François Pouliot
Sauvetage de Bombardier : le canot de Québec, le gilet d’Ottawa
Ottawa viendra finalement en aide à Bombardier. Le gouvernement injecte 372,5 millions de dollars sur quatre ans dans le développement de l’avion d’affaires Global 7000 et dans le CSeries. Trop peu, trop tard ? Trop pour rien ? Certains décrient déjà l’aide consentie par le gouvernement fédéral (ce sera particulièrement le cas au Canada anglais), d’autres estiment que c’est insuffisant puisque que Bombardier demandait initialement 1 milliard de dollars américains. Regardons-y de plus près.
Bombardier avait-elle encore besoin d’argent ?
Difficile à dire. Il faut replacer la demande d’aide de Bombardier dans le contexte de l’époque. Au moment où Québec décide d’injecter 1 G$ US dans la société du CSeries, en 2015, l’entreprise vient de faire face à d’importants délais pour la mise en service du CSeries, les commandes pour l’appareil n’entrent plus, et les échéances de dette sont relativement proches. Un risque de faillite considérable est associé à la société. Étant donné la possibilité de nouveaux imprévus, il est probable que, sans l’ajout de liquidités, les créanciers refuseront de faire tourner la dette.
L’injection de Québec dans la société va venir changer la donne. Air Canada fait une importante commande de CSeries, puis Delta emboîte le pas En parallèle, la Caisse de dépôt et placement y va d’une participation dans la division Transport, et le programme de rationalisation porte ses fruits.
La confiance revient. Si bien qu’il y a quelques semaines, la société a réussi un tour de magie. Une dette de près de 1,4 G$ US devait venir à échéance en 2018 (mars et septembre). Le risque était toujours présent que les perspectives se détériorent et que Bombardier ne soit pas capable de refinancer cette échéance. Contre toute attente, elle a refinancé sa dette prématurément, si bien que la prochaine échéance est maintenant en 2019. Cela laisse plus de temps. Et si les objectifs 2020 du plan de la direction sont atteints, ce prochain refinancement ne devrait pas causer de problème. Bombardier espère en effet que ses ventes totales passeront de 16,5 G$ US en 2016 à 25 G$ US en 2020 et que ses marges bénéficiaires se redresseront significativement.
Pas besoin de l’argent d’Ottawa, donc ? Il ne s’agit que de projections sur papier. Si jamais l’économie mondiale se met à toussoter d’ici là, les 372,5M$ d’Ottawa sont autant de dollars que Bombardier n’aura pas à puiser dans ses lignes de crédit et constituent du fait un coussin dont il vaut mieux ne pas se priver. Le gouvernement libéral vient fournir un amortisseur de choc qui est souhaitable.
Ottawa fait-il une meilleure affaire que Québec ?
Le temps le dira, mais il est clair que les sommes avancées par Ottawa sont moins à risque. Les montants que le fédéral s’apprête à consentir seront remboursables à raison d’une redevance qui sera perçue sur les futurs appareils Global 7000 et CSeries, à chaque livraison.
Pour donner un peu de perspective, une source chez Bombardier indiquait il y a peu que les programmes de recherche et développement qu’utilisera Ottawa pour financer le Global 7000 et le CSeries ont injecté dans Bombardier 586 M$ depuis 1986 (avant le CSeries). Ces programmes ont à ce jour rapporté 740 M$.
Compte tenu du temps écoulé, ce n’est pas nécessairement un rendement très élevé (on n’a pas l’étalement de chacun des investissements). Cependant, il faut aussi tenir compte des em- plois créés et de l’impôt supplémentaire relié à ces emplois de qualité (par rapport à des emplois de plus faible qualité). Notons au passage que, dans le cas du Global 7000, c’est 3 000 emplois qui doivent être créés d’ici 2018, à Toronto et à Montréal, la majorité au Québec. Constat? Le temps passant, Ottawa devrait finir par récupérer son argent dans le Global 7000 (les deux tiers des 372,5 M$), et probablement aussi dans le CSeries (le tiers restant).
Pendant ce temps, le rendement de Québec se fera plutôt à titre d’actionnaire de la société du CSeries. Ça peut être payant si l’avion est un succès, mais disons que, pour l’instant, c’est loin d’être gagné. Bombardier devrait livrer cette année quelque chose comme 30 ou 35 appareils. La société prévoit que, pour atteindre l’équilibre financier vers 2020, elle devra en produire une centaine par année. C’est vraiment beaucoup de commandes nécessaires, et le CSeries ne fera pas encore d’argent.
Québec a-t-il mal négocié ? Ottawa a-t-il négocié en génie ?
Loin de là. Il s’est dit beaucoup de choses sur la prise de participation de Québec dans Bombardier. Nombreux sont ceux à avoir estimé qu’il aurait mieux valu prendre une participation directement dans Bombardier inc. plutôt que dans la société du CSeries. Le risque aurait été moindre.
Cette école de pensée est celle qui a fait le plus de bruit sur la place publique. On est personnellement dissident.
Sans aller trop loin dans les modèles d’évaluation financière, si Québec avait insisté pour entrer dans le capital de Bombardier inc., le conseil d’administration de Bombardier n’aurait vraisemblablement eu d’autre choix que de renoncer au projet CSeries. Avec, pour conséquences, la perte de nombreux emplois et l’endommagement à long terme de la grappe aéronautique de la province.
En entrant pour 1,3 G$ US dans le capital de Bombardier inc., Québec aurait en effet complètement dilué les actions de l’entreprise, et celles-ci n’auraient plus valu grand-chose pour un bon bout de temps. Les profits générés par les jets régionaux, les jets d’affaires et la division Transport auraient en effet été partagés par un très grand nombre d’actions supplémentaires. Il valait mieux financer le développement de l’appareil dans une nouvelle entité.
Cette réflexion, bien qu’elle n’ait curieusement jamais fait partie de la discussion publique, a assurément fait partie de la discussion privée. À première vue, Québec peut paraître avoir mal négocié, mais c’est lui le sauveur. Il a fourni le canot de sauvetage ; Ottawa vient d’ajouter un gilet.
Beaucoup estiment que Québec aurait dû prendre une participation directement dans Bombardier inc. plutôt que dans la société du CSeries. Cette école de pensée est celle qui fait le plus de bruit. On est personnellement dissident.