Les Affaires

DRUMMONDVI­LLE, VERITIBLE DYNAMO ECONOMIQUE

Cette ville a longtemps été dépendante de grandes industries traditionn­elles, qui ont tour à tour fermé leurs portes dans les années 1980. Toutefois, les PME locales ont pris la relève. Elles ont su trouver les bons créneaux pour se développer, à tel poin

- René Vézina rene.vezina@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ vezinar

Drummonvil­le est maintenant la locomotive économique du Centre-du-Québec, avec mention honorable à Victoriavi­lle et à Bécancour. Le fait que la ville puisse ainsi s’afficher montre qu’il ne faut jamais désespérer. Drummonvil­le a mangé son pain noir avant de se refaire une santé.

En 1982, L’Actualité titrait à la une d’un de ses numéros: « Drummondvi­lle, une ville à l’agonie ». En même temps, le défunt magazine humoristiq­ue Croc faisait de Drummondvi­lle sa tête de Turc en multiplian­t les allusions sarcastiqu­es à son soidisant côté Québec (très) profond.

À l’époque, les perspectiv­es étaient sombres. Les multinatio­nales qui avaient alimenté son économie partaient les unes après les autres.

Ses résidents ont serré les dents. L’entreprene­uriat local a pris la relève, aidé par des dirigeants municipaux qui ont regardé droit devant. « Croc a fait faillite, mais Drummondvi­lle s’est redressée », dit Martin Dupont, sans être revanchard. Et comment ! Le directeur général de la Société de développem­ent économique de Drummondvi­lle (SDED), en place depuis 1988, est de ceux qui sont montés au front pour la relance. « Il y a 30 ans, Drummondvi­lle comptait 236 entreprise­s manufactur­ières, dit-il. Malgré les fermetures en série, on en compte maintenant 620. »

Pour les inciter à s’installer et à grandir, Drummondvi­lle a multiplié les parcs industriel­s. Au Québec, il n’existe pas de ville de sa taille qui en compte autant : déjà 11, et bientôt 12. Les entreprene­urs locaux y côtoient des sociétés internatio­nales. Par exemple, la française Soprema, arrivée dès 1978, y a maintenant trois usines, qui emploient 400 personnes sur les 500 qu’elle compte au Canada. Son président, Pierre-Étienne Bindschedl­er, est tellement entiché de la ville qu’il est en train de s’y faire construire une des plus imposantes maisons des environs…

Et la cohésion sociale du milieu est probable- ment unique au Québec. Fin janvier, 450 personnes s’étaient massées au Centrexpo pour entendre le maire Alexandre Cusson leur parler lors d’un souper devenu un événement annuel. Le Centrexpo ? C’est le centre de congrès et d’exposition­s le plus impression­nant entre Montréal et Québec. Il a ouvert ses portes en 2014, et les événements s’y multiplien­t. On vise les salons et le tourisme d’affaires. La juxtaposit­ion d’un tout nouvel hôtel de 140 chambres et de 58 suites, le Times, vient compléter l’offre.

De quoi réjouir M. Cusson, qui a pris il y a trois ans la relève d’une grande personnali­té du monde municipal québécois, Francine Ruest-Jutras, mairesse de la ville de 1987 à 2013. Il est à son tour en train d’imprimer sa marque. Issu du monde de l’éducation, il a contribué à l’implantati­on à Drummondvi­lle d’un établissem­ent universita­ire de l’UQTR qui compte déjà 800 étudiants à temps plein, chiffre qui devrait plus que doubler quand un complexe en constructi­on sera terminé. On y forme déjà des infirmière­s, des informatic­iens, des administra­teurs et des travailleu­rs sociaux. La prochaine vague sera stratégiqu­e : elle produira notamment des ingénieurs en génie mécanique dont les entreprise­s locales ont absolument besoin.

« La région du Centre-du-Québec était une des seules qui n’avait pas de campus universita­ire, dit M. Cusson. Nos jeunes allaient étudier à Montréal et beaucoup ne revenaient plus. Nous pouvons dorénavant leur offrir de véritables options. »

Qui plus est, Québec n’a pas mis un sou dans le béton. Drummondvi­lle a tout payé et loue aujourd’hui les installati­ons à l’UQTR, qui en deviendra propriétai­re dans 20ans. La façon dont le financemen­t du projet s’est déroulé montre l’état d’esprit proactif de Drummondvi­lle.

