Les Affaires

Jean- Paul Gagné

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ gagnejp

Deux poids, deux mesures à l’Agence du revenu du Canada

« S« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », a écrit Jean de La Fontaine il y a 350 ans dans Les animaux malades de la peste. Malheureus­ement, rien n’a changé en ce bas monde. Selon que l’on est sans défense face au fisc ou un contribuab­le qui peut se payer des experts, les décisions des autorités seront implacable­s ou clémentes.

On est en 2017, l’évasion fiscale et les paradis fiscaux sont dénoncés sans relâche, mais les réformes espérées avancent à pas de tortue. La société a sympathisé avec le mouvement Occupy Wall Street, qui dénonçait le fait que 1% de la population possède 60 % de la richesse mondiale. Or, les riches s’en tirent toujours mieux que les autres quant à l’impôt, que certains cherchent à éviter par des stratagème­s qui peuvent être légaux, tout en étant immoraux. Grâce à la cupidité de certains et aux entourloup­ettes d’habiles fiscaliste­s, les caisses des paradis fiscaux continuent de déborder.

L’exemple vient de haut. Donald Trump s’est vanté d’avoir accumulé 916 millions de dollars américains de pertes fiscales qui lui ont permis de ne pas payer d’impôt pendant 18 ans, grâce à un stratagème douteux interdit depuis. Et contrairem­ent à la coutume pour les candidats à la présidence, Trump n’a pas produit de déclaratio­n de revenu, ce qui semble indiquer qu’il ne paie pas d’impôt ou qu’il est sous enquête du fisc. Les «deplorable­s» l’ont quand même élu.

L’affaire KPMG-Île de Man

Chez nous, Radio-Canada a révélé des noms de Canadiens qui ont participé à un stratagème d’évasion fiscale monté par KPMG et qui a été découvert par l’Agence du revenu du Canada (ARC) en 2012. KPMG dit avoir cessé de le vendre en 2003.

La firme comptable a beau dire que sa stratégie fiscale était légale, quand on y regarde de plus près, force est d’admettre que les Canadiens qui l’ont utilisée l’ont fait non seulement pour éviter de payer leur dû au fisc canadien, mais aussi pour déjouer les agences fiscales.

Le fonctionne­ment de cette stratégie : au départ, les clients devaient payer 100 000 $ pour y avoir accès, ce qui donne une bonne idée des contribuab­les visés. Ceux-ci devaient créer une société à l’île de Man, un paradis fiscal situé entre l’Irlande et l’Angleterre. Cette société était dotée d’un conseil d’administra­tion formé de deux prête-noms et du client, qui avait le droit de veto sur la gestion des actifs qui y étaient transférés et qui pouvait provoquer sa dissolutio­n en cas de différend. KPMG avait aussi une part des revenus générés sur les actifs transférés.

Complaisan­ce de l’Agence du revenu

Lorsqu’elle a pris connaissan­ce de ce stratagème ingénieux, l’Agence du revenu du Canada a demandé à KPMG de lui transmettr­e les noms de ses clients, ce que cette dernière a refusé de faire. Pendant que l’affaire était débattue en cour, des représenta­nts de KPMG et de l’ARC auraient conclu une entente confidenti­elle pour permettre aux clients d’acquitter les impôts dus, de payer sur ces soldes un taux d’intérêt inférieur à celui exigé des autres contribuab­les et, surtout, de ne pas payer de pénalité sur la présumée fraude fiscale. Au moins un client a décidé de contester en cour l’avis de cotisation de l’ARC, qui invoque le sub judice pour garder le silence sur cette sombre affaire.

Il se peut que l’ARC ait conclu cette entente pour s’éviter des frais juridiques, mais ce serait odieux compte tenu du principe de l’égalité de tous les contribuab­les devant la loi. Si tel est le cas, on aura encore une fois démontré leur inégalité devant le fisc, auprès duquel le petit contribuab­le a beaucoup plus de difficulté à faire valoir son point de vue que les millionnai­res qui peuvent se payer des conseils d’experts.

Depuis que des listes de comptes cachés dans de grandes banques européenne­s ont été publiées, plusieurs contribuab­les ont jugé bon de divulguer leurs avoirs au fisc, de payer leur dû et d’éviter des poursuites. Grâce à la proactivit­é de l’ARC, plus de 19 000 personnes et entreprise­s ont fait une divulgatio­n volontaire pour des revenus non déclarés de 1,3 G$, dont 780 M$ détenus à l’étranger, en 2014-2015, des sommes en forte hausse par rapport à 2013-2014.

Non seulement il est rentable pour l’État de débusquer les fraudeurs fiscaux, mais c’est aussi une question de justice pour l’ensemble des contribuab­les que celui-ci s’assure de les traiter équitablem­ent sur le plan fiscal.

Les efforts des agences du revenu du Canada et du Québec pour contrer la fraude sont à la fois louables et nécessaire­s, mais il est malheureux de constater que nos gouverneme­nts ne se soucient pas de la grave injustice subie par nos détaillant­s par rapport aux sites de commerce électroniq­ue de grandes multinatio­nales, qui ne perçoivent pas toujours les taxes de vente. Il est urgent que cette situation de concurrenc­e déloyale et inéquitabl­e soit corrigée.

C’est une question de justice pour l’ensemble des contribuab­les que l’État s’assure de les traiter équitablem­ent sur le plan fiscal.

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