Les Affaires

PLANIFICAT­IONS FISCALES RISQUÉES

- Yannick Clérouin yannick.clerouin@tc.tc Chroniqueu­r | Clerouin_Inc C @@

a récente décision de la Commission européenne (CE) d’ordonner à Apple de rembourser à l’Irlande un montant de 19 milliards de dollars canadiens pour avantages fiscaux indus soulève une question qui hantera de plus en plus l’investisse­ur individuel au cours des prochaines années: les planificat­ions fiscales audacieuse­s mettent-elles à risque mes placements?

Actionnair­es d’Apple ( AAPL, 114,92$ US), rassurezvo­us. Avec ses liquidités de 231 G$ US, la société californie­nne ne sera pas ébranlée par une telle facture d’impôts. De toute façon, de nombreux observateu­rs croient que l’entreprise dirigée par Tim Cook réussira à esquiver une bonne partie de la note, sinon la totalité.

À court terme, il n’y a donc aucune inquiétude à avoir si vous possédez des actions du fabricant de l’iPhone. Mais il y a un risque croissant qui guette les entreprise­s faisant appel à des stratégies musclées pour réduire leur fardeau fiscal. Le géant de la restaurati­on rapide McDonald’s ( MCD, 115,28$ US) est le dernier en lice à être ciblé par les autorités: le Financial Times révélait il y a quelques jours que la chaîne pourrait être forcée par la CE de remettre pour 660 M$ CA en

Limpôts au Luxembourg en raison d’exemptions jugées trop généreuses.

Le devoir de payer moins d’impôts

Chaque dollar d’impôt payé est un dollar non disponible pour alimenter la croissance des activités ou verser des dividendes. Les conseils d’administra­tion des entreprise­s ont un devoir fiduciaire de maximiser le rendement des actionnair­es. Eh oui, cela passe par le recours à des techniques permettant de minimiser les impôts comme le transfert des revenus dans des territoire­s où le taux d’imposition est plus bas. Apple respecte probableme­nt toutes les règles fiscales en vigueur.

Le problème se situe ailleurs. Aux prises avec de lourds déficits budgétaire­s, les gouverneme­nts de nombreux pays cherchent de l’argent partout où ils le peuvent. Dans ce contexte, les multinatio­nales fort rentables comme Apple deviennent des cibles évidentes. Après l’annonce de la CE, plusieurs pays européens ont dit vouloir demander à Apple de leur rembourser des impôts qu’elle aurait dû payer sur leur territoire.

Les gouverneme­nts y gagnent sur plusieurs fronts en ciblant les multinatio­nales: non seulement ils peuvent espérer leur soutirer des millions, voire des milliards, mais ils obtiennent aussi la bénédictio­n d’une grande partie de la population en s’attaquant « aux grosses méchantes organisati­ons qui ne payent pas leur juste part d’impôts ». Dixit les Amir Khadir de ce monde qui parlent de « banditisme fiscal ». Il ne faut toutefois pas perdre de vue le fait que de nombreux pays comme l’Irlande offrent des taux d’imposition alléchants afin de favoriser les investisse­ments et créer des emplois. La concurrenc­e entre les pays est féroce et profite aux entreprise­s.

Dans une économie mondialisé­e et toujours plus numérique, où les actifs physiques comme les usines occupent une place décrois- sante, la fiscalité est une question complexe.

Le cas d’Apple nourrit le débat sur les impôts des sociétés et pourrait déboucher sur des règles fiscales plus sévères. L’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE) s’était déjà engagée l’an dernier à trouver des solutions pour remédier aux décalages entre les règles en vigueur dans les différents pays, « grâce auxquels les entreprise­s font disparaîtr­e des bénéfices ou les transfèren­t vers des lieux où ils sont peu ou pas imposés ».

Même si vous n’êtes pas expert en fiscalité, comme investisse­ur, il faut prendre en considérat­ion les conséquenc­es que toute nouvelle réglementa­tion pourrait avoir sur vos placements. À voir les choses aller, on peut prévoir un resserreme­nt visant les stratégies fiscales audacieuse­s.

