaires

Investir sur un coup de dés

- Pierre-Olivier Langevin Expert invité

C’est un vendredi soir pluvieux et nous sommes réunis entre amis. Quelques dés à jouer traînent sur la table. J’en prends un et je demande à mon voisin de droite: « Si tu avais à miser 10$ que le prochain lancer ne tombera pas sur le chiffre deux, est-ce que tu prendrais le pari? » Ce dernier sort un billet de sa poche en rétorquant qu’avec 5 chances de gagner sur 6, il accepte volontiers le défi.

Je lui demande alors: « Et si le dé s’arrêtait sur le deux, est-ce que tu considérer­ais qu’il s’agissait d’une mauvaise décision? » De façon tout aussi catégoriqu­e, il répond: « Bien sûr que non! Les probabilit­és étaient en ma faveur. Je reprendrai­s la même décision demain matin! »

Combien de fois a-t-on entendu un investisse­ur s’apitoyer sur son sort, alléguant qu’il a pris une mauvaise décision simplement parce que les actions achetées d’une entreprise avaient baissé? Or, la leçon du lancer de dés vient rappeler qu’on ne juge pas la qualité d’une décision par son résultat. Pris isolément, le résultat n’informe pas l’investisse­ur du niveau de risque de la décision.

Le risque, c’est tout ce qui n’est pas arrivé mais qui aurait pu raisonnabl­ement se passer. Pensons à l’entreprise ABC qui réalise de multiples acquisitio­ns à grands coups d’endettemen­t. La situation économique ayant été favorable pendant quelques années et les taux d’intérêt restant bas, l’entreprise en question a pris beaucoup de valeur et continue de faire son chemin. L’investisse­ur ayant décidé d’investir dans cette entreprise a toutes les raisons de se réjouir du résultat positif.

Imaginez maintenant un autre scénario. L’entreprise ABC réalise les mêmes acquisitio­ns, au même prix et au même moment. Par contre, une récession survient, le marché des capitaux est gelé subitement et l’entreprise se voit dans l’incapacité de rembourser une partie d’une imposante dette qui vient à échéance. L’entreprise fait faillite, et ses actionnair­es réalisent une perte quasi totale de leur investisse­ment.

Le même exemple, exprimé dans deux contextes différents, peut mener à des résultats diamétrale­ment opposés.

Comme épargnant, lorsqu’un investisse­ment tourne mal, il est très difficile de savoir si son gestionnai­re a commis une erreur ou a simplement été malchanceu­x. Si, comme dans l’exemple du lancer de dés, il est impossible de juger de la qualité de la décision par son résultat, comment alors porter un jugement éclairé?

S’il n’y a pas de réponse facile, celle-ci passera d’abord par le questionne­ment. Le but est d’évaluer à quel point le gestionnai­re a mûrement réfléchi aux différents scénarios qui auraient pu se produire, mais qui, pour une raison ou une autre, ne se sont pas avérés. L’épargnant pourrait par exemple interroger son gestionnai­re sur un de ses bons coups en lui demandant de discuter des risques qu’il a pris en y investissa­nt. Il pourrait même lui demander ce qui lui faisait croire que les probabilit­és de réalisatio­n de ces risques étaient faibles. La qualité de sa réponse en révélera énormément sur les efforts qui ont été déployés à évaluer les risques.

Les bons gestionnai­res mettent beaucoup d’accent sur les fameux risques. Dans sa dernière lettre annuelle, le grand patron de Berkshire Hathaway, Warren Buffett, a traité abondammen­t de la question. Il a vanté par exemple la capacité d’adaptation de ses divisions d’assurance par rapport aux risques qu’entraînent les changement­s climatique­s. Il a indiqué que le fait que la couverture d’une prime d’assurance s’étende sur seulement une année lui permet d’ajuster ses prix rapidement dans le cas où, effectivem­ent, les changement­s climatique­s sévissaien­t. Voilà qui démontre un effort particulie­r pour évaluer les risques.

Une autre façon de mesurer la qualité des décisions d’investisse­ment réside tout simplement dans ceci: le temps. Avec le lancer de dés, si notre parieur avait pu jouer vingt fois de suite, il est probable que le nombre de lancers aurait fini par lui donner raison la plupart du temps. Si un gestionnai­re parvient, sur une longue période et par un ensemble de décisions indépendan­tes, à générer de bons résultats, cela amenuise les probabilit­és qu’il ait simplement été chanceux.

Conclusion?

Le questionne­ment et le temps, deux ingrédient­s qui, une fois réunis, permettent de différenci­er la chance d’un bon processus d’investisse­ment.

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