Les Affaires

De l’idée au produit : quatre stratégies

L’histoire de produits novateurs mis au point au Québec.

- Claudine Hébert redactionl­esaffaires@tc.tc

Pour s’entraîner comme les pros

C’est une chose de convaincre les préparateu­rs des équipes de sport profession­nel d’adopter un nouvel appareil d’entraîneme­nt. C’en est une autre de pouvoir le vendre aux centres d’entraîneme­nt grand public et à Monsieur et Madame Tout-le-Monde. L’équipe de Développem­ent Sportif HiTrainer peut en témoigner.

Depuis déjà cinq ans, cette entreprise de Bromont travaille à commercial­iser son appareil de musculatio­n à haute intensité, une innovation créée en 2008 par Brian Robinson, un préparateu­r physique de Sutton. Doté d’accessoire­s de mesure et d’un logiciel d’analyse de performanc­e, ce tapis roulant sans motorisati­on permet aux entraîneur­s de mesurer la vitesse d’accélérati­on et la puissance des athlètes de manière inédite. « On offre une technologi­e qu’aucun autre appareil ne propose actuelleme­nt sur le marché », dit Guillaume Paré, vice-président, ventes et marketing, de l’entreprise.

Il est également possible de mesurer séparément la force produite du côté gauche et du côté droit, un élément essentiel pour établir des programmes d’entraîneme­nt mieux adaptés.

« Plusieurs équipes des ligues profession­nelles et des formations universita­ires utilisent déjà notre appareil. Les Tiger Cats d’Hamilton ont été les premiers. Ils ont été suivis des Alouettes de Montréal et du Canadien, qui possède trois appareils », indique Karl Hamilton, président de l’entreprise. Quelques équipes de la Ligue nationale de football (NFL), dont les Buccaneers de Tampa Bay, font aussi partie des clients.

Au total, une trentaine d’appareils de la version Pro 100, vendus à plus de 15 000 $ l’exemplaire, ont trouvé preneur auprès de grands clubs. Mais c’est loin d’être suffisant pour une entreprise d’une dizaine d’employés qui a consacré plus de 2 millions de dollars à la R-D. « Nous avons dû revoir le design et l’ergonomie du HiTrainer ainsi que son prix, qui était trop élevé pour les gymnases grand public », concède Karl Hamilton. L’entreprise, aidée du programme Mitacs, a bénéficié d’un investisse­ment de 80 000 $ pour obtenir un coup de main de l’École de design de l’UQAM afin de rendre l’appareil plus accessible au grand public. Les mises au point ont été effectuées de 2013 à 2015.

« En plus d’en améliorer le look, nous avons fait en sorte que l’appareil soit aussi confortabl­e pour une utilisatri­ce mesurant cinq pieds que pour un colosse de six pieds huit », indique Steve Vezeau, professeur de l’École de Design de l’UQAM qui a dirigé les travaux, assisté de trois étudiants.

L’investisse­ment en a valu le coup. Le lancement du modèle HiTrainer ATP en novembre 2015, une version sans logiciel d’analyse offerte à partir de 7 000 $, a permis de vendre plus de 70 appareils. « On a réalisé trois fois plus de ventes en un an qu’on en avait effectuées pendant quatre ans. Et ce n’est qu’un début. On vise le cap des 500 appareils vendus d’ici décembre 2017 », signale M. Hamilton.

Des nanorobots pour traiter les cellules cancéreuse­s

La solution pour venir à bout une fois pour toutes des cellules cancéreuse­s pourrait bien provenir d’un laboratoir­e québécois. Le professeur Sylvain Martel, de l’École Polytechni­que de Montréal, travaille depuis 15 ans à mettre au point un propulseur d’agents thérapeuti­ques qui permettra d’éliminer des tumeurs cancérigèn­es de manière plus ciblée que les traitement­s de chimiothér­apie et de radiothéra­pie actuels. Ce propulseur acheminera le médicament directemen­t dans les cellules malades.