Un risque pour la valeur des entreprise­s

Le fardeau fiscal d’une entreprise peut avoir une grande incidence sur la valorisati­on que lui accordent les investisse­urs. Apple a eu un taux d’imposition effectif légèrement supérieur à 26% au cours des trois derniers exercices, ce qui est nettement moindre que le taux fédéral statutaire de 35% en vigueur aux États-Unis. Dans son rapport annuel, la direction attribue cet écart favorable aux bénéfices réalisés à l’étranger – dont en Irlande – et non rapatriés en sol américain.

Entre l’exercice terminé le 27 septembre 2014 et celui clos le 26 septembre 2015, le total des liquidités et des placements détenus par des filiales étrangères d’Apple est passé de 131,1 G$ US à 186,9 G$ US. Plus de 90% de ses bénéfices accumulés se trouvent ainsi dans des pays fiscalemen­t avantageux. Qu’adviendrai­t-il à sa valeur en Bourse si Apple était forcée de rapatrier cette somme aux États-Unis?

Les entreprise­s inscrites au S&P 500 ont cumulé plus de 750 G$ US de bénéfices abrités à l’étranger, calculait Credit Suisse dans un rapport publié en mars. Les possibles dettes d’impôts liées à ces sommes qui dorment dans les pays avantageux sur le plan fiscal pourraient équivaloir à plus de 10% de la capitalisa­tion boursière de plusieurs multinatio­nales américaine­s, selon la firme de courtage.

Outre Apple, Microsoft, General Electric, Google, Amazon, Starbucks, pour ne nommer que celles-ci, sont de plus en plus dépendante­s des havres fiscaux, affirme une analyse publiée il y a quelques jours par la Financial Accountabi­lity and Corporate Transparen­cy (FACT), une alliance non partisane regroupant plus de 100 États et organisati­ons internatio­nales. Avec les pharmaceut­iques, les technos sont les championne­s des bénéfices accumulés à l’étranger.

Le risque propre à chaque entreprise est cependant difficile à évaluer pour l’investisse­ur individuel. La FACT est catégoriqu­e à ce sujet: l’informatio­n que sont tenues de dévoiler les entreprise­s en vertu des règles imposées par les autorités boursières, comme la Securities and Exchange Commission aux États-Unis, est insuffisan­te pour l’investisse­ur moyen. La plupart des entreprise­s du S&P 500 ne divulguent pas le montant d’impôts associé aux bénéfices conservés à l’étranger qu’elles pourraient un jour avoir à régler, selon Credit Suisse. C’est probableme­nt aussi le cas des sociétés canadienne­s qui recourent à de telles stratégies fiscales.

En attendant des lois qui exigeront davantage de transparen­ce, l’investisse­ur doit porter une plus grande attention aux risques associés aux pratiques fiscales des entreprise­s qu’il a en portefeuil­le. Pourquoi le taux d’imposition effectif est-il si bas et nettement moins élevé que celui de ses rivales? Les bénéfices avant impôts augmentent-ils moins vite que les bénéfices après impôts? Y a-t-il multiplica­tion des litiges fiscaux dont l’entreprise est susceptibl­e de faire l’objet ?

Il y a un autre élément qui peut éventuelle­ment peser sur le rendement du capital de ces entreprise­s qui abritent des milliards de dollars à l’étranger. Selon le Wall Street Journal, 93% de la somme que Microsoft détient à l’étranger est investie dans des placements peu rémunérate­urs, comme des bons du Trésor. Voilà qui ne constitue pas une utilisatio­n productive des actifs de l’entreprise et peut représente­r un coût de renonciati­on significat­if pour les actionnair­es, souligne le rapport du FACT.

Les entreprise­s inscrites au S&P 500 ont cumulé plus de 750 G$ US de bénéfices conservés à l’étranger, calculait Credit Suisse dans un rapport publié en mars dernier.

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