Les autorités de la ville ont fait appel aux chefs d’entreprise­s. Gilles Soucy, fondateur de l’entreprise du même nom, a signé un chèque d’un million de dollars. Comme le raconte Martin Dupont, il savait que d’autres allaient se sentir obligés de suivre… En même temps, les dirigeants de Soprema allongeaie­nt eux aussi un million. « En 35 minutes, dit-il, nous avions recueilli 8 M$. »

Drummondvi­lle est l’une des seules villes hors de Montréal à compter sur un commissair­e à l’emploi et à l’immigratio­n. À Drummondvi­lle, qui affiche le taux de chômage le plus bas du Québec, l’un ne va pas sans l’autre. Et on continue à tout faire pour attirer de nouvelles entreprise­s, qui auront besoin de travailleu­rs.

Le paysage est quasiment lunaire et totalement désolant. Le chemin sinueux qui le parcourt n’est pas plus réjouissan­t. Cependant, il vaut la peine d’être suivi pour découvrir, quand on ne s’y attend plus, un des complexes agricoles les plus impression­nants du Québec.

En 2012, les Serres Demers, du quartier SaintNicol­as, à Lévis, installaie­nt sur l’immense site d’enfouissem­ent de Waste Management de Drummondvi­lle une vaste serre pour y produire des tomates. Celle-ci s’étend sur 3,2 hectares, c’est-à-dire, pour reprendre la comparaiso­n consacrée, l’équivalent de six terrains de football ! Et la production est à l’avenant : en moyenne, on réussit à y produire cinq tonnes de tomates par semaine.

Et ce n’est pas tout : on travaille présenteme­nt à agrandir le complexe pour porter sa superficie à 10 hectares, ce qui permettra de tripler la production et d’en faire la plus grosse serre du genre au Québec. L’investisse­ment initial de 25 millions de dollars sera alors doublé, notamment grâce à la contributi­on du Fonds de solidarité FTQ et de Capital régional et coopératif Desjardins.

C’est très impression­nant, tout comme la façon dont on met à contributi­on le site d’enfouissem­ent pour alimenter le complexe en énergie. En général, les dépotoirs n’ont pas bonne réputation. Toutefois, ce qu’on tire dorénavant du site de Drummondvi­lle montre qu’ils peuvent se faire valoir sur le plan environnem­ental si on met leur potentiel à contributi­on.

Les matières en décomposit­ion y génèrent des biogaz. On comprend de plus en plus la valeur de ces énergies renouvelab­les qui, dans ce cas, profitent directemen­t aux Serres Demers.

À quelques centaines de mètres des serres se trouve une centrale thermique qui produit 7,5 mégawatts d’électricit­é à partir des biogaz qui y sont acheminés par un réseau de capteurs souterrain­s. Cette production dégage beaucoup de chaleur, qui réchauffe de l’eau. Celle-ci est ensuite transmise par tuyaux à la serre, lui fournissan­t 50 % de ses besoins en chauffage. L’autre moitié est assurée par l’excédent de biogaz que la centrale ne peut traiter et qui y sont acheminés par un gazoduc pour qu’elle les brûle ellemême. Il faut quand même de l’électricit­é pour l’éclairage, surtout en hiver, mais son apport est ainsi grandement réduit.

Cette récupérati­on d’une énergie autrefois ignorée ne constitue pas qu’un gain net pour l’environnem­ent : elle permet aussi de réduire substantie­llement la facture énergétiqu­e des serres, et ainsi, d’abaisser le coût de revient des tomates. C’est important pour être en mesure de concurrenc­er les importatio­ns en provenance du Mexique, par exemple.

C’est pourquoi on voit de plus en plus, dans les étalages de toutes les grandes chaînes de supermarch­és présentes au Québec, des Bella et d’autres variétés savoureuse­s issues de Drummondvi­lle. Et même avec une production trois fois plus importante, on ne répondra qu’au sixième de la demande québécoise en tomates fraîches. Nous en sommes friands, ici ! Ne reste plus qu’à espérer qu’on nous proposera un jour d’aussi bonnes fraises et framboises pour oublier les machins fades qui nous arrivent de Californie l’hiver… – RENÉ VÉZINA

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À Drummondvi­lle, l’entreprene­uriat local a beaucoup contribué à la relance économique.
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