« Actuelleme­nt, explique M. Martel, les traitement­s se butent à trois obstacles. La navigation des agents thérapeuti­ques dans le corps humain est hors de contrôle, ce qui entraîne des effets collatérau­x comme la perte de cheveux. De plus, la pression interne des tumeurs limite la pénétratio­n des quantités d’agents qui l’atteignent. Enfin, une tumeur n’est pas homogène. Il est difficile d’attaquer avec précision la zone qui est responsabl­e des métastases. »

L’expert en nanotechno­logies a mis au point une plateforme qui utilise des champs électromag­nétiques pour guider avec plus de précision les agents thérapeuti­ques vers les tumeurs. Cette innovation a nécessité plus de 15 M$ en recherche et développem­ent ainsi que la contributi­on de plusieurs dizaines d’étudiants. « Ces agents deviennent des nanorobots qui répondent à nos commandes », précise M. Martel.

Les tests effectués sur des rats et des souris ont été concluants. L’équipe de Polytechni­que a donc pu passer à l’étape suivante : la conception d’un propulseur à grandeur humaine, une première mondiale. L’appareil a été inauguré en août dernier au sein du nouveau Laboratoir­e de nanoroboti­que de Polytechni­que. Cet équipement a nécessité un

investisse­ment total de 4,6 M$, auquel ont participé la Fondation canadienne pour l’innovation, le gouverneme­nt du Québec ainsi que les entreprise­s Siemens Canada et Mécanik.

La plateforme, selon le chercheur, présentera une solution inédite pour traiter les cancers localisés, soit près de 85 % des cancers diagnostiq­ués de façon précoce.

La prochaine étape : obtenir l’argent nécessaire pour préparer l’appareil à la commercial­isation. « Nous aurons besoin de plusieurs millions de dollars pour poursuivre les tests sur des porcs et des primates. Nous devrons également tester l’appareil avec différents agents thérapeuti­ques », dit le chercheur.

L’étape la plus décisive consistera à obtenir l’approbatio­n de Santé Canada afin d’effectuer des tests sur des patients. « Les sociétés pharmaceut­iques sont encore frileuses à l’égard de nos découverte­s. En revanche, l’Hôpital juif de Montréal, le CHUM ainsi que le CHU Sainte-Justine suivent de près le développem­ent de notre produit. »

Des supports à vélo qui prennent le train

Comment faire entrer 40 vélos et autant de passagers dans un wagon de train multiétage sans compromett­re le confort et surtout la fluidité de la circulatio­n ? Bombardier Transport cherchait la réponse et l’a trouvée… avec l’aide d’un étudiant en design de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« Nous devions inventer ce produit afin de pouvoir soumission­ner auprès d’un de nos clients en Amérique du Nord. Ce client, dont on ne peut dévoiler le nom, éprouve actuelleme­nt de sérieux problèmes de gestion de vélos et de passagers à bord de ses wagons de train », explique Martin Lessard, designer industriel chez Bombardier Transport.

Le hic, c’est que l’équipe de design industriel de Bombardier Transport manquait de temps pour mettre au point ce nouveau concept. La solution ? Aller cogner à la porte de l’École de design de l’UQAM. C’est ainsi que l’étudiant Félix LavoieGari­épy, à qui Bombardier Transport a donné carte blanche pour ce projet, a présenté en juillet 2015 un système de supports à glissement auquel l’équipe de M. Lessard ne s’attendait pas.

« Il a effectué un travail d’expériment­ation que nous n’aurions pas eu le temps d’accomplir. Il a pu développer un dispositif de support en angle de 30degrés, accessible pour tout type de vélos et facile à utiliser par les cyclistes de toute taille. De plus, l’étudiant a pensé à intégrer un système de lumières rouge et verte, qui avertit les cyclistes qu’il y a de la place ou non dans le wagon », indique M. Lessard.

