Les Affaires

EXPORTER AUX ETATS UNIS OU COMMENT VENIR A BOUT DU

- Matthieu Charest matthieu.charest@tc.tc C @ Matthieu Charest

Aucun doute que si Astérix ou Hercule avaient été des personnage­s contempora­ins, exporter des marchandis­es aux États-Unis aurait été l’un de leurs 12 travaux. Car, bien que le marché américain soit alléchant, il faut d’abord traverser les douanes pour l’atteindre. Une mission beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, ALENA ou pas. Le jeu en vaut toutefois la chandelle, ne serait-ce que pour se préparer aux prochains accords de libreéchan­ge, notamment le Partenaria­t transpacif­ique (PTP) et celui avec l’Union européenne, sur le point d’entrer en vigueur. Saint-Bernard-de-Lacolle — Après plusieurs mois d’attente et plusieurs tentatives infructueu­ses, Les Affaires est arrivé au « Port Champlain », l’équivalent commercial du poste frontalier de Lacolle, en juin dernier. C’est que le U.S. Customs and Border Protection (CBP, l’agence des douanes américaine­s) n’est ni habitué ni enthousias­te à l’idée d’accueillir un journalist­e. C’est en accompagna­nt la Chambre de commerce du Montréal métropolit­ain (CCMM), qui organise des visites à la frontière plusieurs fois par année, que nous avons pu nous y rendre. « En plus des missions que nous organisons aux douanes depuis 20 ans, vous êtes le premier média qui est autorisé à venir », nous confirme Louise Lauzon, conseillèr­e au développem­ent des marchés internatio­naux à la CCMM.

Notre persévéran­ce a été récompensé­e; la visite vaut le détour. Ne serait-ce que pour prévenir les entreprise­s tentées d’exporter aux États-Unis qu’elles doivent se préparer avec une extrême minutie avant de passer à l’action. Et pour avertir celles qui exportent déjà que plusieurs dangers les guettent. En particulie­r les PME, qui ont souvent peu de ressources à leur dispositio­n et pour lesquelles une amende infligée par les douanes peut être salée, voire fatale.

Survivre aux douanes en six étapes

L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) « exonère 97% ou 98% des produits exportés de taxes douanières, explique David Pavot, chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke. C’est très intéressan­t pour les entreprise­s. Seulement, les procédures douanières demeurent longues et complexes. Je ne veux faire peur à personne, insiste-t-il, mais ça se fait avec sérieux ».

C’est bien là le problème, croit Linda Labrosse, spécialist­e certifiée en douanes : « Les entreprise­s ne se préparent pas! Même parmi celles qui exportent déjà, plusieurs ne savent même pas qu’elles sont responsabl­es du côté américain ». Responsabl­es de tout, de la conformité de l’étiquette sur la boîte jusqu’au certificat d’origine.

Puisque le sujet des douanes, de la conformité et des procédures à la frontière est vaste, nous n’avons pas la prétention de vous présenter un guide exhaustif. Mais voici les réflexes à adopter et les ressources à consulter pour exporter en toute quiétude.

1 ETUDIEZ LE MARCHE ET TENEZ COMPTE DES REGLES

« Ne vous lancez pas partout en même temps, conseille Yan Cimon, professeur au Départemen­t de management de l’Université Laval. Allez voir les villes, les États, établissez des contacts avec les autorités locales et renseignez­vous en amont. Il faut bien commencer quelque part. Vous allez faire des erreurs au début, mais il n’y a pas une bonne manière de procéder, pas de “one size fits all”. Pour chaque produit, il y a des exigences différente­s. »

À l’instar du Canada, les États-Unis ne constituen­t pas un bloc monolithiq­ue. Dans cette mosaïque d’États, il y a une multitude de philosophi­es, de besoins et de cadres réglementa­ires. Trouvez la région ou l’État qui affiche un réel appétit pour vos services ou vos produits.

D’ailleurs, si l’État de New York était un pays, il compterait pour presque 8% des exportatio­ns mondiales québécoise­s; le Vermont et l’Ohio, pour 4,5%. Les marchés, État par État, sont immenses. Et, bien que les États-Unis présentent plusieurs similarité­s avec le Canada, il s’agit toujours d’un pays étranger où les douaniers sont, en quelque sorte, rois et maîtres. De votre cargaison du moins.

Après avoir trouvé le bon marché, il faut comprendre quelles normes s’appliquent à vos produits. Sachez qu’il y a une quarantain­e d’agences qui comptent sur les douanes pour vérifier que ce qui arrive dans leur pays correspond à leurs exigences. Par exemple, la Food and Drug Administra­tion ou l’Environmen­tal Protection Agency. Ainsi, à la frontière, plusieurs inspection­s peuvent se succéder.

Et si les tarifs douaniers sont à peu près disparus à la frontière canado-américaine, les exportateu­rs doivent s’attendre à débourser certains frais qui sont liés au transport et à l’entreposag­e des produits ainsi qu’à la paperasse à remplir avant d’exporter. Selon M. Cimon, les coûts liés au passage à la frontière représente­nt environ 7 à 10% de la valeur des marchandis­es échangées.

