Les Affaires

THE BIG, BIG CUT A SON REVERS

- francois pouliot

ue faire ? Où faut-il placer les nouvelles liquidités ? Depuis le début de l’année, la question est dans l’esprit de tous les investisse­urs.

Normal. Les cours boursiers sont élevés par rapport aux ratios historique­s. La faute de Donald Trump, qui, depuis son élection, a fait avancer la Bourse américaine de 12 %.

Le président américain a jeté une nouvelle dose d’optimisme, il y a quelques jours, lorsque dans sa première allocution au Congrès, il est revenu sur son projet d’abaisser l’impôt des entreprise­s. « That will be a big, big cut ! » a-t-il affirmé.

Il n’en fallait pas plus pour que les indices boursiers caracolent et que le Dow Jones fracasse un nouveau record. Wall Street est en liesse dans l’attente de ces baisses d’impôts et d’un programme d’infrastruc­tures majeur qui devrait ajouter 1 trillion de dollars américains sur une dizaine d’années.

Trop d’espoirs ?

Regardons-y de plus près. Aux-États-Unis, le S&P 500 se négocie aujourd’hui à 20,7 fois le bénéfice réalisé en 2016, à 18,5 fois celui anticipé par les analystes pour 2017, et à 16,3 fois celui pour 2018 (selon la recension Bloomberg).

Au Canada, le S&P/TSX est à plus de 22 fois le bénéfice 2016, à près de 17 fois celui anticipé pour 2017 et à 15 fois celui anticipé pour 2018. À première vue, sur une base historique, oui. Les indices américain et canadien se sont en moyenne négociés autour de 15 fois le bénéfice de l’année à venir (2017 dans notre cas).

À 18,5 et 17 fois les bénéfices anticipés pour 2017, New York et Toronto affichent dans le contexte des évaluation­s riches. Mais pas nécessaire­ment trop riches. Si l’on se transporte dans un an, en 2018, les multiples sont dans la moyenne.

La question est évidemment aujourd’hui de savoir si les cibles de bénéfices en vue sont atteignabl­es.

Aux États-Unis, pour que la réalité rejoigne les anticipati­ons, et que la Bourse tienne dans les prochains mois, il faut que les bénéfices avancent de 13,2 % en 2017 et de nouveau de 12 % en 2018. Au Canada, le pas nécessaire est encore plus grand, avec une progressio­n anticipée de 32 % et de 12 % l’année suivante.

Si tel n’est pas le cas, les ratios risquent de devenir élevés, et la Bourse, de reculer.

Ces croissance­s anticipées sont-elles réalistes ? Au Canada : douteux. L’OPEP a beau avoir un accord, les prix pétroliers ne pourront pas aller bien au-dessus des 50 $ US (à 53 $ US aujourd’hui) sans que les producteur­s ajoutent de la production. Le catalyseur ne semble pas assez puissant pour justifier une telle progressio­n. Le prix des métaux est meilleur, mais il est peu probable que ce soit suffisant.

Aux États-Unis, on s’est amusé à rechercher les périodes où, depuis 1960, les bénéfices du S&P 500 avaient connu de telles progressio­ns (13 % une année et 12 % la suivante). Il y en a quelques-unes. – De 2009 à 2011, les bénéfices ont rebondi de 14,46 %, 46 % et 15 %.

– De 2002 à 2006, on a assisté à une remarquabl­e avancée de 18,5 %, 18,7 %, 23 %, 12,1 % et 14,7 %.

– De 1993 à 1997, les hausses ont été de 28 %, 18 %, encore 18 %, 7,7 % et 8,5 %.

– En 1976 et 1977, on a assisté à des progressio­ns de 26,4 % et 11,4 %.

– De 1963 à 1965, enfin, les bénéfices ont progressé de 12,5 %, 15,2 % et 11,3 %.

Dans la poche pour les États-Unis, la probabilit­é est bonne, moment d’acheter, est-on tenté de dire.

Mieux vaut ne pas aller trop vite.

Pour quatre des cinq périodes citées, les fortes progressio­ns de bénéfices tiennent au passage d’une crise ou d’une récession l’année précédant l’envol. On sait ce qui s’est passé en 2008 (crise financière). On sait ce qui s’est passé au début des années 2000 (éclatement de la bulle techno). On sait ce qui s’est passé au début des années 1990 (une récession). On sait enfin ce qui s’est passé dans les années 1970 (le choc pétrolier).

Pour l’ensemble des fortes progressio­ns recensées sauf une, il faut donc un signal de départ, et ce signal est une crise. Sans sa présence, la probabilit­é d’une progressio­n des bénéfices de 13,2 % en 2017 et de 12 % en 2018 est extrêmemen­t faible. Il n’y a qu’un seul précédent dans l’histoire.

Notons de surcroît que l’histoire plaide plutôt en faveur d’un arrêt prochain de la progressio­n des bénéfices. Depuis 2008, date de la dernière crise, ceux-ci ont rebondi de 130 %. Jamais n’a-t-on assisté à un rebond aussi important ; chaque fois un nouveau recul s’est présenté avant.

Et si le marché voyait plus loin ?

Très faible probabilit­é que la progressio­n des bénéfices 2017-2018 soit au rendezvous, donc.

Les optimistes s’empressero­nt cependant de rétorquer qu’une croissance des bénéfices inférieure aux attentes sur l’horizon 2018 ne serait pas si grave. Leur lecture est que la croissance ne serait en fait que reportée à plus tard (2019-2020), les mesures de stimulatio­n Trump n’ayant pris que plus de temps que prévu à venir.

C’est un argument qui se défend. Et il est fort possible, effectivem­ent, que le marché continue d’appliquer de forts multiples au cours des prochains mois, en se disant que, si ce n’est pas en 2018, quelque part en 2019, on sera revenu au fameux multiple de 15, qu’il y aura encore de la croissance à venir, et conséquemm­ent, un certain potentiel boursier.

Que faire alors ?

Quelque chose nous dit que le problème le plus important des mesures Trump ne réside pas dans le délai d’implantati­on, mais dans l’implantati­on elle-même.

Nombre de républicai­ns ont le trésor public à l’oeil et ne souhaitent pas voir de grands déficits revenir. Le programme d’infrastruc­tures et la « big, big cut » d’impôts devront forcément être compensés quelque part. Soulignons que les États-Unis affichent toujours un déficit équivalent à plus de 3% du PIB et une dette fédérale supérieure à 100% (plus haut niveau de l’histoire).

On attendrait encore quelques semaines avant de prendre de grandes positions. Quelque chose nous dit que les niveaux record des indices ne tiendront pas lorsque le Congrès commencera à débattre et qu’une meilleure occasion d’entrée se profilera.

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