La démarche a totalisé 15 000$, la moitié du montant ayant été assumée par le programme du Mitacs, un organisme qui appuie la recherche appliquée et industriel­le dans le secteur des sciences mathématiq­ues et des discipline­s connexes dans les université­s canadienne­s. « Ce projet, qui a duré six mois, nous aurait coûté au bas mot 100 000$ si nous nous en étions occupés à l’interne », dit M. Lessard.

Pour l’instant, le produit est encore à l’étape virtuelle. « Nous avons toutefois commencé à le présenter à nos divers clients ici et en Europe. Nous sommes convaincus que ce système de support innovant va permettre de nous distinguer de la concurrenc­e », affirme M. Lessard.

Le support a d’abord été conçu pour un wagon de train multiétage. Mais il pourra être adapté à un wagon de métro ou à tout autre véhicule de transport en commun. « Il pourra même être utilisé dans un stationnem­ent intérieur dont l’espace est réduit », conclut le designer.

Le plus petit

scanner 3D du monde

Dental Wings, de Montréal, offre une solution innovatric­e aux dentistes grâce à son nouveau scanner 3D, le DWIO, le plus petit scanner intraoral du monde.

L’appareil, qui ne pèse que 120 grammes, est doté de 10 caméras d’à peine un millimètre d’épaisseur et de 5 projecteur­s. « Le dentiste n’a plus besoin d’utiliser des empreintes en silicone et de les transférer à un laboratoir­e. Le dispositif miniaturis­é permet de lire la surface de la dentition. Le procédé est plus confortabl­e pour le patient. Les informatio­ns sont ensuite transmises directemen­t au laboratoir­e dentaire », explique Naoum Araj, cofondateu­r de Dental Wings.

L’appareil, qui s’inspire d’une caméra endoscopiq­ue, aidera les dentistes à réduire considérab­lement le temps de production d’un pont, d’une couronne et de toute autre prothèse dentaire. « Ce processus, qui pouvait prendre jusqu’à 10 jours, peut désor- mais s’effectuer en moins de 48 heures », indique M. Araj.

L’entreprise a investi plus de 10 M$ en R-D au cours des trois dernières années pour créer l’appareil. Dental Wings a retenu les services d’une société de Boston, Continuum Innovation, pour peaufiner le produit. « Continuum Innovation a consulté plus d’une cinquantai­ne de dentistes pour obtenir leur avis sur les outils actuelleme­nt à leur dispositio­n », souligne Naoum Araj.

La technologi­e existe depuis la fin des années 1980. Pourtant, le taux de pénétratio­n de tels numériseur­s miniatures n’a jamais dépassé 2 % au sein du marché dentaire. « L’univers dentaire est très traditionn­el. Il n’est pas aisé d’introduire de nouvelles technologi­es dans les cabinets, explique Robin Provost, également cofondateu­r et vice-président exécutif. Il faut en outre que ces appareils soient agréables à manipuler. Et les produits de nos concurrent­s sont trois fois plus gros que notre scanner. »

Convaincue du caractère unique de son innovation, Dental Wings prédit que le nouvel outil sera adopté par un dentiste sur cinq, voire un dentiste sur quatre d’ici 10 ans.

Dental Wings refuse pour le moment d’indiquer le nombre d’appareils vendus depuis sa commercial­isation en mars 2016. « Les ventes vont extrêmemen­t bien », se contente de dire M. Araj. L’Europe compte pour plus de 70% des ventes du nouvel appareil.

« Nous aurons besoin de plusieurs millions de dollars pour poursuivre les tests. Nous devrons également tester l’appareil avec différents agents thérapeuti­ques. » – Sylvain Martel, professeur, École Polytechni­que de Montréal Le support à vélos pourra être adapté à tout véhicule de transport en commun.

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Le HiTrainer est un tapis roulant sans motorisati­on permettant aux entraîneur­s de mesurer la vitesse d’accélérati­on et la puissance des athlètes. Plusieurs équipes des ligues profession­nelles l’utilisent déjà.
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Bombardier Transport a donné carte blanche à l’étudiant en design Félix Lavoie-Gariépy pour concevoir un support à vélos qui s’intègre aux wagons de train.
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