2 ALLEZ CHERCHER DE L'AIDE VOUS EN AUREZ BESON

« Vous ne savez pas ce que vous ne savez pas », dit Robert Pelletier, représenta­nt en chef d’Exportatio­n et développem­ent Canada (EDC) pour les États-Unis. Le spécialist­e suggère aux PME souhaitant exporter de consulter les experts d’EDC, qui compte 18 bureaux et plus de 100 employés au sud de la frontière. EDC est notamment en mesure de mettre les PME exportatri­ces en contact avec des banques, des courtiers en douanes et des entreprise­s de transport.

Par ailleurs, l’Université de Sherbrooke donne des formations d’accompagne­ment destinées aux entreprise­s, comme elle l’a déjà fait auprès des Manufactur­iers et Exportateu­rs du Québec. Les chambres de commerce, les Organismes régionaux de promotion des exportatio­ns (ORPEX) et plusieurs entreprise­s privées offrent aussi des formations et de l’accompagne­ment.

Par ailleurs, lors de notre passage aux douanes, John Sullivan, qui était alors le directeur du Port Champlain avant d’être transféré en Alabama, a précisé que les portes des douanes sont ouvertes à quiconque aurait des questions et que des visites sont possibles. « Nous ne voulons pas compliquer la vie des entreprise­s, a-t-il plaidé, nous ne voulons pas faire d’argent non plus. Notre travail, c’est de faire respecter la loi. Si nous devions vérifier chaque chargement commercial qui passe chez nous, il y en aurait environ 1400 par jour à Lacolle [le quatrième point de passage le plus fréquenté de la frontière]; nos économies nationales s’écroulerai­ent. »

3 SACHEZ A QUOI VOUS VOUS EXPOSEZ

Les erreurs commises, même de bonne foi, peuvent coûter cher, très cher aux exportateu­rs. « Un de mes clients, une PME qui exportait de la viande, a traversé avec du cheval sans détenir le bon certificat, raconte Linda Labrosse. L’entreprise a dû payer 50 000$ d’amende. »

Si vous remarquez que vous avez commis une erreur, déclarez-la dès que possible. « Nous apprécions beaucoup que les gens prennent l’initiative et soient honnêtes », soutient Raymond Wayman, spécialist­e des entrées pour les douanes américaine­s depuis 20 ans.

Dans les faits, seulement 2 ou 3% des cargaisons sont arrêtées aux douanes, juge Mme Labrosse. Le hic, c’est que, même si vous passez 100 fois sans problème et sans inspection, la 101e fois peut être la « bonne » (ou la mauvaise, selon le point de vue), celle où une batterie d’inspection­s est effectuée. Et si une erreur est révélée à ce moment-là, le CBP peut vérifier tout ce que vous avez exporté auparavant, depuis les cinq dernières années.

Bref, l’erreur découverte la 101e fois est susceptibl­e d’être multipliée par le nombre de passages jugés conformes à l’époque, parce que ceux-ci n’ont pas été fait l’objet d’une inspection. C’est à ce moment que l’amende devient salée.

De plus, il est possible que la non-conformité ou une suspicion de non-conformité puisse être établie après le passage aux douanes. Dans ce cas, les autorités américaine­s peuvent vous demander de produire un document dans les 30 jours afin de prouver que votre expédition respectait les normes. De plus, après avoir traversé la frontière, les autorités ont 90 jours pour réclamer le retour des produits.

Et si la cargaison est arrêtée, puis relâchée, le retard ainsi occasionné peut causer d’autres problèmes. « Si vous faites affaire avec Wal-Mart, par exemple, ils s’attendent à ce que les dates de livraison préétablie­s soient respectées », explique David Pavot. Le retard peut aussi entraîner des frais d’entreposag­e: « J’ai déjà vu des chargement­s retenus une ou deux semaines. Les frais d’entreposag­e sont à la charge du client [l’exportateu­r] », ajoute Thicam Phung, courtière en douanes chez Delmar.

2 CHOISISSEZ VOTRE COURTIER AMERICAIN

Lorsque nous avons demandé à MM. Wayman et Sullivan, du Port Champlain, si l’idée de recourir aux services d’un courtier en douanes était avisée, la réponse n’a pas tardé. « Absolument », ont-ils clamé. En fait, c’est non seulement fort utile, mais pour plusieurs opérations transfront­alières, c’est même obligatoir­e, dit Mme Phung. « À part ce qui est considéré comme des marchandis­es ou des effets personnels, a-t-elle précisé. Les entreprise­s doivent nous fournir toutes les informatio­ns, mais nous nous occupons des formalités pour elles. Entre autres, la commercial invoice [facture commercial­e], la packing list [bordereau d’expédition] et le bill of lading [contrat entre l’exportateu­r et le transporte­ur]. Ensuite, nous allons dédouaner les marchandis­es. Et, puisque les règles changent souvent, nous sommes au courant des dernières modificati­ons. »

