Les Affaires

Vent contraire

- Julie Cailliau Rédactrice en chef, Groupe Les Affaires julie.cailliau@tc.tc @julie140c

De toutes les réactions de gens d’affaires que j’ai pu entendre ou lire sur l’élection de Donald Trump, celle qui m’a le plus marqué l’esprit est celle de Sophie Brochu. La présidente et chef de la direction de Gaz Métro vibrait en s’adressant aux dirigeants du Québec réunis pour la remise des prix PDG de l’année Les Affaires, dont elle est lauréate cette année, comme Brian McManus (Stella-Jones) et Yvon Charest (iA Groupe financier).

Oui, une entreprise doit créer de la richesse, pour toutes ses parties prenantes, « mais c’est aussi important, la manière dont on crée notre richesse et le système de valeurs qui nous habite. Et malheureus­ement, depuis le 8 novembre dernier, nos systèmes de valeurs sont mis à rude épreuve », a déclaré Sophie Brochu avec conviction.

On ne pouvait pas offrir une perspectiv­e sur le monde des affaires plus diamétrale­ment opposée à celle du nouveau président américain. Sa perspectiv­e à lui, elle se résume tristement dans ce bref échange de tirs entre lui et Hillary Clinton, lors du premier débat présidenti­el, le 26 septembre. À Mme Clinton qui lui reprochait d’avoir voulu tirer profit de l’effondreme­nt du marché immobilier lors de la crise économique de 2008, le candidat Trump a répondu: « Ça s’appelle faire des affaires, en passant! »

Quelle déclaratio­n affligeant­e. Quelle image dépassée de la communauté d’affaires. Quelle insulte envers les bâtisseurs d’entreprise. J’aurais pu ponctuer les trois phrases précédente­s de points d’exclamatio­n, mais ce n’est pas dans ma nature. J’ai la révolte froide. Cependant, je m’inscris en faux contre cette image réductrice de dirigeants avides. Pour beaucoup d’entreprene­urs que je rencontre, l’argent est un moyen et non une finalité.

Donald Trump n’est pas à une insulte près, vous me direz. Et, bien plus que les immigrants et les femmes, les gens d’affaires sont certaineme­nt capables d’en prendre. Qui plus est, on est d’accord, Donald Trump n’est pas tout seul à se servir en premier; les pratiques d’affaires scandaleus­es, ça existe et ça ne manque pas. Mais sa petite remarque, lancée comme une vérité, fait souffler un vent contraire sur des entreprise­s engagées en matière de responsabi­lité sociale. Déjà qu’elles avaient une bonne pente à remonter: la dernière livraison de l’Indice entreprene­urial de la Fondation de l’entreprene­urship indique en effet que les Québécois accordent peu de crédit au rôle social des entreprene­urs. Si 78% des répondants pensent que les entreprene­urs sont des créateurs d’emplois et de richesse, seulement 59% croient qu’ils s’impliquent dans leur communauté et plus de la moitié doutent de l’honnêteté des entreprene­urs.

Je salue les leaders d’affaires qui osent prendre position et défendre, comme Mme Brochu, une vision engagée du rôle des dirigeants. Ce courage n’est pas commun et mériterait d’être imité.

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