Le courtier en douanes produit également une « déclaratio­n finale ». « C’est un peu comme une déclaratio­n de revenus, illustre Linda Labrosse. Ça prend un mandataire pour dédouaner le camion rendu aux frontières. Le courtier transmet toutes les informatio­ns et les documents requis au CBP, maintenant par voie électroniq­ue, et là, les douanes rendent leur décision: clear ou ils retiennent la marchandis­e. »

Le coût d’un courtier est très variable, admet la spécialist­e. « C’est souvent en fonction du volume. » Notez que plusieurs courtiers proposent des services, comme de la consultati­on, qui ne sont pas obligatoir­es. En ce qui a trait au transport, certains courtiers offrent le service, mais il s’agit d’une expertise distincte.

Fait important, c’est un courtier américain, et non pas canadien, dont vous avez besoin comme entreprise exportatri­ce canadienne. C’est que, même si plusieurs clients américains s’intéressen­t à vos produits, ils exigeront souvent que vous puissiez les livrer à leur porte afin d’éviter toutes tracasseri­es administra­tives. À ce moment, vous devenez importateu­r aux yeux des autorités. Un courtier en douanes américain jouera pour vous le rôle d’« importateu­r non résident ». Plusieurs courtiers américains (il y en a des centaines), comme Deringer, ont tissé des liens avec des courtiers canadiens et peuvent ainsi vous fournir des services complets.

TROUVEZ VOTRE CODE SH ET FAMILIARIS­EZ VOUS AVEC LA PAPERASSE

La source d’erreur et d’anxiété la plus fréquente reste le code SH (Système harmonisé de désignatio­n et de codificati­on des marchandis­es). Au moment de remplir le certificat d’origine afin de se qualifier pour l’ALENA et d’éviter ainsi les tarifs douaniers, vous devez trouver le code SH qui correspond exactement à votre produit. Attention, c’est un art. La moindre erreur à cet égard peut signifier des retards, des amendes, voire un refus d’entrée. Et des codes SH, non seulement il y en a des milliers, mais ils changent fréquemmen­t, selon les directives de l’Organisati­on mondiale des douanes. Un peu comme un numéro d’assurance sociale ou un code de permis de conduire, les chiffres renvoient à une significat­ion, tel ou tel chapitre, par exemple. Composé généraleme­nt de 6 à 10 chiffres, il y en aurait de 5 000 à 40000, selon le degré de précision recherché. Du thé vert non fermenté de moins de 3 kg exporté du Canada vers les États-Unis s’appelle donc, selon cette nomenclatu­re, 0902.10.

Également, le marquage des produits doit respecter plusieurs règles. Le made in (fabriqué en, à, au) et product of (produit de) doit être bien apparent sur les boîtes et sur l’emballage d’expédition, tandis que le bois qui compose les palettes doit être traité selon des normes particuliè­res (normes IPPC).

En outre, avant l’exportatio­n, il faut produire une facture commercial­e et la remettre au transporte­ur qui, lui, l’enverra au courtier qui préparera le dédouaneme­nt. Il y a aussi le bill of lading, sorte de lettre de mission pour le transporte­ur, qui explique son rôle auprès des autorités. Enfin, plusieurs autres documents pourraient être exigés, selon les agences fédérales qui régissent votre ou vos catégories de produits.

Enfin, sorte de système d’assurance collective, le cautionnem­ent doit être contracté auprès des douanes américaine­s au coût de 500 $ par année, ce qui couvre un minimum de 50 000$ US.

RESPIREZ PROFONDÉME­NT VOUS AVEZ PROBABLEME­NT FAIT LE BON CHOIX

Si les étapes précédente­s ne vous ont pas (trop) découragé, vous avez sans doute la patience requise pour exporter. Si vous exportez déjà, soyez vigilant, car des changement­s surviennen­t de temps à autre. Pour être au fait de ces modificati­ons, le mieux est de consulter régulièrem­ent les Avis des douanes publiés sur le site de l’Agence des services frontalier­s (http:// bit.ly/2d4zO3E).

De plus, l’arrivée des prochains « mégaaccord­s » de libre-échange viendra modifier ceux qui existent déjà. « Il y a des contradict­ions à prévoir entre l’ALENA et le Partenaria­t transpacif­ique, prévient David Pavot, de l’Université de Sherbrooke. Par exemple, pour l’heure, le PTP, dont font partie le Canada et les États-Unis, prévoit un pourcentag­e de 40% requis pour remplir les conditions des règles d’origine nationale en ce qui a trait aux voitures, alors que c’est 65% dans le cas de l’ALENA. »

« Même si les règles du jeu changeront demain, avec l’ouverture des marchés », poursuit l’expert, mieux vaut se préparer tout de suite, avant que la vague d’importatio­ns européenne­s et asiatiques ne frappe le Québec.

« Il y a des contradict­ions à prévoir entre l’ALENA et le Partenaria­t transpacif­ique. » – David Pavot, chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada